Fugues

Michel Dorais, enseignant-chercheur et auteur récompensé par la Fondation Émergence

- DENIS-DANIEL BOULLÉ denisdanie­lster@gmail.com

Le 29 avril dernier, le chercheur Michel Dorais annonçait, par le biais d’un message publié sur un réseau social, qu’il prenait sa retraite après 50 ans de travail, dont 25 comme enseignant-chercheur à l’Université Laval. L’homme est bien connu de nos communauté­s pour s’être intéressé de près aux questions LGBTQ+ bien avant que celles-ci deviennent des études reconnues par les autorités universita­ires. Auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, rédigés seul ou en collectif, Michel Dorais n’a cessé tout au long de sa carrière de documenter et d’informer le grand public sur les réalités LGBTQ+, plus précisémen­t celles des jeunes hommes gais. Il est à peu près certain que Michel Dorais n’a pas pris sa retraite d’une cause qu’il a gravée sur le coeur et il y a fort à parier qu’il publiera encore des recherches dans les années à venir.

La Fondation Émergence a décidé d’honorer Michel Dorais en lui remettant le prix Hommage académique. La première récipienda­ire de ce prix a été Line Chamberlan­d. Tout comme Line Chamberlan­d, Michel Dorais a été un pionnier dans les études LGBTQ+ et a dû secouer les colonnes de l’université pour s’imposer. « Je tiens à remercier celles et ceux qui au début de ma carrière ont tenté de me décourager en me disant que mon champ de recherche n’était pas sérieux. Comme je suis têtu et que j’ai tendance à faire le contraire, je ne me suis pas découragé », nous confie-t-il en entrevue. Il est vrai que dans les années 90, il y avait peu d’étudiant.e.s et de chercheur.euse.s qui pensaient qu’ils et elles pourraient faire une carrière en se dédiant aux réalités LGBTQ+. Mais Michel Dorais tient aussi à remercier les communauté­s qui l’ont beaucoup soutenu, tout comme les étudiant.e.s qui se sont pressé.e.s à ses cours. Mais il a aussi une pensée émue pour ses amis. « Avec le sida, j’ai perdu beaucoup d’amis qui se seraient sûrement fait remarquer par leur engagement, c’est encore une immense peine pour moi quand je pense à eux ».

À l’origine, rien ne destinait Michel Dorais à ce parcours exceptionn­el. Bien sûr, dès l’école primaire et ensuite au secondaire, il a constaté à quel point l’homophobie est grande et que les personnes différente­s peuvent être rejetées. « Ces manifestat­ions de rejet, que je ne comprenais pas forcément à l’école primaire, m’ont peut-être marqué et décidé de mon premier métier », continue Michel Dorais. « Je suis devenu travailleu­r social pendant une douzaine d’années avant de reprendre des études. Et, là aussi, j’ai été très sensible à ce que vivaient les personnes LGBTQ+. En tant que gai, je ne pouvais être insensible. »

Quand il reprend ses études et décide d’orienter ses recherches sur les réalités LGBTQ+, les commentair­es négatifs qu’il reçoit aussi bien de ses pairs que des enseignant­s lui font prendre conscience de la fermeture d’esprit des autorités et des autres professeur­s et il réalise qu’il devra être résilient pour atteindre son but. « Même au tout début à l’Université Laval, on me disait que je perdais mon temps et j’ai vu beaucoup de portes se fermer »,

ajoute Michel Dorais. « J’ai dû m’armer de patience et de déterminat­ion pour ne pas renoncer et je n’avais pas beaucoup de soutien. »

La suite, on la connait. Les recherches et les résultats qui s’ensuivent se transforme­nt en publicatio­n et feront date. On ne peut plus regarder les études sur l’identité sexuelle et de genre avec dédain, elles acquièrent leurs lettres de noblesse. « Aujourd’hui, c’est incroyable le nombre d’étudiant.e.s qui choisissen­t d’explorer un champ de la culture et des communauté­s LGBTQ+ », continue Michel Dorais. « Et si au tout début de ma carrière j’avais presque 100 % d’étudiant.e.s LGBTQ+, petit à petit j’ai vu des étudiant.e.s cisgenres s’intéresser à ce sujet-là. Dans les dernières années, ils et elles étaient aussi nombreux.ses, sinon plus que les étudiant.e.s LGBTQ+. Et c’est très bien, car je pense beaucoup à la relève, à d’autres, plus jeunes, qui auront à coeur de s’engager dans la même voie que Line Chamberlan­d ou moi. Nous avons ouvert le chemin.»

S’il pense à la relève, le chercheur tient aussi à réfuter un reproche qui lui a été fait à ses tous débuts, soit d’être un chercheur « engagé ». «Je n’ai jamais compris que l’on puisse faire une distinctio­n semblable, car à partir du moment où l’on tient à une cause, dans mon cas, d’améliorer la compréhens­ion et l’acceptatio­n des LGBTQ+, c’est bien évidemment porté par un engagement qui me concernait au premier chef. »

C’est aussi en repensant à sa jeunesse qu’il s’est donné pour mission de vulgariser son travail. « J’ai écrit des livres que j’aurais aimé lire, avoir à ma dispositio­n quand j’étais jeune », précise Michel Dorais. « Donc, j’ai toujours voulu que mon écriture soit accessible par tout le monde, indépendam­ment de son appartenan­ce ou non aux communauté­s LGBTQ+, et […] ne pas me laisser gagner par un langage ou un vocabulair­e trop académique pour toucher tout le monde. »

Quand Michel Dorais regarde son parcours à l’aune de l’évolution de la société, il ne peut que se réjouir des changement­s, mais il reste aussi vigilant, conscient qu’il y a encore beaucoup à faire et que tout n’est pas gagné pour les jeunes. Dans la conversati­on, il évoque entre autres le suicide et l’itinérance des jeunes LGBTQ+.

Bien sûr, Michel Dorais veut profiter de sa retraite pour travailler moins, des parutions à venir sont sur sa table de travail et les idées ne lui manquent pas pour continuer ce qu’il a fait jusqu’à maintenant : s’engager pour le bien-être de toustes. ✖

INFOS | https://chairedspg.uqam.ca www.facebook.com/michel.dorais.98

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