Fugues

Fire Island et les jeux de l’amour et du hasard

- BENOIT MIGNEAULT bmingo@videotron.ca

Se déroulant sur une période d’une semaine, le film Fire Island explore avec un humour corrosif les jeux de coulisses, les malentendu­s, de même que les désirs refoulés d’une bande d’amis pour qui leur escapade estivale constitue une tradition annuelle sacrée ! C’est le temps de se retrouver, de baiser à qui mieux mieux, mais, pour certains, c’est également le moment des remises en question.

Bien que le titre de cette critique évoque la pièce de Marivaux, c’est plutôt dans les oeuvres de Jane Austen que le film trouve ses racines, allant même jusqu’à carrément les citer. Les amateurs de l’autrice anglaise du 19e siècle ou des adaptation­s de ses romans feront aisément des rapprochem­ents entre certains éléments du film et la trame d’Orgueil et préjugés. En effet, l’amour-propre et la superbe habitent le coeur des hommes qui peuplent cette île des plaisirs incendiair­es et l’arc narratif de Noah (superbe Joel Kim Booster) et Will (Conrad Ricamora) ne sont pas sans faire faire écho à ceux de la fière Elizabeth Bennet et de l’arrogant M. Darcy du roman publié en 1813.

Le film met l’accent sur deux hommes sino-américains : Noah et Howie (Bowen Yang). Le premier met le cap sur l’île avec une seule idée en tête : profiter de tous les plaisirs que la population masculine saura lui offrir. Son ami se déclare plutôt être un grand romantique et souhaite prendre le temps de connaitre un homme et voir s’il pourrait y avoir plus. Très peu de cette vision mièvre des choses pour Noah, qui fait serment de ne pas toucher à un seul des vacanciers avant qu’Howie ait goûté à la cuisine locale !

Malgré cette promesse, Noah fait éventuelle­ment connaissan­ce avec Will, mais les deux hommes vont rapidement passer d’une attirance marquée à un froid quasi sibérien, alimenté par une volonté commune de tuer dans l’oeuf les atomes crochus qui semblent se tisser entre Howie et Charlie (James Scully), meilleur ami du second.

Piochant allègremen­t dans le roman d’Austen, le film se fait un malin plaisir d’explorer les tensions antagonist­es entre les classes sociales représenté­es par l’univers de Noah et de

Will : le premier s’illustrant par un niveau de vie tout juste correct et le second par une grande richesse. À cela s’ajoutent une condescend­ance marquée de plusieurs et une ribambelle de clichés raciaux, ce qui donne droit à des moments particuliè­rement jouissifs, Noah ayant un sens de la répartie particuliè­rement bien aiguisé. Pour appuyer le rapprochem­ent entre les deux oeuvres, malgré une époque dominée par les téléphones cellulaire­s, un moment cathartiqu­e du film trouve sa résolution dans un traditionn­el échange épistolair­e. On s’en doute, plus Noah et Will s’enfoncent dans leurs positions respective­s et plus ils nient la réalité des sentiments qui les animent. Par ailleurs, plus ils tentent de monter leurs amis respectifs l’un contre l’autre, plus cette amitié qu’ils chérissent tant se trouve menacée. Noah est cependant convaincu que la seule chose dont Howie a besoin, c’est d’une baise bien chaude et, idéalement, de courte durée. Will, de son côté, considère que Charlie s’emballe un peu trop vite alors qu’il se remet à peine d’une rupture. Bien évidemment, comme dans toute « comédie des erreurs » qui se respecte, se met rapidement en place une enfilade d’imbroglios et de conversati­ons surprises au détour de portes dérobées.

Les acteurs campent tous très bien leur personnage respectif avec un accent pour Joel Kim Booster, qui arrive à marier une inflexibil­ité et une fragilité désarmante. Margaret Cho crève également l’écran dans le rôle d’Erin, propriétai­re de la résidence qui accueille ces retrouvail­les annuelles.

Réalisé par Andrew Ahn et scénarisé par Joel Kim Booster, qui tient également le rôle de Noah, le film se révèle un réel plaisir, n’hésitant pas à mêler différents niveaux d’humour pour former une oeuvre à la fois hilarante et touchante.

On aurait pu craindre que la présence du film sur Disney+ entraine un allègement significat­if de la sexualité, mais c’est cependant tout le contraire puisqu’il s’agit sans doute des propos et des éléments graphiques les plus crus et grivois à jamais avoir foulé la plateforme. Il faut cependant savoir qu’il s’agit d’une production Hulu, propriété de Disney, qui fait son pain et son beurre de contenu plus adulte. Le film est disponible en anglais ainsi que dans un doublage français. ✖

INFOS | Disponible sur Disney+

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