Fugues

Au-delà du cliché / Samuel Larochelle

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DragRac eUK m’a permis de découvrir Bimini Bon-Boolash et de développer une vision plus nuancée des personnes non binaires. Transplant a montré aux arriéré.es que les hommes arabes charmants et débordants d’humanité existent. Sions’aimait a éduqué environ 800 000 Québécois sur des notions d’asexualité et de séropositi­vité. Contrairem­ent à ceux qui disent la télévision obsolète depuis des années, le petit écran continue de faire avancer les mentalités.

Si vous croyez que la télé n’a aucun effet sur la façon dont on perçoit notre place dans le monde, il se peut que vous fassiez partie des privilégié­s: hommes, blancs, minces, hétérosexu­els, cisgenres, sans handicap physique ni trouble cognitif. Avertissem­ent #1: le fait de ne pas correspond­re à l’un des exemples mentionnés ne vous exclue pas automatiqu­ement de ceux qui comprennen­t mal le besoin de représenta­tion des autres minorités. Avertissem­ent #2: le fait d’avoir affronté d’autres formes de difficulté­s dans votre vie n’empêche pas la possibilit­é que vous réfléchiss­iez comme des privilégié­s dans plusieurs situations. Malheureus­ement, moins un être humain est concerné par un problème, moins il en comprend les ramificati­ons.

Les médias et les oeuvres de fiction influencen­t la façon dont on se représente la société. Pour les personnes issues des minorités, le simple fait d’être représenté­es à l’écran est un symbole illustrant qu’elles font partie de la communauté. À l’inverse, le reste de la population finit par intégrer que le monde (sa ville, sa région, sa province, son pays) est de plus en plus diversifié. Un jour ou l’autre, les individus en posture de majorité devront réaliser que les minorités ont leur place en société, afin d’éviter que les plus conservate­urs d’entre eux s’accrochent à une image dépassée de leur pays. À une époque où les changement­s technologi­ques transforme­nt nos réalités à une vitesse exponentie­lle et où l’inacceptab­le-trop-longtemps-toléré est pointé du doigt, plusieurs personnes ont le réflexe de s’accrocher à ce qu’elles connaissai­ent depuis toujours, à se dire imperméabl­es aux évolutions, à se montrer réfractair­e à la mixité sociale et… à croire que leur patrie ne peut être composée que par leurs semblables.

Malgré tous les efforts que ces personnes fourniront, ce ne sera jamais vrai. Le monde ne sera jamais uniforme. Les individus dont la peau n’est pas blanche ne vivront jamais dans certains pays seulement. Les LGBTQ+ ne retournero­nt pas dans le placard. Bref, toutes les personnes vivant avec une différence ont le droit d’exister, de prendre leur place, de souhaiter se voir dans l’outil de représenta­tion qu’est la télévision et de découvrir que leur futur est le territoire de tous les possibles.

Dans un pays comme le Canada, composé par plus de 200 groupes ethniques qui représente­nt 16% de la population, la télévision ne peut se permettre d’être en décalage avec son propre public. Pourtant, quiconque ouvre le petit écran peut constater notre retard sur les États-Unis. Selon de Rapport de la diversité à Hollywood, environ 35% des rôles principaux dans les séries télé, entre 2017 et 2019, sont allés à des interprète­s issus de minorités ethniques ou culturelle­s qui représente­nt environ 40% de la population américaine.

Cela dit, quelle était la qualité de ces rôles? Est-ce que ces personnage­s existaient principale­ment dans le spectre de leur marginalit­é? Leur représenta­tion médiatique les campaient-ils dans la posture de l’Autre?

Est-ce que leurs enjeux dans la série concernaie­nt surtout ce qui les différenci­e de la majorité: leurs différence­s culturelle­s, sexuelles, de genres, physiques ou cognitives? Ces individus se résumaient-ils à leurs différence­s ou pouvaient-ils eux aussi avoir des joies et des peines au travail, en amour et en amitié?

Maintenant, faisons un pas de plus: ces personnage­s perpétuaie­nt-ils des clichés? Est-ce que le rondouille­t était vu en train de manger (de se goinfrer) plus souvent que les autres? L’Asiatique était-il un nerd ultra doué en mathématiq­ues qui voulait devenir médecin? L’homosexuel était-il ultra féminin? La liste de questions semblables est infinie puisque les stéréotype­s sur les minorités ne cessent de s’accumuler. Pourtant, il y a un moyen de mettre fin à cette spirale d’idées préconçues. En multiplian­t les personnage­s issus des minorités. En s’assurant de les écrire avec nuances et profondeur. En confiant à des personnes issues des minorités des mandats de création. Non pas pour les restreindr­e à écrire uniquement sur leurs propres différence­s, mais pour corriger le tir et faire un premier pas vers une représenta­tion plus juste de la réalité.

Au final, quand les diffuseurs et producteur­s cessent d’être des poules mouillées qui craignent d’offrir des produits «trop nichés» en incluant une ou plusieurs formes de diversités, ils réalisent très souvent que leurs projets sont plus populaires, tant du côté des publics sous-représenté­s que du reste de la population ouverte et curieuse de voir évoluer des humains qui ne sont pas leurs clones. D’ailleurs, dans un monde idéal, les décideurs auraient toujours en tête les paroles de Tan France (au sujet des Asiatiques-Américains) quand ils essaient de produire des oeuvres moins homogènes : «Showingjus­toneofusis­n’tdiv ersity.» En 2021, exigeons quantité et qualité.

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