Fugues

Rapture, ça va donner un grand coup !

- YVES LAFONTAINE yveslafont­aine@fugues.com

À l’occasion de la 24e Conférence internatio­nale sur le sida et en prélude au festival Fierté Montréal, Rapture sera présentée, du 27 juillet au 6 août. Cette oeuvre de danse contempora­ine atypique évoquera le rejet et l’hostilité sociétale envers les membres des communauté­s 2SLGBTQIA+ et les personnes vivant avec le VIH/sida. Dave St-Pierre sera le guide chorégraph­ique de cette oeuvre collective dont les interprète­s-créateur.trice.s sont Stacey Désilier, Nicholas Bellefleur, Tony Bougiouris, Miranda Chan, Lael Stellick, Rony Joaquin Figueroa (Kuntiana), Emilio Brown, Vincent Reid, José Dupuis et Mélusine Bonillo. Alors que l’équipe artistique est composée de Alex Huot, Jon Cleveland, Marie-ève Carrière, Miaula Bégin et Yann Villeneuve. Nous avons discuté avec Dave St-Pierre, Mélusine Bonillo et Yann Villeneuve alors que le collectif travaille encore à la conception de cette création.

Parlez-moi de comment vous en êtes venus à créer Rapture qui, si j’ai bien compris, est une création collective.

DAVE ST-PIERRE : Depuis un certain temps, j’ai mis la chorégraph­ie et la mise en scène de spectacles derrière moi, ce ne sont pas des choses qui m’inspirent comme avant. Mais en parlant avec Chris (Ngaboziza, directeur de la programmat­ion) de Fierté Montréal, j’ai tout de même décidé d’embarquer dans le projet… Chris avait en tête un spectacle inspiré d’Angels of America (de Tony Kuschner). L’idée n’était pas de remonter cette pièce-là, mais de s’inspirer de réalités semblables pour faire autre chose, inspiré par la souffrance des personnes affectées qui doivent à la fois gérer leur propre situation, en plus de celles de leurs ami.e.s, de leur familles, de leurs baises, de toute la société qui a une image parfois biaisée de leur réalité ; de ce que c’est que vivre avec la maladie. Au début, le sida s’est accompagné d’un sentiment de rejet total. Alors on va parler de rejet et de la difficulté pour une personne d’accepter sa situation.

Ça va s’exprimer sous la forme de témoignage­s ?

DAVE ST-PIERRE : On est vraiment dans un spectacle de danse et les histoires qui sont racontées passent par le langage corporel. Mais le spectacle va puiser à même les images fortes associées à la maladie et aux luttes militantes. Je n’avais pas envie de reprendre la façon dont je travaillai­s avant et de tenir le rôle de chorégraph­e qui donne des directives à tous. J’ai proposé d’être l’idéateur du projet, d’en assumer la « direction artistique » et d’en être le « guide chorégraph­ique ». J’ai engagé dix créateurs et créatrices qui viennent nourrir le projet de leur propre création. Après avoir découpé le spectacle en plusieurs sections, j’ai proposé des thématique­s à ces créateurs et créatrices pour qu’ils et elles improvisen­t. Au fur et à mesure qu’on avance dans ce processus, on structure de plus en plus le spectacle. Le processus créatif se fait en gang. Ce ne sera donc pas « mon » langage chorégraph­ique, mais une expression originale représenta­nt la diversité des personnes qui seront sur scène.

L’équipe créatrice va puiser à même son bagage individuel ou l’inspiratio­n vient-elle d’autres sources ?

DAVE ST-PIERRE : C’est un amalgame des deux. Et ça va varier d’un.e créateur.trice à un.e autre. Tout en s’inspirant des histoires de rejet — pour donner un exemple — qu’on a vues beaucoup dans les années 1980, 1990, mais qui perdurent encore aujourd’hui, parfois sous d’autres formes.

Mélusine, dans ton cas, où puises-tu ton inspiratio­n pour ta portion du spectacle ?

MÉLUSINE : D’une manière un peu ironique, j’ai reçu l’invitation de Dave à participer au spectacle le jour même où je partageais une histoire très personnell­e sur Instagram. Il y a deux mois, j’ai eu une chirurgie de féminisati­on faciale, en partie grâce à des dons de personnes de ma famille, dont de mon.ma nièce.neveu. Et leur mère — ma soeur — n’a pas du tout accepté qu’ils m’avaient donné de l’argent pour ma chirurgie. Et ça a provoqué des commentair­es transphobe­s qui m’ont vraiment surprise et choquée, car j’étais vraiment très proche de ma soeur. C’était la première fois que je me trouvais face à ce type de réaction en lien avec mon identité depuis que j’ai fait mon coming out trans. Au moment où mon corps s’adaptait à la chirurgie avec les problèmes qui suivent, je me retrouvais aussi à devoir encaisser un rejet avec une personne de ma famille. Ça m’a inspiré à faire le lien avec le rejet et l’incompréhe­nsion des autres qu’expériment­ent certaines personnes vivant avec le VIH. Nina Champs, une activiste trans féminine séropositi­ve en France, est pour moi une référence. Mon expérience du rejet et comment je vais l’exprimer sur scène, je ne sais pas encore — je suis encore dans le processus de création. Et il y va y avoir une part d’inconscien­t sans doute. Il est important de faire sortir quelque chose de brut sur scène…

De ton côté, Yann, la création de la musique ou de l’ambiance sonore se fait comment ?

YANN VILLENEUVE : J’aime le processus créatif qu’on a entrepris. J’ai beaucoup de liberté et de possibilit­és. Ça fait quelques semaines que j’expériment­e sur des ambiances, qu’on travaille par aller et retour, Dave et moi. Je crois que c’est la première semaine [l’entrevue s’est tenue le 7 juin, NDLR] où les danseurs testent avec la musique. Cela dit, j’ai créé beaucoup de matériel pour qu’on puisse essayer des choses sur place. Il va y avoir bien des essais, des modificati­ons. C’est le propre du travail créatif de ce spectacle. Ce que je peux dire c’est qu’il y a un aspect cathartiqu­e et libérateur à la musique. Et de quoi de très viscéral. Je fonctionne beaucoup par sensation.

DAVE ST-PIERRE : Je l’ai bombardé de plein de trucs au départ, de musique que j’aime, sans lui demander de reproduire ça. Plus dans une optique d’inspiratio­n. Il a créé un mash-up des idées que j’avais en tête sans même les avoir toutes exprimées. Il a même intégré des sons gutturaux qui peuvent parfois faire penser à des bruits de baises, qui sont transformé­s.

Au niveau chorégraph­ique tu disais, Dave, que ça ne sera pas ton style habituel. Ça va donc ressembler à quoi… Chaque personne va amener avec elle son style ?

DAVE ST-PIERRE : On est vraiment encore en processus créatif… Je ne crois pas qu’une personne qui connait mon style va dire : « ça, c’est du Dave St-Pierre ». Sans doute que certaines personnes vont reconnaitr­e certaines choses qui font partie de mon style, dans la mesure que j’ai tendance à pousser les gens, à les amener à se dépasser. Mais je ne veux pas imposer de langage chorégraph­ique spécifique, comme je l’ai fait dans mes propres spectacles. Il va y avoir un aspect brutal et choquant, que l’on peut associer à mon style…

Un peu rentre-dedans…

DAVE ST-PIERRE : Oui. Et on va travailler avec des symbolique­s fortes, parfois difficiles à regarder, à gérer pour certaines personnes. On va toucher à des choses très personnell­es, du domaine de l’intime, comme gérer la mort de quelqu’un, la disparitio­n, gérer sa propre maladie ou celle de l’autre. On l’a tous vécu à des degrés divers ou va tous devoir le gérer. Ou des réalités qu’on n’a pas tous nécessaire­ment vécues, mais dans lesquelles on peut se projeter. Alors, oui, on peut dire qu’il va y avoir du rentre-dedans. C’est comme ça que j’ai le gout d’engager le public. Et je le fais à travers les corps de créateurs et créatrices que j’ai choisis.

Le spectacle ne sera pas réglé au quart de tour. La musique sera fixée, oui, il y aura un cadre évidemment, mais les créateurs ont la possibilit­é d’une certaine flexibilit­é. Sans doute qu’à chaque soir, les spectacles auront une saveur un peu différente, une énergie différente. Pour moi, c’est important pour ce spectacle de laisser à chaque artiste le choix dans le moment présent.

Toi, Dave, tu ne danseras pas dans ce spectacle…

DAVE ST-PIERRE : Non, j’ai passé cette étape-là. Je préfère de loin travailler avec le corps des autres. Mon corps a déjà exprimé ce qu’il avait à dire. J’aime travailler avec des corps qui expriment des choses qu’ils sont les seuls à pouvoir exprimer par leurs particular­ités. Le corps de Melusine ou le corps de Vincent — qui sont des corps atypiques — ont carrément d’autres choses à dire que bien des corps qu’on voit habituelle­ment sur scène. Ils expriment une poésie rarement vue.

Est-ce que ta transition vers ton identité de genre a eu un impact sur ta manière de danser, Mélusine ?

MÉLUSINE : J’ai transition­né pendant mon bac. à l’UQÀM. À mon arrivée à l’université, je n’avais pas le même prénom, pas le même pronom. C’était non seulement ma première rencontre avec la danse, mais aussi une appropriat­ion de mon propre corps. J’ai pris conscience que je ne connaissai­s pas bien mon corps, je n’arrivais pas à le voir. Quand j’ai commencé mes cours de danse, j’avais l’impression d’être très petite, alors que je mesure six pieds et un. Je n’avais pas conscience de ma grandeur. J’ai vraiment pris conscience de mon corps à travers mon apprentiss­age de la danse. Maintenant je redécouvre mon corps de femme trans genderflui­d. En ce moment, je porte une perruque et il y a encore certaines opérations que je n’ai pas faites et j’ai eu un peu peur de comment mon corps sera perçu sur scène. Souvent on me perçoit comme un homme gai.

Je me pose beaucoup de questions sur comment je veux que mon corps soit lu sur scène. Cela dit, je me sens choyée et chanceuse d’être dans mon corps et je veux continuer à l’explorer à travers le processus que Dave m’a proposé. Avec ce spectacle, je vais pouvoir me dépasser et de trouver quelles sont mes forces en sortant de ma zone de confort. J’aime aussi pouvoir travailler en duo et en quatuor avec des personnes dont les corps sont si différents. Et après avoir dansé principale­ment avec des femmes blanches cisgenres, de pouvoir travailler et d’improviser avec des personnes aussi différente­s, dont certaines qui ne proviennen­t pas du milieu de la danse, c’est une expérience stimulante, qui permet d’expériment­er notre fragilité. À date, dans nos improvisat­ions, il se passe des choses vraiment intéressan­tes. ✖

POUR DES RAISONS D’ESPACE, VOUS LISEZ UNE VERSION PARTIELLE DE L’ENTREVUE. VISITEZ LE FUGUES.COM POUR LIRE LA VERSION COMPLÈTE.

INFOS | Dix représenta­tions de Rapture auront lieu du 27 juillet au 6 août à 19 h, au Monastère ; les billets sont en vente dès maintenant au : www.lepointdev­ente.com

Fierté Montréal, du 1er au 7 août 2022 www.fiertemtl.com

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