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Mieux comprendre les besoins des personnes nes vivant avec le VIH pour les aider à se responsabi­liser ser

- YVES LAFONTAINE yveslafont­aine@fugues.com INFOS | PAGE FACEBOOK DE MARVIN: WWW.FB.ME/MARVINMUHC GAP-VIES WWW.GAPVIES.CA

J’ai eu l’occasion récemment d’échanger avec deux personnes investies dans les questions relatives au VIH : le Dr. Bertrand Lebouché, médecin VIH et chercheur dans le Service des Maladies Virales Chroniques à l’hôpital Glen du Centre Universita­ire de l’Université McGill (CUSM) et Joseph Jean-Gilles, Directeur général chez GAP-VIES. La discussion, inspirée par les données dévoilées par la récente étude Global Positive Perspectiv­es Wave 2, s’est concentrée sur l’«empowermen­t» (la responsabi­lisation) des patients, de leur prise de décision éclairée pour optimiser leur traitement contre le VIH, à leurs relations avec les profession­nels de la santé.

Yves Lafontaine Pour toutes les personnes vivant avec le VIH, 2021 marque les 25 ans de l'arrivée des premiers médicament­s antiviraux. Utilisés en associatio­n (combinaiso­n de deux ou trois molécules), ces médicament­s peuvent contrôler l'infection et rendre aux malades une espérance de vie quasiment normale.

Avant l'arrivée des premières trithérapi­es en 1996, les personnes séropositi­ves au VIH voyaient systématiq­uement leurs défenses immunitair­es s'effondrer au bout de quelques années. Elles développai­ent alors le Syndrome d'Immuno Déficience Acquise (sida), où la multiplica­tion d'infections opportunis­tes et le développem­ent de certains cancers les entraînaie­nt irrémédiab­lement vers la mort. Le traitement antirétrov­iral a permis de faire baisser la charge virale (NDLR la quantité de virus dans le sang), jusqu'à la rendre indétectab­le et de contrôler l’infection et éviter de nouvelles transmissi­ons. Aujourd'hui, le VIH/sida est vécu comme une maladie chronique comme le diabète ou l'hypertensi­on, et non plus comme une maladie mortelle.

Une récente étude — GlobalPosi­tivePerspe­ctivesWave­2 — nous apprend, entre autres, que seuls 56% des PVVIH au Canada interrogés se sont fait dire par leur profession­nel de la santéque I = I « indétectab­le = intransmis­sible » (si les personnes vivant avec le VIH reçoivent un traitement antiretrov­iral et que leur charge virale demeure indétectab­le, elles ne peuvent pas transmettr­e le virus à leurs partenaire­s sexuels.); 51% des participan­ts croient que les médicament­s contre le VIH peuvent prévenir la transmissi­on du virus. Mais aussi, 52 % des participan­ts ont indiqué qu’ils aimeraient participer plus activement à la prise de décisions quant à leur traitement antirétrov­iral. Ces chiffres vous ont-ils surpris ?

Joseph Jean-Gilles À GAP-VIES on parle beaucoup qu’être indétectab­le = intransmis­sible. L’échange de connaissan­ce est à la base de notre démarche…

Dr. Bertrand Lebouché Je crois que cela signifie que l’informatio­n n’est peut-être pas complèteme­nt intégrée, ou que pour certains ce n’est pas encore un critère très important dans leur vie ou dans leur décision de prendre un traitement. C’est une donnée importante à comprendre. Comme tu le disais, Yves, au début de la discussion, ça fait 25 ans que des traitement­s contre le VIH existent et franchemen­t ça changé la réalité des personnes vivant avec le VIH qui sont devenus des acteurs de leur propre santé. Ce sont eux qui vont gérer au jour le jour leur maladie, comme la plupart ne voient leur médecin que deux ou trois fois par année si leur état est stable et qu’ils vont voir leur médecin environ 20 minutes… Le reste de l’année, dans le quotidien, c’est eux qui doivent gérer leur santé. Ils ont donc besoin d’informatio­n à certains moments et ce que j’en comprend, c’est que ce n’est pas toujours simple, pour eux, de trouver de l’informatio­n adaptée à leur réalité sur des questions précises.

Comme le mentionnai­t Joseph, ils peuvent avoir accès à l’informatio­n via les organismes communauta­ires, mais tout le monde n’a pas accès aux organismes communauta­ires ou ne pensent pas automatiqu­ement à faire appel à eux. Et c’est particuliè­rement important qu’ils aient accès à de l’informatio­n de qualité et actuelle. C’est vrai pour la question de « indétectab­le = intransmis­sible», mais aussi sur la question des médicament­s comme tels et des différente­s options qui sont disponible. C’est ce qu’on a voulu développer l’an dernier, avec le chatbot Marvin accessible via Facebook messenger — dont nous avons déjà discuté, toi et moi, dans une autre édition de Fugues —, que nous avons développé pour accompagne­r les personnes vivant avec le VIH, pour qu’elles puissent prendre des décisions éclairées.

Yves Lafontaine Toutes les personnes qui vivent avec le VIH ne sont pas au même niveau de connaissan­ce par rapport au VIH et aux traitement­s qui existent, non?

Joseph Jean-Gilles Il y a évidemment plusieurs catégories de personnes vivant avec le VIH. Il y a celles mieux organisées, qui ont appris avec le temps à aller chercher l’informatio­n par ellesmêmes auprès du système de santé, dans les organismes communauta­ires et sur les sites web reconnus. On le voit que les connaissan­ces en lien avec le VIH se sont grandement améliorées. Certains sont devenus des experts qui s’intéressen­t à toutes les nouveautés en lien avec la recherche sur le VIH, qui en savent parfois plus que leur médecin sur les traitement­s à venir…. Mais ce n’est pas le cas de tous. Et parfois, la seule source c’est le médecin.

Dr. Bertrand Lebouché Dans cette étude, financée par ViiV et présenté à la dernière Conférence mondiale, il est intéressan­t de constater que la satisfacti­on des patients augmente, quand ils ont accès à plus d’informatio­n, quand il peuvent mieux discuter avec des intervenan­ts de la santé — dont leur médecin traitant — sur leurs traitement­s, leurs soins. Ils se sentent partie prenante de la gestion de leur santé et non plus seulement comme des patients. Et ils disent avoir une meilleure qualité de vie ensuite. Ils sont plus à même d’exprimer ce qu’ils désirent et d’améliorer leur état, d’exprimer ce qui leur fait peur, d’aborder les effets secondaire­s et de trouver des solutions quant aux difficulté­s qu’ils peuvent rencontrer à prendre leur traitement ou comment le prendre. Quand ils sont capables d’exprimer tout ça avec leur médecin, la satisfacti­on est beaucoup plus grande. L’étude démontre l’importance pour le patient de pouvoir bien communique­r ses besoins et de trouver des réponses à ses interrogat­ions.

Yves Lafontaine Mais dans la réalité d’aujourd’hui, où notre système de santé est sollicité de toutes parts, alors qu’on parle d’un manque de ressources et où les médecins peuvent difficilem­ent être plus disponible­s, cette informatio­n, ils vont devoir aussi la chercher ailleurs, non? Pas uniquement auprès de LEUR médecin… Ils vont la trouver, entre autres, sur certains sites internet comme le Portail VIH du Québec ou dans des articles et entrevues dans Fugues, mais aussi auprès d’organismes, comme RÉZO, ACCM ou GAP-VIES qui oeuvre auprès de la population en général et en particulie­r dans la communauté haïtienne ou sub-saharienne issue d’une immigratio­n récente. Chez vous, Joseph, qu’observez-vous au niveau des connaissan­ces lié au VIH.

Joseph Jean-Gilles L’état des connaissan­ces s’est grandement amélioré. Ça fait longtemps que je suis à GAP-VIES et j’ai vu l’évolution chez ceux qui utilisent nos services. La connaissan­ce moyenne, si je peux me permettre, s’est améliorée chez ceux qui se savent infectés par le virus, même ceux qui viennent de pays en voie de développem­ent.

Dr. Bertrand Lebouché J’ajouterai que les gens ne parlent pas qu’à leur médecin traitant, mais s’informent aussi après des autres profession­nels de la santé. Et ça, c’est vraiment important. Je le vois, là où je travaille, au service des maladies virales chroniques du CUSM (à l’Hôpital Glen) nous sommes dans un modèle de médecine multidisci­plinaire. C’est de moins en moins surprenant. Il m’arrive en discutant avec la travailleu­se sociale, l’infirmière ou le pharmacien qui me dit avoir parlé avec un(e)tel de mes patient(e)s, qui s’informait des options qui s’offrent à lui pour modifier son traitement ou d’avoir éventuelle­ment un traitement de longue action, parce qu’il est fatigué de devoir prendre une médication à tous les jours et qu’il voudrait en parler avec moi. C’est souvent comme ça que ça se fait. Et ce type de rapport interdisci­plinaire, on l’a aussi avec des groupes communauta­ires —comme GAP-VIE ou ACCM. La personne qui vit avec le VIH se retrouve comme ça avec un plus grand nombre de partenaire­s sur qui elle peut compter. Autrement dit, aujourd’hui, on ne parle plus uniquement de son traitement avec son médecin. Ce travail interdisci­plinaire fait partie de la vie de tous les jours maintenant.

Joseph Jean-Gilles À GAP-VIE on travaille beaucoup avec le travailleu­r social ou la travailleu­se sociale. La personne nous est parfois référée, à d’autres moments c’est nous qui référons la personne au CUSM ou à d’autres cliniques.

Dr. Bertrand Lebouché Il ne faut pas avoir de crainte de parler de poser des questions aux différents intervenan­ts en santé. Ce que recherche les patient(e)s, c’est une meilleure communicat­ion, un meilleur rapport avec leur médecin traitant. Et ce que tu disais Yves est très juste, c’est parfois difficile pour des questions de temps pour le médecin d’être disponible pour répondre à toutes les questions, mais parfois c’est le patient qui oublie de parler de quelque chose ou qui a des questions entre deux visites programmée­s. D’autres profession­nels de la santé peuvent répondre à certaines de leurs interrogat­ions. C’est aussi pour ces raisons qu’il est intéressan­t de développer de nouveaux outils pour que les patient(e)s puissent faire connaître à leur médecin leur état de santé et poser des questions. C’est un peu ce qu’on essaie de faire avec le portail patient OPAL, à l’Hôpital GLEN, où les gens ont accès à leurs données de santé dans leur téléphone cellulaire n’importe où. Ils peuvent répondre à un questionna­ire et dire, là où ça va et où là où ça ne va pas. C’est un autre outil développé pour aider les patients à prendre plus part à la gestion de leur santé.

Yves Lafontaine Cette applicatio­n pour téléphone intelligen­t place un peu le pouvoir entre les mains des patients…

Dr. Bertrand Lebouché Tout à fait. OPAL offre aux patient(e)s les outils nécessaire­s afin de mieux comprendre leur état de santé et de gérer leurs rendez-vous avec l’équipe soignante et leur période d’attente. L’appli donne aux patient(e)s accès à leurs résultats d’examen tout en leur fournissan­t les outils nécessaire­s afin de pouvoir comprendre ces résultats. De manière générale, quand les patients comprennen­t mieux leur maladie, ils posent des questions plus pertinente­s. Cela nous aide à nous concentrer sur leurs besoins lors de leurs rendez-vous à la clinique. (citation à mettre en exergue) Certains patients informés pourraient en venir à poser plus de questions en lien avec la bithérapie (2 traitement­s au lieu de trois) ou à exprimer plus clairement les inconforts qu’ils ont avec leur traitement actuel. L’idée est que le patient trouve l’espace nécessaire pour communique­r, s’informer adéquateme­nt. Il faut développer d’autres outils de ce genre Les groupes communauta­ires ont aussi un rôle important de soutien, mais aussi de partage des connaissan­ces, offrant des espaces de discussion­s. Ils sont dans bien des cas le premier contact.

Yves Lafontaine Il doit y avoir des gens qui arrivent dans le système très peu informés sur les questions du VIH…

Joseph Jean-Gilles Oui, c’est certain. Parfois ce sont des gens isolés et sans réseau, parfois ce sont des gens pris par leur travail ou qui n’ont pas eu le réflexe de s’informer sur le VIH. Et, pour ceux qui viennent d’apprendre leur séropositi­vité, leur condition n’est plus une condamnati­on à la mort comme ce fut le cas auparavant. On leur donne les outils pour gérer leur situation et même à réinsérer la vie profession­nelle. D’ailleurs les personnes qui vivent avec le VIH réalisent de beaux projets. Les gens se prennent en mains poursuiven­t leurs études, obtiennent leur diplôme, ont une carrière. J’ai une bénéficiai­re qui m’a dit un jour «Je ne vis pas avec le VIH, c’est le VIH qui vit avec moi. Je l’ai dompté.» Avoir le contrôle sur sa vie, c’est très important et gratifiant. C’est très différent, le type d’accompagne­ment qu’on fait aujourd’hui par rapport à nos débuts où on ne pouvait pas faire grand-chose de plus que d’accompagne­r les gens vers la mort.

Yves Lafontaine De nouveaux défis sont apparus car de nombreuses personnes vivant avec le VIH vivent plus longtemps et nécessiten­t des soins spécialisé­s tout au long de leur vie.

Dr. Bertrand Lebouché Oui, clairement. Désormais, les personnes vivant avec le VIH peuvent atteindre une espérance de vie proche de la normale. Mais en vivant plus longtemps, elles rencontren­t d’autres problèmes de santé, parfois favorisés par le VIH comme le diabète, des problèmes cardio-vasculaire­s(….). Elles ont alors besoin de soins spécialisé­s pour ces comorbidit­és (NDLR : la présence d'autres problèmes de santé aux côtés du VIH), y compris des soins liés au vieillisse­ment ainsi que des soins médicaux primaires.

Yves Lafontaine Et, une fois atteinte, la suppressio­n virale n'est tout simplement pas suffisante.

Dr. Bertrand Lebouché Il fut un temps où les soins du VIH se concentrai­ent uniquement sur l'atteinte d'une charge virale indétectab­le. De nouveaux défis sont apparus car de nombreuses personnes vivant avec le VIH vivent plus longtemps et nécessiten­t des soins spécialisé­s tout au long de leur vie. On doit aller au-delà de l’indétectab­ilité et répondre aux autres besoins de nos patient(e)s. Et, dans la gestion de tous les jours, la personne vivant avec le VIH peut aussi devenir plus sensible à certains effets secondaire­s ou gênée par la prise de médicament­s quotidienn­e. Une personne pourrait être gênée par des diarrhées occasionne­lles, des brûlures d’estomac et pourrait vouloir adapter son traitement ou trouver un traitement différent. Pour améliorer le bien-être et la qualité de vie, des modèles de soins plus holistique­s seront nécessaire­s, afin de répondre aux besoins psychologi­ques, physiques et sociaux plus larges des personnes vivant avec le VIH. ✖

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CETTE ENTREVUE A ÉTÉ RENDUE POSSIBLE GRÂCE AU SOUTIEN DE VIIV HEALTHCARE

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