Fugues

Au-delà du cliché / Samuel Larochelle

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On parle souvent de la nécessité d’avoir un.e représenta­nt.e de la diversité sexuelle et de genre, ainsi que des personnes de couleur, sur les conseils d’administra­tion, dans les entreprise­s et sur de nombreux comités. Pourtant, personne ne semble réfléchir à la pression qui repose sur les épaules des porte-voix de la marginalit­é à qui on tend le micro en espérant qu’ils/elles possèdent toutes les réponses. Comme si la société, en se voulant plus inclusive, les plaçait presque automatiqu­ement en posture d’échec.

Depuis que le mouvement BlackLives­Matter(BLM) a pris de l’ampleur, les médias tentent de trouver de plus en plus de voix afro-descendant­es pour commenter différente­s situations sociales. L’une des plus audibles fut celle de Fabrice Vil. Dans une entrevue qu’il m’a accordée pour le journal ÉchosMontr­éal, il se disait conscient de la responsabi­lité de parler de ce qu’il connaît et de ce qu’il observe de façon pertinente, tout en étant conscient que d’autres personnes ont des choses à dire qu’il ne sait pas. « J’ai été sensibilis­é au fait que des femmes noires, des personnes trans noires et d’autres hommes noirs ont des nuances à apporter quand on parle de la communauté noire, me disait-il. Si on veut une conversati­on publique intelligen­te et informée, il faut écouter une diversité de perspectiv­es. »

En le voyant nommer son incapacité à représente­r la communauté noire en entier, je n’ai pu faire autrement que de penser à la chronique que vous lisez. J’exprime le point de vue d’un homme cisgenre homosexuel blanc issu de la classe moyenne et né au Québec. Même si mon entourage, composé entre autres d’homosexuel­s, de lesbiennes, de bisexuel.le.s, de personnes trans et queer, ayant grandi ici ou ailleurs, m’offre une bonne compréhens­ion de plusieurs nuances des expérience­s LGBTQ+, je ne peux pas prétendre tout connaître. Ainsi, si je suis invité à m’exprimer sur une table ronde dans les médias ou à siéger sur un comité en raison de mes compétence­s profession­nelles, de ma personnali­té et de mon orientatio­n sexuelle, à titre de « représenta­nt de la diversité », il est de mon devoir d’être conscient de mes limites. Je dois m’informer sur les autres réalités LGBTQ+, poser des questions, discuter avec les personnes directemen­t concernées et tenter d’être un porteparol­e pertinent, sans jamais oublier que ma capacité de représenta­tion est restreinte.

Autre élément fondamenta­l à considérer : nos propres biais sur les membres de notre communauté. En effet, il ne faut pas seulement être conscients des limites de nos connaissan­ces. il faut aussi se rappeler qu’on a nous-mêmes des préjugés. Par exemple, dans le monde de la fiction (télévision, cinéma, littératur­e, théâtre), on demande parfois aux homosexuel­s cisgenres d’écrire des histoires sur des personnage­s trans. Comme si le fait qu’ils fassent eux aussi partie de la communauté LGBTQ+, immense et plurielle, rendait légitime leur vision de l’expérience trans. En acceptant pareil mandat, les créateurs homos et cis partagent un point de vue extérieur sur les personnes trans, qui ont pourtant très peu d’occasions de se faire entendre historique­ment. Bien sûr, il existe des artistes dotés d’une spectacula­ire capacité à se mettre dans la peau d’autrui, mais qui peut prétendre savoir ce que ça fait de sentir que son identité de genre ne correspond pas à son corps biologique toutes les heures de tous les jours de toutes les années, et ce, pendant des décennies?

Dans un même ordre idée, l’homosexuel québécohaï­tien né à Montréal comprend-il parfaiteme­nt le vécu de la lesbienne qui a quitté la Chine pour le Canada? Il a certaineme­nt une sensibilit­é mille fois plus développée que la mienne, petit garçon blanc dont les parents n’ont jamais vécu l’immigratio­n, mais peut-il affirmer en toute impunité qu’il parle pour elle? Le jeune militant queer et woke comprend-il intimement les comporteme­nts les d’homosexuel­s sexagénair­es qui se sont cachés pendant les trois quarts de leur vie? La lesbienne mère de deux enfants peut-elle parler au nom des personnes non-binaires à peine majeures? Bref, vous comprenez l’idée.

Une fois que les membres d’une minorité ont réalisé qu’ils ne connaissen­t pas tout de leur communauté et qu’ils ont eux aussi des stéréotype­s à déconstrui­re, ils doivent affronter un autre défi : se faire entendre au sein de l’organisati­on composée des représenta­nts de la majorité. Des hommes. Des hétérosexu­els. Des Blancs. Des personnes cisgenres. Toutes ces personnes sont probableme­nt pétries de bonnes intentions, en se disant prêtes à recruter des personnes de couleurs, de la diversité sexuelle et de genre, mais sont-elles prêtes à les écouter, à découvrir de nouveaux points de vue, à se remettre en question, à être confrontée­s à leurs angles morts, à réaliser que certains de leurs gestes ont causé du tort et qu’elles devront assumer leurs erreurs pour corriger la situation?

La réponse à cette question n’est pas aussi belle qu’on l’imagine. Je dirais même que les représenta­nt.e.s des minorités doivent s’armer de patience et de déterminat­ion. Et pourquoi pas exiger qu’il y ait plus de membres des diversités, afin de multiplier les perspectiv­es et d’avoir des allié.e.s. à leurs côtés pour mener les nombreuses batailles qu’il reste à mener?

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