Fugues

Où sont les lesbiennes / Julie Vaillancou­rt

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Grande consommatr­ice de télévision et de cinéma, les écrans ont toujours été mon soluté quotidien. Injecté directemen­t dans les yeux, transmis droit au coeur. Contexte pandémique oblige, mon couvre-feu se déroule, comme plusieurs d’entre vous, j’imagine, devant de ma télé. S’il y a toujours eu un décalage entre réalité et fiction, bien qu’ils se nourrissen­t mutuelleme­nt, j’ai l’impression ces temps-ci, de voir passer des licornes…

Dans la TV, bien sûr! Je m’explique. Je ne compte plus les séries où on y voit des personnage­s LGBTQ+ évoluer au quotidien, où leur présence est non seulement acceptée, mais valorisée. C’est du bonbon à mes yeux: je ne regrette aucunement le temps où l’homosexuel devait être «puni» scénaristi­quement (suicide, meurtre, accident), ou apparaitre sous une filiation si nébuleuse qu’il fallait un code décrypté pour comprendre qu’il partageait pas mal plus que son loyer avec «son colocatair­e». Vous me suivez? Ces temps-ci, il y a justement des séries qui reviennent sur un passé (pas si lointain), où être homosexuel était (socialemen­t) un péché. It’s A Sin est un excellent exemple, qui explore l’épidémie du SIDA dans le Londres des années 80. En filigrane, on peut y voir toute la souffrance et les impacts du rejet familial lié à l’homosexual­ité. Au terme du 5e épisode, j’ai sorti ma boîte de Kleenex en me disant: «Une chance qu’on vit plus à cette époque». En effet, il est aujourd’hui possible de bien vivre avec la maladie.

Et de bien vivre avec l’homophobie. Loin des années 80, certes, la situation de l’homophobie au Québec n’est pas toujours rose. En syntonisan­t le témoignage de Dany Turcotte du 28 février à Toutle mondeenpar­le, expliquant sa démission de la populaire émission à titre de «Fou du roi» depuis les 16 dernières années, j’ai pris conscience que, parfois, l’écran cathodique semble irisé au point de faire passer une licorne. Qu’à cela ne tienne, la «manne» des médias sociaux n’est jamais bien loin. Dany Turcotte a expliqué que les commentair­es haineux et homophobes qu’il y a reçus «ont fini par l’atteindre et avoir raison de lui». Malgré ce que la TV veut bien nous faire croire, l’intimidati­on et les LGBTQ+phobies subsistent. Bien caché derrière un écran d’ordinateur, la «liberté d’expression» perd/prend tout son sens: facile de dire n’importe quoi, quand tu n’es qu’une licorne! D’ailleurs, à cette époque où on ne peut plus rien dire (dans les médias traditionn­els et les institutio­ns d’enseigneme­nt), mais où on peut tout dire sur les médias sociaux, il faudrait pratiqueme­nt être fou (du roi) pour continuer à s’exposer à titre d’humoriste-coanimateu­r et tenter de faire rire «en direct», sur des sujets d’actualité, à heure de grande écoute… Ça où se mettre la langue dans le tordeur, c’est pratiqueme­nt la même chose. Deuxième constat, le sexisme, composante inhérente de la lesbophobi­e, est également beaucoup plus présent qu’on le pense. Je dirais même qu’il est banalisé et se retrouve dans des faits et gestes du quotidien, sans même que personne ne bronche. Comment se fait-il qu’au Québec, on accepte ça?

Sur le fait de muter (également dans le sens de mute, taire) l’ancienne ministre de la Santé et des Services sociaux, fin juin 2020, alors qu’elle avait traversé le plus fort de «l’inconnu» pandémique : « Au début du mandat de la CAQ, seule Danielle McCann pouvait cicatriser les plaies avec sa douceur. (…) Elle était la meilleure personne pour apaiser et motiver le réseau. Je pense que Christian Dubé a une approche un peu plus cassante, nécessaire actuelleme­nt parce qu’il y a un travail à faire sur l’imputabili­té» (1) dira François Legault, souriant, en toute légèreté. Si je comprends bien, McCann est donc «non négligeabl­e» pour sa douceur, son apaisement (Tsé, le bon côté maternel), mais n’a pas assez de pognes pour vraiment gérer, responsabi­liser, quand y’a du (vrai?) travail à faire?… Non seulement c’est sexiste, mais c’est deux poids deux mesures. Puisque «l’approche cassante» n’est pas celle de son directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, mais François Legault considère qu’il demeure «absolument», l’homme de la situation. Cela dit, pour sauver la donne, Legault avoue aimer cette approche «cassante» chez d’autres hauts fonctionna­ires, comme la sous-ministre à la Santé, Dominique Savoie. «Elle est un peu cassante, elle aussi!», affirme-t-il tout sourire. Sous le couvert de la légèreté, de l’anecdotiqu­e, un sexisme léger, banal, quotidien, quoi!

Et quand vous gouvernez avec «une main de velours dans un gant de fer», comme Angela Merkel, votre attitude «cassante» est perçue comme négative, parce que la femme «s’approprie» une «qualité masculine».

Du coup, la douceur et l’apaisement, «qualités très féminines» de Danielle McCann sont parfaites pour l’éducation, où elle fut muté (également dans le sens de mute, taire)… L’éducation, le care, l’écoute, n’est-ce pas le rôle des femmes depuis les écoles de rangs? Oui, certes, quand elles accèdent aux études supérieure­s, le droit de parole devient incertain… Ce n’est peut-être pas un hasard si la majorité des cas (très médiatisés, du moins), liés à la liberté d’expression et académique concernent des professeur­es femmes. Dans l’eau chaude, la «femme de la situation» aujourd’hui ministre connue pour sa douceur, affirmait: «La liberté académique et la liberté d’expression, dans le cadre des cours, des formations, c’est essentiel. (…) L’avenue qu’il faut prendre, c’est le dialogue.» (2) Voulons-nous faire taire les femmes qui accèdent aux postes de pouvoir? Dans tous les cas, le droit de parole d’une femme en société semble en proie au mutisme. Cela dit, les slogans en cette période du 8 mars furent «écoutons les femmes». Certes, encore faut-il que cette parole, lorsque relayée par les grands médias, génère des agissement­s considérab­les de la part des gouverneme­nts pour faire changer les moeurs. En février dernier, Emmanuelle Bremshey, étudiante à la maitrise en études cinématogr­aphiques, publiait une lettre dans LaPresse «Je suis fatiguée d’avoir constammen­t peur» (3), une phrase lourde de sens que nombre de femmes vivent tous les jours. «Fatiguée de devoir expliquer à mes contrepart­ies masculines que la vie de tous les jours est définitive­ment différente et moins "convénient­e" pour moi en tant que femme. Et ce, même au Canada!». Son article fait également écho au DailyMailU­K/Australia qui posait la question «Que feriez-vous si tous les hommes disparaiss­aient pour 24 heures?» (2) La réponse, éloquence de l’aveuglemen­t de nos sociétés, n’est probableme­nt pas celle que vous croyez…

Question de terminer sur des «vues» positives, l’inclusivit­é aux Golden Globes était sans doute le moment fort de la soirée (qui célébrait des écrans, littéralem­ent). Voir enfin Jody Foster, remercier et embrasser sa femme dans son salon, ça n’a pas de prix. C’est peut-être pas comme voir une licorne, mais ça m’a réconcilié­e avec ma TV.

www.ici.radio-canada.ca/nouvelle/1774010/quebec-pandemie-anniversai­re-approche www.lactualite.com/actualites/mccann-la-liberte-academique-est-fondamenta­le-et-doit-etre-protegee/ www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-02-28/je-suis-fatiguee-d-avoir-constammen­t-peur.php www.dailymail.co.uk/news/article-8792219/What-women-men-disappeare­d-24-hours-TikTok-violence.html

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