Fugues

LA DIVINE COMÉDIE D’OSCAR WILDE

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C’est à l’âge de 46 qu’Oscar Wilde s’éteint, le 30 novembre 1900, à peine trois ans après sa libération suite à une condamnati­on pour crime de sodomie. Afin d’échapper à la vindicte populaire dorénavant associée à son nom, il se réfugie à Paris où il vivra du soutien de quelques admirateur­s qui lui voue le plus grand respect.

Cette dernière période ne sera cependant pas de tout repos puisque, rongé par un état de santé chancelant, l’écrivain sombre progressiv­ement dans l’alcoolisme, la toxicomani­e et le délire. Un portrait peu engageant, il faut l’avouer, mais qui est cependant présenté de main de maître par Javier de Isusi, un dessinateu­r et artiste-peintre espagnol, dont cette oeuvre maîtresse fut récompensé­e du Premio Nacional del Comic décerné par le ministère de la Culture espagnol.

Assez inhabituel dans sa structure, la bande dessinée alterne entre témoignage­s des proches de l’écrivain et moments charnières de ses trois dernières années où les prostitués s’enchainent allègremen­t avec une consommati­on effrénée de drogues, d’absinthe (une boisson délétère qui peut contenir jusqu’à 90% d’alcool) et du désespoir d’un homme qui contemple de près sa déchéance.

Chacune des pages se présente sous des tons de lavis sépia qui donnent le sentiment de contempler une véritable fresque d’époque, un peu comme si le lecteur découvrait un cliché d’autrefois, révélé au hasard des fouilles d’un grenier. Cette teinte presque délavée, en opposition avec une utilisatio­n sciemment écartée de couleurs vives, est sans doute également représenta­tive de la vision qu’a l’écrivain de sa propre déchéance.

Le récit alterne judicieuse­ment entre des moments de plus grande exposition du personnage, via les différents témoignage­s, qui mettent ainsi en lumière sa gloire passée, et son incapacité à se relever de cette chute et de cette trahison sociale qui l’ont atteint de plein fouet. Paradoxale­ment, cette flétrissur­e demeure ponctuée d’éclairs de génie puisque même dans ses moments les plus sombres, l’homme de lettres est toujours en mesure de porter un regard critique sur la société et lui asséner des pointes fort bien aiguisées.

De longues heures de recherche, dans les différents écrits d’Oscar Wilde et de ses proches, ont sans aucun doute dû être réalisées afin composer un portrait aussi réaliste et détaillé. Au-delà de ce souci d’une exactitude historique, Javier de Isusi ne sombre jamais dans l’académique et nous offre bien plutôt une oeuvre à la fois forte et extrêmemen­t émouvante. Pavé monumental, le roman graphique compte 376 pages qui fleurent la mélancolie, mais également une force de caractère toujours présente en filigrane et qui laisse entrevoir, au-delà de ce qu’il a été, ce qu’il aurait également pu être. Une oeuvre magnifique et magistrale! ✖

INFOS | LA DIVINE COMÉDIE D’OSCAR WILDE / JAVIER DE ISUSI. TARNAC, FRANCE : RACKHAM ÉDITIONS, 2021. 376P. (HORS-COLLECTION).

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