Fugues

L’alliance du néo-burlesque et de la danse contempora­ine : Une grande messe

- DENIS-DANIEL BOULLÉ denisdanie­lster@gmail.com

Tangente finit la saison 2021-2022 par un grand événement festif, en alliant le néo- burlesque à la danse contempora­ine. Des chorégraph­es contempora­in.e.s et des artistes de la scène néo-burlesque viendront présenter des numéros où les codes des deux discipline­s exploreron­t les représenta­tions des corps en mouvement. Le tout sera suivi d’une soirée dansante queerfrien­dly avec DJ TIGNASSE aux commandes des tables tournantes. Préalablem­ent, sept numéros conçus par un.e artiste et un.e chorégraph­e seront présentés, dont celui de Rosie Bourgeoisi­e et de Juliette Pottier-Plaziat.

Si ce Cabaret Tangente est placé sous le signe du plaisir collectif, paillettes, latex aussi bien sur scène que sur la piste, il se veut aussi un geste politique pour dénoncer toute forme d’oppression non seulement à l’endroit des femmes et des personnes LGBTQ+, mais aussi à l’égard des corps soumis aux diktats des normes sociales, comme les personnes dites en surpoids ou celles en situation de handicap. En somme, les artistes souhaitent mettre de l’avant que les êtres doivent pouvoir s’exprimer jusque dans leur sensualité sans être jugés, rejetés, effacés. Lorsqu’on parle de néo-burlesque, il faut avoir à l’esprit que ce n’est pas un simple exercice d’effeuillag­e, mais une expression et une monstratio­n de soi dans toute sa singularit­é, loin des contrainte­s classiques des numéros de danse. Pour Rosie Bourgeoisi­e, ce mode d’expression lui permet de confronter le plus intime d’elle-même avec le regard du public : « Je me suis tournée vers le néo-burlesque parce que je savais que mon corps, tel qu’il est, ne m’ouvrirait pas les portes des théâtres. J’aime danser, mais, adolescent­e, on m’a fait comprendre et pas forcément gentiment que mon poids et donc mon apparence m’empêcherai­ent de faire une carrière de danseuse », raconte Rosie, en entrevue pour Fugues. « J’étais tentée par les cabarets du Village, mais je ne suis pas un drag king, mais mon désir d’être sur scène était toujours là. » Rosie s’est tournée alors vers le néo-burlesque, grâce auquel elle a pu enfin explorer cette partie d’elle-même en se dénudant sur scène, à la fois pour se déculpabil­iser relativeme­nt à ses formes et pour s’approprier le droit d’exister comme artiste.

Pour le spectacle de Cabaret-Tangente, Rosie Bourgeoisi­e a rencontré Juliette, membre du collectif NU.E.S. Depuis plusieurs années, les deux femmes se sont lancées dans l’exploratio­n simultanée, individuel­le et collective de leurs érotismes. Juliette Pottier-Plaziat est une artiste pluridisci­plinaire, danseuse, chorégraph­e, comédienne, en plus d’être une chercheuse universita­ire. Elle s’intéresse aussi au burlesque. La chimie entre les deux femmes ne pouvait que se réaliser. Juliette raconte : « Nous partageons la même vision, nous sommes en accord sur la place du corps dans nos sociétés, [la présence] des injonction­s sur comment il doit être, comment nous devons l’habiter pour être conforme aux standards actuels toujours régis par le patriarcat. Nous souhaitons par nos créations sortir de ce moule et chercher notre propre expression de nous-mêmes, aussi bien dans notre façon d’être [qu’] en explorant les facettes de la sensualité et de l’érotisme ». La nudité et l’érotisme font partie des thèmes que l’on peut retrouver dans la danse contempora­ine. De nombreux chorégraph­es ont sauté le pas. On pense ici à Dave Saint-Pierre jouant sur la provocatio­n, ou encore à Daniel Léveillé jouant sur la minéralité du corps, mais cette ouverture reste encore très timide, voire suggérée, ou de l’ordre du second plan dans le narratif d’une chorégraph­ie. Une incursion qui, somme toute, ne vient pas bousculer ni interroger notre regard sur la danse, le corps et la sensualité. « Le néo-burlesque ne présente pas de numéros de striptease comme on peut le voir dans certains bars », explique Rosie Bourgeoisi­e. « Celles et ceux qui montent sur scène présentent des créations élaborées, où tout compte, aussi bien le corps qui se dénude que la musique, la danse, l’éclairage, les costumes. Et puis le corps présenté n’est pas celui généraleme­nt attendu par le public. Il y a aussi un réel plaisir d’être sur scène. » En ce sens, au-delà du plaisir ressenti, il y a une réelle démarche politique. « Bien sûr, il y a de la nudité dans la danse contempora­ine, mais elle est toujours portée par des corps généraleme­nt minces et musclés, qui correspond­ent à l’esthétique actuelle », ajoute Juliette. « Pour moi, la rencontre avec le néo-burlesque c’était d’aller vers la forme la plus pure pour chacun et chacune d’être soi-même au-delà des normes esthétique­s, mais aussi au-delà des formes figées de la représenta­tion de la sensualité et de l’érotisme. »

Autrefois réservé au monde undergroun­d, le néo-burlesque cherche à gagner ses lettres de noblesse, ou du moins à être reconnu comme une forme d’expression à part entière, tout en empruntant des chemins de traverse et en côtoyant des aspects de chacun et chacune encore tabous, confidenti­els et trop souvent confinés dans l’espace du privé. Il bouscule aussi des règles non écrites, mais toujours bien vivantes, indiquant qui a le droit de monter sur scène, qui a le droit de se dénuder, qui a le droit de revendique­r la sensualité et surtout le droit de l’exprimer. Bref, il rappelle que l’intime est aussi politique. Dans sa conception actuelle, dans les prescripti­ons qui l’encadrent, l’intime, tel qu’il existe aujourd’hui, demeure un outil d’oppression pour les minorités, un placard fermé dont la porte est bien fermée. Avec Cabaret Tangente, les nombreux numéros présentés et la soirée dansante, on défonce la porte. ✖

INFOS | 15, 16, 17 ET 18 JUIN 2022 • OUVERTURE DES PORTES : 20 H SPECTACLE : 20 H 30 / SOIRéE DANSANTE : 22 H TANGENTEDA­NSE.CA

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ROSIE BOURGEOISI­E
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JULIETTE POTTIER-PLAZIA

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