Fugues

Jean Basile

- SERGE FISETTE serge.fisette@videotron.ca

Jean Basile [Bezroudnof­f] est né à Paris en 1932 et est décédé à Montréal, le 10 février 1992. D’'origine russe et française, il s’installe au Québec à l’âge de 30 ans, y travaillan­t tour à tour à titre de journalist­e, écrivain, poète, dramaturge, essayiste, critique littéraire et éditeur. Il est enterré au cimetière orthodoxe russe Saint-Séraphim-de-Sarov à Rawdon, aux côtés de l’une de ses compatriot­es célèbres, Ludmilla Chiriaeff, la fondatrice des Grands Ballets Canadiens.

Dans les années soixante, il publie trois ouvrages gigantesqu­es — style roman-fleuve ! — qui deviendron­t la Trilogie des Mongols 1. Outre des personnage­s homosexuel­s complexes et colorés, s’y profilent déjà les thèmes de la contre-culture et des modes de vie alternatif­s prônés par la future revue Mainmise que Jean Basile cofondera à l’automne 1970 avec Georges Khal et Christian Allègre. « On y trouve jusqu’'à l’'esprit de la “commune” et du partage, une ferveur à la fois mystique et païenne pour la vie 2. » Se voulant l’Organe québécois du rock internatio­nal, de la pensée magique et du gay sçavoir, la revue publiera 78 numéros. Son titre renvoie à l’idée de se réappropri­er un bien perdu, soit de faire « “mainmise”, précise Georges Khal, sur ce qui vous appartient et que vous avez abandonné aux prêtres, aux médecins, aux spécialist­es, etc. 3. ».

C’est dans le second numéro que paraît une version française du Gay Manifesto de l’américain Carl Wittman. Ce dernier y proclame : « L’homosexual­ité est positive. C’est tout simplement la capacité d’aimer, spirituell­ement et sexuelleme­nt, une personne du même sexe que soi »

4.

Dans l’édition suivante, en février 1971, un dénommé Gilles Hughes Yvonne de Maujincour­t publie Pour un Front gay à Montréal, proposant la création d’un front de libération, notamment afin que chaque homosexuel puisse « jouer un rôle complet dans l’établissem­ent de la société de demain 5. ». Pour Jean Basile et ses collaborat­eurs, c’est dans ce contexte plus vaste et englobant que se situe la nouvelle réflexion à développer sur l’homosexual­ité. Le monde se métamorpho­se radicaleme­nt, il est en pleine mutation, et la question de l’homosexual­ité — le gay power — est partie prenante de cette évolution-révolution ; elle en constitue l’un des vecteurs majeurs. Il faut réinventer la vie, donc réinventer le plaisir, l’érotisme, l’amour, le sexe. Tout comme on revient sur la drogue, la pornograph­ie, la violence, l’état policier, la conscience collective, les philosophi­es et les religions orientales, l’harmonie utopique universell­e et la pensée magique. Quelque temps plus tard, le 26 mars, Jean Basile et Georges Khal rassemblen­t une trentaine de personnes et fondent officielle­ment le Front de libération homosexuel (FLH) : le premier regroupeme­nt gai au Canada. C’est ainsi « que débute formelleme­nt l’histoire du militantis­me gai montréalai­s, sinon québécois. […] Plus question désormais de fonder ses espoirs uniquement sur la capacité de l’homosexuel à s’accepter, il fallait maintenant changer la société 6. ».

Jean Basile n’aura de cesse de poursuivre son action au fil des années, devenant ainsi un héros de notre histoire au sein de la communauté intellectu­elle de son époque. En 1978, par exemple, il coédite le livre Sortir conviant une vingtaine d’auteurs à « réfléchir, de la façon la plus large possible, sur le phénomène de la minorité sexuelle, et particuliè­rement de la minorité homosexuel­le. Chose curieuse, notent les éditeurs, une telle réflexion n’avait jamais été entreprise ici de façon aussi systématiq­ue 7. ». Parmi eux, Renée Claude, Michel Tremblay, Claude Vivier, Denis Vanier et Philippe Gingras, dit le Baron Filip. Chacun y va d’un témoignage, d’une histoire vécue, d’un texte introspect­if, d’un essai ou d’une prise de position. Dans son texte intitulé « Fragments d’un précis pour une homosexual­ité archaïque », Jean Basile écrit : « Les grands mouvements culturels des années ’60 vinrent me réveiller comme un coup de gong. Ces années furent celles de la fraternité des différence­s 8. » ✖

INFOS | 1. LA JJUMENT DES MONGOLS, LE GGRAND KHAN ET LES VVOYAGES D’'IRKOUTSK. ON LUI DOIT AUSSI COCA ET COCAÏNE (1977), LA CCULTURE DU CANNABIS (1979) ET ICONOSTASE POUR PIER-PAOLO PASOLINI (1984).

2. CLAUDE ROBITAILLE, QUÉBEC FRANÇAIS, NO 86, 1992. PUBLIÉ DANS : MARIE-CHRISTINE BLAIS, « JEAN BASILE : JEAN QUI PARLE, JEAN QUI ÉCRIT », LA PRESSE, 15 JUILLET 2013 (LAPRESSE.CA/ARTS/LIVRES/201307/15/01-4670941-JEAN-BASILE-JEAN-QUI-PARLE-JEAN-QUI-ECRIT.PHP). CONSULTÉ LE 20 DÉCEMBRE 2021 SUR . LAPRESSE.CA/ARTS/LIVRES/201307/15/ 01-4670941-JEAN-BASILE-JEAN-QUI-PARLE-JEAN-QUI-ECRIT.PHP.

3. CITÉ DANS : MARC-ANDRÉ BROUILLARD, LES ORIGINES DE MAINMISE RACONTÉES PAR GEORGES KHAL (HTTP://PASPIED.BOUTOTCOM.COM/2010/08/10/HISTORIQUE-RAPIDEDES-ORIGINES-DE-MAINMISE/). CONSULTÉ LE 26 DÉCEMBRE 2021 SUR HTTP://PASPIED.BOUTOTCOM.COM/2010/08/10/HISTORIQUE-RAPIDE-DES-ORIGINES-DE-MAINMISE/.

4. CARL WITTMAN, « MANIFESTE DU FRONT DE LLIBÉRATIO­N HOMOSEXUEL­LE », MAINMISE, NO 2, 1971, P. 89.

5. GILLES HUGHES YVONNE DE MAUJINCOUR­T, « POUR UN FRONT GAY À MONTRÉAL », MAINMISE, NO 3, 1971, P. 191.

6. ROGER NOËL, « LIBÉRATION HOMOSEXUEL­LE OU RÉVOLUTION SOCIALISTE ? L’EXPÉRIENCE DU GHAP », IN IRÈNE DEMCZUK ET FRANK W. REMIGGI (SOUS LA DIRECTION DE), SORTIR DE L’OMBRE. HISTOIRES DES COMMUNAUTÉ­S LESBIENNE ET GAIE DE MONTRÉAL, MONTRÉAL, VLB ÉDITEUR, 1998, P. 187-188.

7. « AVANT-PROPOS », IN LUC BENOIT, PAUL CHAMBERLAN­D, GEORGES KHAL, JEAN BASILE (SOUS LA DIRECTION DE), SORTIR, MONTRÉAL, LES ÉDITIONS DE L’AURORE, 1978, P. 14.

8. IBID., P. 240.

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1960. PHOTO : TéLé-QUéBEC

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