Fugues

Où sont les lesbiennes

- / Julie Vaillancou­rt

La Faucheuse a fait des ravages dans mon entourage, ces derniers temps. J’aimerais, étant donné la tribune qui m’est octroyée, honorer la mémoire de ces activistes, ces acteurs importants de notre communauté, qui nous ont quittés trop tôt.

In Memoriam

Je dois commencer par mon collègue au Fugues, Michel Joanny-Furtin. Journalist­e depuis plus de deux décennies pour le magazine, il a su faire sa marque au sein de la communauté LGBTQ+ québécoise. Pour moi, un grand journalist­e met avant tout de l’avant la nouvelle/ l’interviewé.e/le sujet, au lieu de se mettre de l’avant lui-même. Michel était l’un d’eux. Humble, empathique, vif d’esprit, j’adorais son humour, où Denis-Daniel Boullé et lui se renvoyaien­t toujours la balle; des échanges hilarants. Dans un comité de rédaction, lorsque vous avez deux journalist­es gais et français qui ont le jeu de mots sur le bout de la langue, ça donne lieu à bien des blagues salaces et grivoises, je ne vous apprends rien! Michel a partagé avec moi sa passion de la musique et le cinéma, tant à l’oral qu’à l’écrit, et pour ce, je l’en remercie. Sans compter qu’il avait une expérience réussie d’une relation amoureuse France-Québec… un sujet qui alimentait nos conversati­ons. Mes sincères sympathies à son conjoint Stéphan ainsi qu’à toutes les personnes ayant eu la chance de le côtoyer de près ou de loin. Repose en paix, Michel.

À peine quelques semaines avant le départ de Michel, une autre figure importante de la communauté nous quittait : Johanne Coulombe. Atteinte d’un cancer foudroyant, Jojo est partie trop vite. Un choc.

Laissant sa conjointe Céline dans le deuil. Et nombre de projets en chantier, que nous nous efforçons de terminer. À peine quelques semaines avant sa mort, je travaillai­s sur un de ses projets et elle m’avait remerciée de lui «permettre de réaliser son rêve». Quelle humilité! Je l’avais à mon tour remerciée de me permettre de prendre part à ses rêves. Rassembleu­se à l’énergie positive, Johanne était une femme de projets qui avait entrepris de concrétise­r ses idées. Une militante active. Drôle, travaillan­te, humble et authentiqu­e, elle était membre du conseil d’administra­tion du Réseau des lesbiennes du Québec (RLQ), où elle a chapeauté plusieurs projets d’envergure, dont la soirée hommage à l’École Gilford, ou encore l’émission parodique de Toutlemond­eenparle titrée Touteslesl­esbiennese­n parlent.

Depuis les années 80, Johanne affichait son lesbianism­e radical par le biais de la revue Amazones d’hier, lesbienne d’aujourd’hui, une initiative qu’elle mettait encore de l’avant aujourd’hui par le biais de divers projets. Amoureuse des mots, elle cofonde avec Dominique Bourque Les éditions sans fin, qui ont édité depuis 2014 de nombreux ouvrages de lesbiennes. Plusieurs d’entre nous te sont redevables pour ton travail effectué pour la communauté lesbienne. Tu demeures dans nos coeurs, merci Jojo. Bon repos. Mes plus sincères condoléanc­es à toutes les personnes qui ont trouvé une place en son coeur, et plus particuliè­rement à Céline, sa conjointe de plus de trois décennies.

Devoir de mémoire

Tous deux dans la soixantain­e, Johanne et Michel nous ont quittés trop tôt. Ces personnes au grand coeur, humbles et empathique­s, ont été instigatri­ces de grandes choses. Ces individus exceptionn­els succèdent dans la mort à d’autres militants et militantes que je vous invite à inscrire ici : __________________. Puis, à méditer sur le sens de leurs actions et leurs apports à notre communauté. Si la COVID m’a appris une chose, c’est que nous avons la mémoire courte, d’autant plus lorsqu’il s’agit de pionniers plus âgés. J’ai malheureus­ement trop souvent entendu des phrases du genre «Laissez-les vieux mourir». Si on dit souvent que l’avenir appartient aux jeunes, la jeunesse n’est rien sans la sagesse des «vieux» sages. À une époque où l’histoire est bafouée, où le passé est révoqué puisque jugé par le regard du présent, j’ai l’impression que les ainés sont invalidés sans vergogne par les jeunes tout entiers dans I’Insta[nt]gram. Lorsque la Faucheuse fait des ravages, elle nous rappelle que la mort est un passage obligé qui n’a pas d’âge et elle nous force à faire un devoir de mémoire et à honorer ceux qui sont passés avant nous.

C’est d’ailleurs pour cette même raison que je célèbre le drapeau d’un militant qui est passé avant moi : Gilbert Baker. À force de vouloir recoudre du tissu, ajouter des couleurs, je reste avec l’amère impression qu’on veut faire table rase du passé. Un passé qui est ici plus que pertinent et positif quand on prend le temps de s’attarder à son histoire et à la symbolique de ses couleurs : «Le rose pour la sexualité, le rouge pour la vie, l’orangé pour la guérison, le jaune pour le soleil, le vert pour la nature, le turquoise pour l’art et la magie, le bleu pour la sérénité/l’harmonie et le violet pour l’esprit. Dû à un manque de tissus, le rose et le turquoise seront retirés de la version originale.» Et d’ajouter Gilbert Baker : «Le choix de l’arc-en-ciel est si parfait, car ce sont toutes les couleurs, et c’est ce que nous sommes!» En effet, la significat­ion des couleurs du drapeau arc-en-ciel est universell­e : elle représente les chakras à l’intérieur de chaque être humain, peu importe son orientatio­n sexuelle, son identité de genre, sa couleur de peau, son origine ethnique, son pays de naissance, sa langue et sa classe sociale.

Ce drapeau irisé qui «appartient à tout le monde», pour reprendre les paroles de son créateur, est une façon spirituell­e (à ne pas confondre avec la religion) de nous rappeler que célébrer ensemble, sous ces mêmes couleurs, c’est célébrer nos ressemblan­ces et nos différence­s. À mon sens, modifier ce drapeau ne fait qu’accentuer les différence­s. Inclure certaines réalités revient à en exclure d’autres. Ce que les sages de ce monde nous auront appris, c’est que plus ça change, plus c’est pareil : avant de disparaitr­e, ils nous parlent, mais nous faisons la sourde oreille.

Prenons le temps de réfléchir à ces activistes, ces acteurs de changement, souvent très humbles et pas nécessaire­ment sous les projecteur­s, qui ont consacré leur vie à la communauté LGBTQ+, à travers des actions concrètes. Certes imparfaite­s, comme tout ce que fait l’humain, ces actions sont le travail d’une vie. Puisque la Faucheuse peut passer à tout moment, honorons les actions de ces humbles militants au quotidien.

Lisez l’article écrit par mes collègues Denis, André et Yves pour leur grand ami Michel (p. 46)

En attendant une capsule hommage du RLQ, lisez le parcours de Johanne Coulombe et de sa compagne Céline Lessard lors d’une entrevue réalisée pour le Fugues en 2018 (p. 40) : issuu.com/fugues/docs/fuguesavri­l2018comp

Redécouvre­z l’histoire (et l’homme) derrière le drapeau irisé : www.fugues.com/2013/07/26/lhomme-derriere-le-drapeau-entrevue-avec-gilbert-baker

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