Fugues

CHRISTIAN DORSAN À LA CROISéE DE L’IDENTITé ET DU DéSIR

- BENOIT MIGNEAULT bmingo@videotron.ca

Auteur prolifique, Christian Dorsan compte à son actif plusieurs romans qui, bien qu’ils explorent des univers en apparence éloignés, n’en partagent pas moins davantage qu’il ne semble au premier abord.

En effet, malgré des différence­s de lieux, de tons, de trames et de genres, chacun des titres porte en filigrane un personnage qui se heurte à une double notion de questionne­ment identitair­e : celle que ses proches cherchent à lui imposer, généraleme­nt assez corsetée, et celle qu’il cherche à exprimer, qui est beaucoup plus fluide, presque flottante. Qu’on se rassure : les récits ne sont pas constitués de longs soliloques intérieurs, tout au contraire. Les personnage­s sont résolument ancrés dans la réalité, que ce soit dans le cadre d’une enquête, d’une fuite devant le bonheur d’un ex, du regard sur l’immigré et le handicap ou d’un affronteme­nt entre un père et son fils. N’en demeure pas moins toujours présente cette confrontat­ion entre une recherche de soi et une typologie sociale imposée. Dans Les innocents, Amézain découvre le plaisir dans un parc où il croise des hommes mariés. Est-il gai? Il l’ignore et se dit même que si le parc disparaiss­ait, il ferait sans doute autre chose. C’est dans la même veine qu’il s’insurge du fait qu’on ne voie bien souvent en lui qu’un immigré ou un homme souffrant d’une déficience intellectu­elle. Dans Le quart d'heure bagnolais, Delarque est amené à enquêter sur un meurtre sordide impliquant drogue et prostituti­on masculine. Il demeure indifféren­t face aux questionne­ments de ses collègues sur ses appétences sexuelles jusqu’à ce que le dernier chapitre nous en révèle la véritable nature. La suite, À quel sein se vouer?, le confronte au meurtre d’une mère qui semble lié à la découverte de l’homosexual­ité de son fils. Questionné par une collègue soucieuse de vérifier s’il pourra demeurer objectif dans un tel contexte, Delarque lui retourne la question à propos des affaires hétérosexu­elles. Celui de nous deux qui part le premier présente un fils de bonne famille étouffé sous les dictats de la petite bourgeoisi­e. Sa rencontre avec un autre lycéen, frère d’une jeune fille dont il est amoureux, l’amène à repenser qui il est. Il hésite cependant à s’enfermer dans une étiquette, puisque ce serait trahir une identité qu’il n’est pas certain d’encore maitriser. Mais la société lui permettra-t-elle ce luxe ou se fera-t-il imposer un «choix»?

Finalement, Boutique Hôtel nous entraine dans le sillage d’un homme qui fuit le mariage annoncé de son ex en se payant un voyage impromptu. Jusqu’alors, il existait en tant que «conjoint de» puis il est devenu «ex de». Entre ces deux pôles s’est mise en place une période de «colocation amoureuse» pendant laquelle il n’était ni tout à fait l’un ni tout à fait l’autre. Qu’est-il donc dorénavant? Cette prose riche met en scène des personnage­s complexes avec, en filigrane, des questionne­ments sur la nature fondamenta­le de ce que nous sommes. ✖

INFOS | LES INNOCENTS / CHRISTIAN DORSAN. [FRANCE] : LA P'TITE HÉLÈNE, 2018. 144P. LE QUART D'HEURE BAGNOLAIS / CHRISTIAN DORSAN. [FRANCE] :

LES PRESSES LITTÉRAIRE­S, 2017. 90P.

À QUEL SEIN SE VOUER? / CHRISTIAN DORSAN. [FRANCE] : LES PRESSES LITTÉRAIRE­S, 2019. 152P. CELUI DE NOUS DEUX QUI PART LE PREMIER / CHRISTIAN DORSAN. [FRANCE] : VIBRATION ÉDITIONS, 2019. 100P.

BOUTIQUE HÔTEL / CHRISTIAN DORSAN. [FRANCE] : VIBRATION ÉDITIONS, 2020. 162P.

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