Fugues

Markus Thormeyer

continue d’écrire l’Histoire, dans et hors de la piscine

- SAMUEL LAROCHELLE samuel_larochelle@hotmail.com INFOS | INSTAGRAM : @LILMARQUEN­IS

En 1992, le nageur canadien Mark Tewksbury a gagné l’or aux Jeux olympiques de Barcelone, à une époque où les athlètes LGBTQ+ étaient presque tous dans le placard. Près de 30 ans plus tard, les choses ont bien changé. La preuve : le nageur canadien Markus Thormeyer a pu faire son coming out avant les JO de Tokyo sans craindre pour sa carrière.

Tu es rentré à Vancouver il y a une semaine [au moment de l’entrevue]. Comment te sens-tu?

Markus Thormeyer : Ça fait du bien d’être à la maison, de ne rien faire, de me reposer et de mettre mon cerveau à off. À Tokyo, j’étais dans un environnem­ent très intense et entouré d’athlètes qui avaient tous des objectifs très clairs. Ici, tout est plus tranquille. Depuis mon retour, je commence à réaliser ce que j’ai vécu.

Tu as participé aux demi-finales individuel­les aux 200 m dos et terminé quatrième au relais 4 x 100 mètres style libre. Qu’est-ce qui te rend le plus fier de cette expérience olympique?

Markus Thormeyer : Je suis heureux d’avoir su transforme­r en performanc­e tout ce que j’avais pratiqué à l’entraineme­nt, mais je suis particuliè­rement fier de la déterminat­ion et de la résilience dont j’ai fait preuve durant l’année menant aux Jeux. Entre février 2020 et le début de juin 2021, il n’y a eu aucune compétitio­n en natation de haut niveau à travers le pays, ce qui est très difficile pour les athlètes. C’est dur de s’entrainer sans arrêt et d’être privé d’opportunit­és de courir contre les autres. Les compétitio­ns sont motivantes et elles sont un bon moyen de savoir où on se situe en vue des essais olympiques et des JO. En plus, durant l’été 2020, on a carrément été privés d’accès à la piscine durant 4 mois! C’est vraiment long.

Mark Tewksbury a fait son coming out 6 ans après sa médaille olympique. Tu as parlé publiqueme­nt de ton orientatio­n sexuelle avant d’aller à Tokyo. Qu’est ce que ça dit sur la société?

Markus Thormeyer : Ça signifie qu’on va dans la bonne direction et qu’on peut être out sans avoir aussi peur qu’avant. J’ai eu l’occasion de discuter avec Mark et il m’a expliqué à quel point c’était angoissant pour lui, à l’époque. Son image publique pouvait être complèteme­nt ruinée. Au final, parce qu’il est sorti du placard, il a permis à d’autres athlètes comme moi de le faire et que ce soit plus normal et accepté. Rien n’est parfait. Il y a encore des homophobes. Mais j’imagine qu’en en parlant moi aussi, je pourrai en aider d’autres comme Mark m’a aidé.

à l’hiver 2020, tu as publié un texte dans OutSports sur ta réalité de nageur homosexuel. Pourquoi ce geste?

Markus Thormeyer : Malgré ce qu’on peut croire, je vois très peu d’athlètes ouvertemen­t gais. En 2018, j’avais pensé écrire là-dessus pour aider les autres à réaliser que c’est possible de faire son coming out sans être intimidé et sans devoir abandonner son sport. Malheureus­ement, mon texte était de piètre qualité. Deux ans plus tard, mes années d’université m’ont permis d’améliorer ma plume et j’ai profité de la plateforme qu’on me donnait. Je sentais que mon texte pourrait faire une différence positive.

Pensais-tu également au fait d’offrir une représenta­tion asiatique et LGBTQ+? Markus Thormeyer : En partie, oui, parce que la plupart des athlètes qui sortent du placard sont blancs. C’est important d’offrir un visage plus diversifié de la communauté. Cela dit, ma mère a immigré de Hong Kong en bas âge et elle est très occidental­e. Elle s’intéresse avant tout à mon bienêtre comme personne. Néanmoins, je sais que les personnes LGBTQ+ ne sont pas acceptées dans certains pays asiatiques.

Dans ton texte, tu expliques qu’en vue des Jeux de Rio, en 2016, tu étais prêt à tout donner pour te qualifier, mais que quelque chose te ralentissa­it : le secret entourant ton homosexual­ité. Comment ça t’affectait?

Markus Thormeyer : Quand tu n’es pas out, tu as deux identités. Je passais du temps avec mes amis sans me permettre d’être totalement moi-même. Ça affectait mes relations. J’avais peur qu’on découvre mon secret. J’arrivais en retard aux entraineme­nt et je partais plus tôt. Ça me distrayait complèteme­nt et ça m’épuisait. Cette fatigue, additionné­e à celle des longs entraineme­nts, rendait ma vie insoutenab­le.

Tu as aussi écrit que tu te sentais coupable face à tes coéquipier­s. Pour quelle raison?

Markus Thormeyer : On forme une grande famille entre nageurs et nageuses. Je sentais qu’ils étaient complèteme­nt authentiqu­es et vulnérable­s avec moi, alors que je ne l’étais pas. Je me sentais fermé sur le plan émotif. Ils étaient confortabl­es avec moi, mais je ne partageais pas beaucoup de choses avec eux. C’était une relation à sens unique. Au fond, j’avais besoin qu’ils le sachent.

Tu as fait ton coming out auprès de tes coéquipier­s de l’équipe nationale à 18 ans. Comment ça s’est passé?

Markus Thormeyer : Super bien! J’ai simplement nommé la chose dans une conversati­on banale, en leur racontant que j’étais allé sur une date avec un gars la veille. C’était aussi simple que ça. Personne ne m’a dit «Je le savais» ni quoi que ce soit du genre. Ils m’ont répondu que c’était génial, qu’ils me soutenaien­t, qu’ils m’acceptaien­t et qu’ils étaient intéressés à ce que je leur parle davantage de moi. Évidemment, je ne dis pas qu’il n’y a aucun nageur homophobe, mais moi, j’ai été accueilli positiveme­nt par les nageurs canadiens et ceux d’ailleurs dans le monde. À partir de ce moment-là, je me sentais moins fatigué. Je nageais plus vite. J’étais simplement plus heureux, plus léger et plus rapide jour après jour.

Vises-tu les JO de Paris en 2024?

Markus Thormeyer : Je n’ai pas encore de plans concrets. Ça se pourrait très bien que je continue jusqu’à Paris. Mais pour l’instant, j’y vais un mois à la fois. J’ai besoin d’un autre bon mois de pause pour me remettre de la dernière année très drainante. Je priorise ma santé physique et mentale. Je sais seulement que je vais commencer un doctorat en zoologie à l’Université de la Colombie-Britanniqu­e (UBC) en septembre.

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