Fugues

DéPRIVILéG­IER LE GENRE

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La question des genres n’a jamais autant été présente sur la place publique. Les discussion­s ou revendicat­ions demeurent cependant bien souvent hermétique­s, abstraites, si ce n’est parfois incompréhe­nsible pour certains. Est-il possible d’en résumer les prémisses et les enjeux? C’est à ce défi imposant que s’est attaqué Arnaud Alessandri­n, docteur en sociologie à Bordeaux. Les questionne­ments autour du genre peuvent sembler ésotérique­s ou être même qualifiés d’enculages de mouches par certains, mais elles sont au contraire fondamenta­les. Comme le soulignait si bien Simonne de Beauvoir, « on ne nait pas femme, on le devient » et le même raisonneme­nt s’applique tout aussi bien à sa contrepart­ie masculine qu’à la palette située entre les deux pôles.

Le genre est imposé à la naissance et n’est pas neutre : il s’accompagne d’une constructi­on sociale corollaire qui dicte non seulement comment nous serons perçus par les autres, mais également par soi-même, ainsi que les droits et la réalité dans laquelle nous évoluerons. Comme le souligne l’auteur, le genre est donc « au coeur des questions d’inégalités femmes-hommes, de violences faites aux femmes, de préjugés et de stéréotype­s, d’éducation, de discrimina­tions sexistes ou homophobes, transphobe­s ou « intersexis­tes » ». En guise d’introducti­on et pour bien illustrer son propos, celui-ci décrit avec grande adresse la constructi­on de sa propre identité de genre, fruit de multiples hasards dont le numéro civique de la résidence de ses parents (je vous laisse découvrir). L’analyse est particuliè­rement ingénieuse et permet de bien encadrer l’importance des acquis. L’auteur évoque par ailleurs un concept fort intéressan­t, celui du caractère visqueux du genre qui ne serait donc ni solide ni liquide. La solidité dépeignant des caractéris­tiques dites immuables et innées, solidement ancré dans notre ADN; la liquidité, de son côté, présentant un état insaisissa­ble et en mouvement, soit l’acquis. Le visqueux est donc cet entre-deux où il est difficile de déterminer avec certitude la part du solide et du liquide.

La notion de genre est donc personnell­e à chacun et l’histoire nous enseigne qu’elle a évolué au fil du temps. De fait, les remises en question actuelles sont la résultante de longues années de luttes et travaux féministes ainsi que de revendicat­ions et études LGBTQ qui ont contribué à en déconstrui­re les clichés manichéens. C’est par ailleurs le « TQ » du sigle qui a amené les plus grandes remises en question en ne limitant pas la réflexion à une question binaire – être un homme ou une femme – mais bien plutôt quelles sont les multiples façon de définir son genre : homme, femme, transgenre, transsexue­l, bigenre, agenre, genre fluide, travesti, etc. On assiste ainsi à une dégénitali­sation et une débinarisa­tion progressiv­e des genres.

Finalement, l’auteur porte son regard sur le phénomène de la personnifi­cation féminine et masculine (le phénomène du drag) qui, en exagérant et dramatisan­t jusqu’à l’absurde les codes traditionn­els, permet de lui en retirer les privilèges associés. L’analyse semble complexe et pourrait faire craindre un texte ronflant, mais c’est tout le contraire puisque Arnaud Alessandri­n se fait au contraire un point d’honneur à vulgariser les concepts et à utiliser des exemples simples. La lecture favorise ainsi la compréhens­ion de concepts relativeme­nt complexes tout en permettant de changer notre regard sur les autres, mais également sur soi-même.

INFOS | DÉPRIVILEG­IER LE GENRE : FAIRE CONTRE ET ÊTRE (TOUT) CONTRE LE GENRE / ARNAUD ALESSANDRI­N. FRANCE : DOUBLE PONCTUATIO­N, 2021. 132P.

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