Fugues

Au-delà du cliché

- / Samuel Larochelle

Scène iconique du cinéma : Susan Sarandon face à Julia Roberts, la femme qui a donné naissance et élevé deux-enfants-trop-beaux-pour-la-ligue en pleine discussion avec celle qui prendra le relais après son décès. En 1998, ce passage du film Stepmom a détruit tout ce que j’avais de glandes lacrymales. La première fois que je l’ai visionné, j’ai pris le parti de la nouvelle copine, la belle-maman cool qui apprend à une adolescent­e comment donner du relief à son dessin. À l’époque, j’étais convaincu qu’il s’agissait exclusivem­ent d’histoires de couples hétérosexu­els. Quelque 23 ans plus tard, la vie m’a donné tort.

Cette année, j’ai rencontré deux homosexuel­s qui venaient avec un ou plusieurs enfants. Le premier affirmait que ses garçons étaient une valeur ajoutée dans la vie de son futur copain. Le deuxième s’excusait presque de parler de sa fille lors de notre rendez-vous. Pour ma part, j’essayais d’imaginer à quoi ressembler­ait ma vie si j’échangeais mon titre de célibatair­e endurci pour celui de beau-père.* Je vous entends déjà dire que les homosexuel­s qui ont des enfants ne sont pas une invention récente. Vous avez raison. Au cours des dernières décennies, il n’a pas été rare de voir des papas prendre conscience de leur attirance ou de leurs préférence­s pour les hommes, avant de quitter leur femme, de faire des expérience­s avec différents partenaire­s masculins (ou pas), de s’engager dans une relation avec un homme (ou pas) et d’essayer d’établir une nouvelle dynamique familiale (ou pas).

Ceci dit, de nouvelles données sont apparues à partir de 2002, quand la loi 84 a reconnu les parents de même sexe et ouvert la voie à l’adoption par des personnes de même sexe au Québec. Cette année-là, l’État écrivait noir sur blanc que les couples formés par des personnes de même sexe pouvaient se rêver et éventuelle­ment se dire parents. Bref, le paradigme familial québécois venait de changer.

Pendant des décennies, le projet de parentalit­é avait été mis de côté par une majorité de personnes LGBTQ+ faisant partie des babyboumeu­rs et de la génération X. Plusieurs de ces personnes n’avaient pas envie d’être parents. D’autres croyaient que la parentalit­é était un concept inaccessib­le ou réservé aux hétérosexu­els. Avec le temps, les millénaria­ux et les membres de la génération Z ont pris leur place en société en déconstrui­sant les idées reçues, en profitant des droits obtenus par les militants LGBTQ+ venus avant eux et en se donnant le droit de rêver à une famille dans une proportion grandissan­te.

Bien entendu, le désir d’avoir des enfants n’est pas présent chez toutes les personnes queer. Mais la parentalit­é leur est désormais accessible. Souvent complexe, assurément plus longue et plus chère que pour les hétérosexu­els, mais possible. Ce qui a pour effet une augmentati­on des parents de même sexe. Et puisque le concept de rupture n’a pas d’orientatio­n sexuelle, on remarque peu à peu l’apparition des parents de même sexe qui se séparent ou qui divorcent, avant de réintégrer le merveilleu­x monde des célibatair­es.

En 2020, environ 18 ans après mon entrée sur le marché de la cruise, j’ai daté mon premier papa gai : un homme qui avait fait son coming out dans la mi-trentaine.

Quand je l’entendais me parler de ses fils, de leurs activités et de leurs insides, je me suis demandé quelle place je pourrais occuper dans leur vie si je devenais le copain de leur père. D’innombrabl­es questions ont suivi. À partir de quand est-ce justifié de présenter un nouveau conjoint à ses enfants? À quoi ressemble la garde partagée avec la mère? Cette femme me verrat-elle comme le symbole de ce qui a brisé son couple (l’homosexual­ité)? Sera-t-elle hostile à ma présence?

Et les enfants? Comment vivent-ils la nouvelle réalité de leur père? Même s’ils acceptent son orientatio­n sexuelle, sont-ils prêts à accueillir un nouvel adulte dans leur vie? Les fréquenter­ais-je sur une base assez régulière pour faire preuve d’autorité avec eux ou pour avoir une influence sur leur développem­ent? Qu’ai-je à leur offrir en tant que trentenair­e passionné d’arts, de sports, de psychologi­e et d’actualité? Aurai-je la patience de côtoyer des enfants qui deviendron­t des adolescent­s? Suis-je ouvert à l’idée de leur faire de la place dans ma vie? Si on me demande de m’investir dans leurs activités, saurais-je leur donner du temps de qualité? Est-ce que ça impliquera­it d’avoir moins de temps libre, de moins voir mes amis, de faire moins de sport et d’écrire moins de romans? Sur une note plus positive : est-ce que le rôle de beau-père pourrait être la façon idéale de combler le besoin de transmissi­on qui croît en moi depuis des années?

De toute évidence, j’extrapole à la puissance mille. Je ne suis pas obligé de me poser ces questions dès les premières rencontres. Je pourrais attendre des semaines, voire des mois, pour plonger dans cette réflexion. N’empêche que quiconque envisage de devenir un beau-parent devra y penser éventuelle­ment. Et avec le nombre grandissan­t de parents queers, nous serons de plus en plus nombreux à y être confrontés.

*J’exprimelep­ointdevued’unhommegai­quidatedes hommes,toutensach­antquecett­esituation­s’applique àplusieurs­autrespers­onnesLGBTQ+.

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