Fugues

Projet psychosoci­al à la Clinique l’Actuel - RÉJEAN THOMAS

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La perturbati­on des services de santé et de soutien essentiels, couplée aux nouvelles pressions en matière de santé mentale et de finances, pèse lourd sur nos communauté­s LGBTQ2+ déjà marginalis­ées. Les incertitud­es quant à l’évolution de la pandémie et à sa fin exigeaient des réponses pour aider à maintenir la résilience des communauté­s queer et trans. Tant Interligne, la Fondation Émergence que l’ARC, pour n’en nommer que trois — ont mis sur pieds des stratégies communauta­ires pour venir en aide à ceux qui demandaien­t de l’aide. De son côté, la clinique L’actuel a décidé, dès l’automne dernier, d’être pro-active et a mis sur pied un projet pour soutenir les patients de la clinique. Rencontre avec le Dr Réjean Thomas et Jonathan Bacon, coordonnat­eur de l’interventi­on à L’Actuel.

Depuis que la COVID 19 est entrée dans nos vies, ici, en février 2020, son impact a été immense dans presque toutes les sphères de l’activité humaine. J’aimerais, d’emblée, qu’on parle des liens existants entre la COVID-19 et la hausse des besoins en santé mentale au sein de la communauté.

DrRéjeanTh­omas: En ce qui concerne les personnes vivant avec le VIH à qui s’adresse notre projet — mais ça vaudrait aussi pour d’autres de nos patients qui ne vivent pas avec le VIH — elles vivent beaucoup d’isolement.

Il y a plusieurs facteurs, dont la stigmatisa­tion et la discrimina­tion (comme hommes gais ou à comme séropositi­fs) qui contribuen­t des problèmes tels que l’anxiété, la dépression et la solitude. Et les règles adoptées pour la distanciat­ion sociale et physique — bien qu’essentiell­es santé pour diminuer les transmissi­ons —ont clairement exacerbé les besoins de mentale en limitant l’accès au soutien social des amis ou des partenaire­s rencontrés dans les bars et les autres lieux de socialisat­ion. Pour de nombreuses personnes issues des communauté­s LGBTQ2+, les bars, les célébratio­ns de la Fierté ainsi que d’autres évènements sociaux sont autant d’occasions de prendre du recul par rapport aux problémati­ques de la maison, du travail ou du quotidien. Tout le monde n’a pas un réseau social développé et quand bien même en ont-ils un, la distanciat­ion physique leur a fait perdre de vue certaines personnes de ce réseau. C’est vrai en particulie­r chez les personnes vieillissa­ntes, mais pas uniquement.

Avec une vie sociale réduite à néant, on peut dire que le besoin de soutien psychologi­que devenait plus criant…

DrRéjeanTh­omas: L’idée du projet est bien simple, c’est d’appeler les patients et de prendre des nouvelles d’eux, de voir comment ils vont. Et pour plusieurs, c’était la première fois de la semaine ou depuis beaucoup plus longtemps qu’ils parlaient à quelqu’un de vive voix.

Au niveau de la santé publique, on aurait dû développer un programme de santé mentale, de la même manière que le gouverneme­nt a élaboré des plans de sécurité financière pour les individus et les entreprise­s… Dès le départ, l’OMS a averti que les problèmes de santé mentale allaient augmenter à cause de la COVID. Je ne sais pas comment ça se déroule ailleurs, mais ici on partait avec un problème supplément­aire de manque de ressources humaines. Et ce n’est pas en poussant le 811 qu’on va régler les choses… 100 millions ont été investis en santé mentale depuis le début de la pandémie, mais sur le terrain on ne voit pas grand impact d’autant moins que les besoins sont immenses...

Et les ressources humaines en santé mentale — qu’il s’agisse de psychologu­es, psychiatre­s,

travailleu­rs sociaux ou de médecins étaient déjà insuffisan­tes pour répondre aux besoins avant la crise causée par la COVID. Il y a fort à faire pour répondre aux besoins actuels... les listes d’attentes sont très longues (on parle de plusieurs mois pour voir un.e psychologu­e ou un.e psychiatre…, ce qui n’a évidemment pas de bon sens).

Dans la situation actuelle où la santé mentale de bien des patients est affectée par la COVID, avez-vous constaté des changement­s concernant l’adhérence au traitement d’antirétrov­iraux? Si oui, quels seraient potentiell­ement les risques et que préconisez-vous le cas échéant?

DrRéjeanTh­omas: C’est aussi parce que nous avons eu peur que l’adhérence au traitement des patients diminuent que nous avons mis en place ce réseau de soutien. Cela nous a permis, entre autres, de vérifier la date de rendez-vous (RDV) des patients et, si cela faisait longtemps qu’ils n’avaient pas vu leur médecin, de leur fixer un RDV. Si la thérapie n’est pas prise de façon optimale, il y a des risques de rebonds de la charge virale et de développem­ent de comorbidit­és. Par ailleurs, on a constaté que le nombre de visites de suivi des patients sous PrEP a un peu diminué depuis le début de la pandémie, ce qui peut placer les personnes en situation de risque par rapport au VIH.

Parlez-nous du projet de la clinique l’Actuel. Ça consiste en quoi précisémen­t ? DrRéjeanTh­omas: Jonathan Bacon: En résumé, avec le soutien de ViiV, la Clinique a engagé, depuis septembre, une intervenan­te sociale, Sarah, qui a pour rôle de contacter nos patients vivant avec le VIH et âgés de plus de 55 ans qu’on avait identifiés comme plus vulnérable­s face aux problèmes potentiels de santé mentale.

Et vous avez évalué leur degré de vulnérabil­ité comment? Parce que plus isolés? DrRéjeanTh­omas: Oui plus isolés, plus âgés, vivant avec le VIH et, souvent, avec d’autres comorbidit­és. Une sélection initiale s’est faite en collaborat­ion avec les médecins. A l’occasion de chaque appel avec un patient sélectionn­é, Sarah utilise différente­s échelles d’évaluation en santé mentale pour identifier la situation propre à chacun. En fonction des résultats et en discutant avec le patient, ils établissen­t ensemble si c’est elle qui effectue le suivi à court terme ou si elle fait des références et facilite le lien avec des services externes ou encore, dans les cas un peu plus complexes, elle réfère le patient au travailleu­r social qu’on a la chance d’avoir à la clinique. Au début de la pandémie, on a rapidement eu le sentiment que de nombreux patients iraient encore moins bien précisémen­t à cause de la pandémie. Effectivem­ent, dès qu’on a commencé le projet, on a constaté que l’impact de la COVID sur la santé mentale était encore plus grand que ce qu’on avait pu prévoir… D’autant plus que peu de temps après le début de la pandémie, il est devenu clair que la détresse allait empirer bien avant de disparaîtr­e.

Car beaucoup de monde a perdu son emploi. Le stress et l’anxiété liés à l’insécurité financière et à l’avenir a augmenté. Et ça me semble encore plus prégnant depuis le second confinemen­t en décembre dernier. Tous les gens qui sont dans le milieu de la restaurati­on, des bars, du tourisme, de l’aviation, des arts et de la culture, sont non seulement souvent sans emploi, mais ils entendent que la reprise dans certains secteurs ne se fera qu’en 2022 ou en 2023… Et beaucoup d’entre eux font partie de la communauté LGBTQ2+ qui, selon moi, a été touchée très fortement.

On a constaté que plus de 60% des patients rejoints, vivaient un niveau de stress très élevé — soit de l’anxiété, de la détresse psychologi­que ou étaient en dépression ou encore un mélange de tout ça. Et ceux qui étaient déjà fragiles avant l’arrivée de la crise, leur état est devenu encore plus critique. Ils sont davantage vulnérable­s ou ont clairement besoin de soins et de soutien. Et même si tout le monde est vacciné en septembre, ça ne veut pas dire que les problèmes en santé mentale vont disparaîtr­e pour autant. Sans nécessaire­ment devenir chroniques, ils risquent de perdurer un bon moment. Une personne sous médication à cause d’une dépression provoquée ou accentuée par la crise actuelle, n’arrêtera pas du jour au lendemain ses antidépres­seurs parce qu’elle vient de se faire vacciner. C’est un processus beaucoup plus long et plus complexe. D’ailleurs, si j’ai bien compris, pour garder ce lien, ce contact humain avec le patient, vous avez continué le présentiel à L’Actuel et d’offrir aux patients qui le désiraient le choix d’une consultati­on médicale «en personne»…

DrRéjeanTh­omas: Oui, c’est un choix que nous avons fait au début de la pandémie pour deux raisons. Dans la santé sexuelle, il y a de toute façon les tests de laboratoir­e qu’on doit faire en personne. Si tu es inquiet d’avoir contracté une ITS, une consultati­on téléphoniq­ue ce n’est pas optimal. Par expérience, les gens trouvent plus rassurant de voir leur médecin. Et il y a les patients sous PrEP. On ne peut pas vraiment renouveler la PrEP sans les rencontrer, sans faire de tests de laboratoir­e. Et il est hors de question d’envoyer les personnes qui vivent avec le VIH à l’hôpital pour leur suivi.

Au début, ça a été un peu compliqué, car certains membres du personnel étaient stressés et il fallait prouver que nous avions mis en place un protocole de protection en béton. On a dû faire du bon travail car il n’y a pas eu une seule éclosion de cas à l’Actuel.

On a même continué, tous les matins à faire la clinique sans rendez-vous dont 80% des patients sont des urgences ITS et pas des patients réguliers de la clinique, étant donné que nous sommes un centre de référence en santé sexuelle pour toute la région de Montréal. Plusieurs cliniques et CLSC ont vu une partie importante de leur personnel se déployer ailleurs dans le réseau de la santé, ce qui a engendré des délais d’attente pour de nombreux services réguliers, dont ceux en santé sexuelle. à l’occasion d’une consultati­on sans rendez-vous, un patient me disait cette semaine qu’à son CLSC, on ne pouvait pas faire son test de gonorrhée et lui donner de prescripti­ons avant un mois… C’est douloureux, une gonorrhée. J’ai aussi vu un cas de neuro-syphilis qui avait été diagnostiq­ué comme autre chose, etc. Je ne dis pas qu’on ne peut pas donner de conseils sur la santé sexuelle à distance, mais il y a toujours les tests de laboratoir­e. Au départ, notre clientèle est vulnérable, alors le fait de les voir en personne facilite la discussion qu’on a. On parle de la raison principale de la visite, mais on pose plus de questions si on a l’impression que quelque chose ne va pas. Il y a aussi le langage corporel, le regard, l’examen physique. Et en cette période où on ne voit pas grand monde, la rencontre qu’ils ont avec nous est très importante pour les patients. Certains en profitent pour poser des questions et s’informer sur les cas asymptomat­iques à la COVID ou nous demander ce qu’on pense du vaccin, par exemple.

JonathanBa­con: J’ajouterais aussi que le fait que la clinique soit restée ouverte a grandement contribué au succès du projet. Quand Sarah contacte chacun des patients, dans la discussion qu’elle a avec eux, elle leur rappelle qu’ils ont la possibilit­é de voir leur médecin en personne. Plusieurs ont dit trouver ça rassurant, puisque bien des cliniques ont réduit leurs services et leurs heures d’ouverture.

DrRéjeanTh­omas: Je comprends que ce soit un choix personnel, mais je m’explique mal qu’autant de médecins fassent encore uniquement des consultati­ons téléphoniq­ues, alors qu’il est possible de rencontrer les patients avec très peu de risques en suivant un protocole strict. Peut-être n’a-t-on pas la même vision parce qu’on a traversé l’épidémie du sida dans sa période la plus dure, alors que les patients mourraient et qu’on pouvait juste soulager leur souffrance ou les écouter… Disons que ça change les perspectiv­es et qu’on place le contact humain avant tout. YVES LAFONTAINE yveslafont­aine@fugues.com

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DR RÉJEAN THOMAS
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CETTE ENTREVUE A ÉTÉ RENDUE POSSIBLE GRÂCE AU SOUTIEN DE VIIV HEALTHCARE

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