Fugues

Par ici ma sortie / Denis-Daniel Boullé

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On se prend à rêver à un été d'antan. En fait, un été d'avant 2020. De longues soirées dans un jardin, une cour, entouré d'ami.e.s et, pour unique souci, la guerre aux maringouin­s, le tout entremêlé de rires, de sourires, d'accolades, le degré zéro du plaisir. La pandémie pouvait nous avoir donné conscience de l'importance des relations, elle aurait eu au moins du bon. Être ensemble tout simplement pour être soi, pour être nous.

Et de prendre du recul avec tout ce que nous avons vécu pendant une très grosse année. Du recul que l'on devrait toujours prendre avant de s'exprimer avec un stylo ou comme c'est devenu le plus courant aujourd'hui, le clavier de son ordinateur pour chatter sur les réseaux sociaux.

Je ne suis pas un fan des réseaux sociaux. Je suis connecté sur certains par nécessité profession­nelle et ce que je peux y lire me désespère. Outre le français approximat­if utilisé, la pauvreté du vocabulair­e, ou encore l'emploi de mots dont l'utilisateu­r-trice n'a jamais vérifié le sens dans un dictionnai­re, je suis effaré souvent par la violence des propos pour avant tout blesser l'intelocute­ur-trice. Ne parlons pas des arguments balancés pour justifier l'emploi des injures. En général, ce ne sont que des jugements à l'emporte-pièce qui soulignent l'ignorance crasse de celui ou de celle qui les écrit. Et cela fait peur quand on voit les sujets pour lesquels il ou elle se sent autorisé à se prononcer.

Pour certains, les réseaux sociaux sont devenus un exutoire pour vomir leur haine et infliger aux autres le produit de leur déjection. On pourrait aussi avancer leur lâcheté, puisque dans le confort de leur chez soi, protégé par l'anonymat, il suffit d'utiliser un pseudo, et le peu de poursuites engagées contre ces propagateu­rs et propagatri­ces de haine, ils et elles peuvent s'en donner à coeur joie.

Je ne comprends toujours pas la stratégie de ces mêmes utilisateu­rs-trices dont beaucoup voudraient voir des changement­s arrivés dans nos sociétés. De peinturer dans un coin un.e internaut.e ne change rien. Et, à part faire peur à l'Autre, il y a peu de chances de le ou la convertir à sa cause, bien au contraire. Et surtout, encore moins de chances qu'une société bouge et change avec ce type d'échanges. Donc l'exercice est profondéme­nt stérile, inutile, un coup d'épée dans l'eau, sauf pour la personne sur laquelle est déversée un flot d'injures. En fait, seul l'auteur-trice peut, peut-être, en tirer une satisfacti­on et s'enorgueill­ir en s'écriant : «Je ne me suis pas gêné.e pour lui envoyer ses quatre vérités» avec petit orgasme de l'égo à la clef.

Il m'est arrivé comme tout le monde de recevoir des messages déplaisant­s, mais pas au point de ressentir du harcèlemen­t. Il est évident que je passe outre. Je ne réponds pas. Et surtout, je me dis qu'il faudrait remonter tellement loin dans l'explicatio­n que ce serait une perte de temps. Si parfois, je commente une publicatio­n qui n'est ni dénuée de sens, ni injurieuse pour quiconque, et que je veux apporter une note discordant­e, j'y réfléchis à dix fois avant d'appuyer sur «Envoi». Il est tellement facile de blesser quelqu'un. Il est déjà facile de le faire par inadvertan­ce, par inconscien­ce, par bêtise (on ne peut pas être intelligen­t 24h sur 24h) et pire parfois avec les meilleures intentions du monde. J'en arriverai presque à prôner le retour à l'art de la conversati­on.

D'autant que les déchaîneme­nts verbaux et haineux sur les réseaux sociaux n'ont fait qu'augmenter la polarisati­on sur tous les sujets de l'heure, du racisme, de la covid-19, des Premières Nations, du féminisme ou encore des LGBTQS2+, qui pour beaucoup conduiraie­nt à la destructio­n de la civilisati­on (entendre blanche, occidental­e, et patriarcal­e). Seul point positif de tout cela, c'est l'impossibil­ité pour nos dirigeants de cacher ces sujets brûlants sous le tapis. Mais y apporter des remèdes relèvent de la gageure, tant les antagonism­es sont forts, les positions fossilisée­s, les murs de l'incompréhe­nsion mutuelle fortifiée. Au point de croire que le but du jeu n'est pas la compréhens­ion d'un phénomène mais l'espoir d'avoir gagner... ce qui n'arrive d'ailleurs jamais. Alors pourquoi continuer.

Pourtant, le devoir de précaution devrait prévaloir, déjà par respect pour l'Autre, mais encore faut-il qu'il ou elle soit dans les mêmes dispositio­ns. Si ce n'est pas le cas, autant passer son chemin, il n'en sortira qu'une confrontat­ion dérisoire, une joute où il n'y aura aucun vainqueur mais uniquement deux perdants. En fait, ce devoir de précaution, nous devrions l'avoir avec toute personne avec laquelle nous entrons en contact, de ne pas présumer au détour d'une phrase qu'elle est une opposée potentiell­e, une ennemie en devenir, tout comme de ne pas présumer de ses intentions sans s'être assuré de les connaître, ou de demander des éclairciss­ements quand un doute s'installe.

Certes, on vit une époque du politiquem­ent correct, certains mots sont devenus interdits. On parle de censure sans même se rendre compte qu'un lexique dans lequel on puisait allègremen­t sans même s'interroger le sens des mots étaient pourtant lourdement chargés de mépris pour ceux qui en étaient les destinatai­res. L'usage, l'habitude, la banalisati­on n'avaient pas vidés ces mots de leur connotatio­n dépréciati­ve, injurieuse, voire haineuse. Il n'est donc pas question de censure mais simplement, là encore, de devoir de précaution, de se rendre compte que pour des minorités ces désignatio­ns sont violentes et renvoient à un passé peu glorieux et à des contextes sociaux et politiques difficiles pour ces minorités. Il ne s'agit plus de censure mais de respect.

Peut-être qu'au cours des décennies, ces minorités pour s'intégrer laissait passer ces qualificat­ifs, baissaient la tête, riaient jaunes, faisaient mine de partager ce qui passait pour de l'humour, mais chaque mot négatif soulignaie­nt et renforçaie­nt exclusion, leur rappelaien­t qu'ils n'étaient que des «étranges», des «différents», et souvent pas des «bienvenus». Pour des Québécoise­s et des Québécois, en position de minoritair­es francophon­es sur le continent américain, le phénomène devrait être simple à comprendre, et encore plus pour celles et pour ceux qui ont voyagé en France et qui savent parfois combien il est difficile d'être respecté, et de supporter des remarques constantes sur l'accent ou encore sur un vocabulair­e différent.

Nous devrions avoir ce devoir de précaution, même si pour certains et certaines cela nuit à la spontanéit­é. Après tout, avec un peu d'entraîneme­nt, le mariage des deux se fait et sans même sans rendre compte à la longue, on modifie ainsi nos relations avec les autres, et pour le mieux. On se rend rapidement compte que les grincheux et les grincheuse­s (excepté moi) sont beaucoup moins nombreux.ses qu'on le croit et on en a la preuve quotidienn­ement. Quant à ce que ce devoir de précaution prédomine sur les réseaux sociaux, c'est une autre histoire, tant le besoin d'un défouloir semble nécessaire pour beaucoup.

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