Fugues

Patrick Delisle-Crevier : au nom du père

Avec Mon père aux îles Moukmouk, l’auteur montréalai­s ose se (re)trouver en terrain inconnu : il parle de lui et se dévoile à ses lecteurs. Résultat ? Le voyage littéraire incontourn­able de la saison chaude.

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Il a foulé tous les tapis rouges et tendu son micro aux plus grandes étoiles. Dans la constellat­ion des journalist­es culturels, Patrick Delisle-Crevier est une star. Il est LE journalist­e vedette de Québecor Média. Chroniqueu­r chevronné, il rédige plusieurs sections de l’hebdo 7 Jours. Plus tôt dans sa carrière, il a signé des douzaines de textes dans La Presse et interviewé Madonna pour… Fugues !

Mais le confident des vedettes est aussi un auteur prolifique. Il a signé, entre autres, près d’une dizaine de biographie­s jeunesse de la collection Raconte-moi, dont celles de Céline Dion, Félix Leclerc, Marie-Mai et Leonard Cohen. En 2016, il a aussi publié le livre Oiseaux rares de Montréal aux Éditions de l’Homme, suivi, deux ans plus tard, du livre Patrick Bourgeois raconté par…

Dans Mon père aux îles Moukmouk, Patrick nous raconte la plus grande surprise de sa vie, digne d’une fiction rocamboles­que. À l’âge adulte, alors qu’il se croyait quasiment sans famille, il découvre qu’il est membre d’un clan généreux. Aux funéraille­s de son père, il apprend plus précisémen­t que celui-ci menait une… triple vie ! Fugues est allé à la rencontre du nouveau romancier.

Que raconte votre premier roman ?

PATRICK DELISLE-CREVIER : Lorsque j’avais sept ans, peu de temps après la mort de ma mère, mon père est disparu. Il s’est carrément volatilisé. Lorsque je demandais aux adultes de mon entourage où il était parti, ils me répondaien­t « aux îles Moukmouk ». J’ai longtemps cru que c’était la vérité, de là le titre de mon roman. Celui-ci raconte ma relation avec mon père, mais aussi sa vie secrète, pour ne pas dire la triple vie qu’il menait. À ses funéraille­s, j’ai découvert son pot aux roses : il n’était pas sur des îles lointaines, mais bien à quelques pas de chez moi, dans le quartier Rosemont. Là-bas, il n’avait pas une, mais deux familles et donc plusieurs enfants. Ce livre, c’est aussi ma relation avec eux.

Est-ce plus facile ou difficile d’écrire sur soi que sur les autres ?

PATRICK DELISLE-CREVIER : Après avoir rédigé une dizaine de biographie­s, écrire sur moi a été un grand bonheur. J’aime résumer le parcours des autres, mais l’exercice est bien différent. Écrire une partie de mon histoire pour en faire un récit, ça se fait de façon plus spontanée, c’est plus fluide et, aussi, ça laisse plus de place pour un style littéraire. J’ai rédigé ce livre comme un roman, mais mon histoire, elle, était en moi, bien palpable et réelle. Donc ce fut probableme­nt plus facile et, surtout, j’étais beaucoup plus libre.

Vous avez une mémoire redoutable. Comment avez-vous su retenir tant de détails du passé ?

PATRICK DELISLE-CREVIER : J’ai effectivem­ent une mémoire phénoménal­e. Mon meilleur ami saurait vous le dire : je me souviens de la plupart des moments de notre jeunesse, nos bons et mauvais coups, ainsi que nos soirées festives, alors que lui a tout oublié ! Lorsque de petits détails du passé m’échappent, je me réfère aussi au journal intime que je tiens depuis que j’ai huit ans.

Fleurette, votre grand-mère, est un personnage emblématiq­ue du Village. Aviez-vous déjà couché sur le papier une partie de sa vie ?

PATRICK DELISLE-CREVIER : Oui, à vrai dire, je prends des notes depuis plus de dix ans. Ma grand-mère était un peu la mascotte du Village. En plus de sortir au Sky chaque semaine, elle était la plus grande fan de Mado Lamotte et de ses populaires Bingos. Elle ne manquait pas non plus un mardi Martini et avait toujours son char allégoriqu­e dans les défilés de la Fierté. Bref, ma grand-mère était tout un personnage ! Après sa mort en 2007, j’ai voulu écrire son histoire, la nôtre, mais j’en étais incapable. Le deuil étant trop difficile, j’ai longtemps repoussé l’idée. Mais ce livre est en moi, fin prêt à sortir. Faisant partie de mes prochains projets, il s’intitulera Mommy en rose.

Que pensez-vous que votre grand-mère dirait de Mon père aux îles Moukmouk ?

PATRICK DELISLE-CREVIER : Elle serait d’abord surprise que j’écrive sur mon père, cet homme que j’ai si peu connu. En même temps, elle serait fière de ce livre. J’y raconte de belles scènes de ma vie avec mes grands-parents sur la rue Marquette et de notre vie ensemble. Je pense aussi qu’elle serait très contente de me savoir si bien entouré de frères et soeurs.

Et qu’en a pensé le reste de votre famille ?

PATRICK DELISLE-CREVIER : Je pense que mes frères et soeurs seront contents et fiers du résultat. Je n’y rends pas hommage à mon père, mais plutôt à notre histoire, à notre relation entre frères et soeurs développée sur le tard. Mon frère Denis m’a souvent demandé si j’allais un jour coucher sur le papier notre histoire…

Eh bien, la voilà ! Écrire sur sa famille est un exercice particulie­r, car tu pèses chaque mot, tu choisis bien chaque phrase. Plus encore, tu portes une attention particuliè­re à chaque détail parce que tes personnage­s sont bien réels et humains. J’ai longtemps repoussé ce projet par pudeur, mais le tournage de la série Double vie, sur notre histoire familiale, est venu

changer les choses. Dès le dernier jour du tournage, je me suis installé pour écrire Mon père aux îles Moukmouk. Tout était à la surface de ma mémoire puisque j’avais rencontré des gens et visité des lieux du passé de mon père. C’était le moment ou jamais de boucler la boucle.

La rédaction de ce livre vous a-t-elle donné le goût de la parentalit­é ?

PATRICK DELISLE-CREVIER : Ce goût est en moi depuis toujours, mais chaque fois la vie semble me mener sur d’autres chemins. Et si ça n’arrive pas, ce sera bien correct. J’ai eu la chance d’avoir mon neveu Sam près de moi durant une grande partie de son enfance et de son adolescenc­e. Ensuite, il y a eu Zak, le fils de ma grande amie de qui je suis très proche. Désormais, j’ai aussi une panoplie de neveux et de nièces, et mon meilleur ami a deux enfants que je m’amuse follement à voir grandir. Chose certaine, si je suis père un jour, je vais être un père présent et non un père aux îles Moukmouk.

Vous avez rédigé les biographie­s jeunesse de Xavier Dolan et de Yannick Nézet-Séguin. Est-ce important, pour vous, de présenter aux jeunes queers des modèles ?

PATRICK DELISLE-CREVIER : Oui, c’est même très important. Lorsque j’ai commencé à écrire la série Raconte-moi, j’avais déjà l’idée de vouloir faire celle de Yannick Nézet-Séguin parce que cet homme est le genre de modèle que j’aurais aimé avoir durant l’enfance.

Dans mon histoire, le fil narratif est mené par le jeune Ludwig, un apprenti chef d’orchestre qui part à la conquête de l’histoire de Nézet-Séguin avec ses deux papas. J’ai vraiment voulu montrer des couples gais qui vivent une vie dans la normalité pour ainsi prouver que leur modèle familial est possible et viable. Raconte-moi Yannick Nézet-Séguin résume, oui, la vie et le parcours du maestro, mais c’était important pour moi qu’il y ait un chapitre sur le coming out du grand chef, ainsi que des passages liés à l’homoparent­alité.

Avez-vous déjà pensé à votre prochain livre ?

PATRICK DELISLE-CREVIER : Oui, en ce moment, j’ai quatre projets sur la table, peut-être même cinq. Mais le prochain à voir le jour sera

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