Fugues

Sous l’uniforme, le droit au respect fera la différence

- DENIS-DANIEL BOULLÉ denisdanie­lster@gmail.com

Le 8 juin dernier, la Fondation Émergence remettait le prix Coup de coeur à l’Organisati­on consultati­ve de la Fierté de l’Équipe de la Défense (OCFED). Un groupe de défense et de promotion du respect pour les personnes LGBTQ+ sous les drapeaux. Ancienneme­nt Réseau de la Fierté, l’OCFED a, depuis des années, poussé les Forces armées canadienne­s à changer leur perception de la diversité sexuelle et de genre et surtout à bannir toute forme d’homophobie et de transphobi­e. Alors que l’armée canadienne est traversée par de nombreux scandales d’inconduite­s sexuelles, un espoir se fait sentir par le courage de personnes LGBTQ+. André Jean, actuelleme­nt chef de cabinet du Directeur général - changement de culture aux Forces armées, était présent pour recevoir le prix, entouré de camarades en uniforme.

Le parcours d’André Jean est emblématiq­ue de ce qu’ont pu vivre de nombreux.ses LGBTQ+ au cours de leur carrière militaire, certain.e.s préférant abandonner plutôt que de se cacher ou encore de subir des humiliatio­ns, voire parfois des agressions. « Je suis militaire depuis 24 ans. En 1994, deux après que se soit terminée ce qu’on a appelé la purge, c’est-à-dire que lorsqu’on découvrait qu’un.e soldat.e était gai ou lesbienne, il ou elle était renvoyé.e de l’armée », explique-t-il. « Mais même à cette époque, on marchait sur des oeufs, on se taisait et on était témoin de l’homophobie et de la transphobi­e régnantes. Pendant les deux premières années, j’ai caché mon homosexual­ité et je dois même avouer que j’ai même tenu des propos homophobes pour ne pas me distinguer des autres. » Une situation qui devient intenable, mais qui change avec la rencontre d’une femme. « Quand je prenais mon cours de cuisine, j’ai rencontré une femme, devenue mon amie, qui était lesbienne », continue André Jean. « Son aide m’a permis de découvrir qui j’étais vraiment et elle m’a convaincu de faire mon coming out. »

À l’époque, André Jean est cantonné dans une base militaire isolée et a donc très peu de chance de rencontrer d’autres gais, car il n’y a ni bars ni vie gaie à proximité de la base. « Et il n’y avait pas les cellulaire­s, les réseaux sociaux pour se connecter à l’extérieur, je vivais un très grand isolement », ajoute-t-il. Paradoxale­ment, André Jean fait son coming out à ses parents deux ans plus tard. « Mon père était militaire et j’ai grandi sur deux bases militaires et dans un milieu très religieux, ce n’était donc pas évident de me confier à eux », continue-t-il. « Je savais que ce serait encore plus difficile avec mes parents que dans mon milieu de travail. »

Les brimades, les réflexions et même les agressions physiques, André Jean les a connues et il fait partie avec d’autres d’un recours collectif pour que soient reconnus les mauvais traitement­s qu’il a subis. « Je peux dire aujourd’hui que je suis un survivant. Avec le recours collectif, nous espérons recevoir des excuses et des réparation­s. »

Pour survivre, André Jean parle de résilience et de courage. Plusieurs fois, l’idée de tout laisser tomber lui a traversé l’esprit, mais il y avait en lui cette volonté de croire que les choses pouvaient changer. « Bien sûr, il faut du courage, ne pas avoir peur pour continuer à se battre », avance André Jean. « Même encore dernièreme­nt, j’ai remis en question la pertinence de continuer comme co-président de l’OCFED, mais chaque fois, après réflexion, je me dis que ce sont des valeurs que je défends depuis toujours, le respect, la dignité. Et puis il y a toutes les personnes que nous avons pu mobiliser ces dernières années et qu’il ne faut pas laisser. Quand j’ai pris la co-présidence en 2019, nous étions une dizaine de personnes. Aujourd’hui, nous sommes fiers et forts de 370 personnes. Il ne faut jamais renoncer, car aujourd’hui nous avons notre voix à la table des décideurs, nous pouvons enfin parler des barrières systémique­s, des préoccupat­ions des personnes issues de la diversité sexuelle et de genre, il y a une ouverture, nous pouvons travailler à un meilleur respect de nos différence­s dans les Forces armées canadienne­s. »

Plusieurs fois au cours de l’entrevue, André Jean tiendra à souligner que ce travail de longue haleine n’a pu se faire que parce qu’ils et elles ont reçu aussi le soutien d’allié.e.s de la société civile.

Aujourd’hui, l’OCFED est reconnue comme un partenaire officiel par l’armée. Dans le Rapport de l’examen externe indépendan­t et complet de la juge Arbour et rendu public fin mai 2022, parmi les Groupes consultati­fs de la Défense (GDC) apparait l’OCFED, aux côtés des Groupes consultati­fs des Autochtone­s, des femmes, des personnes handicapée­s, des Noirs et des minorités visibles. Cette présence au plus haut niveau dans le fonctionne­ment de l’armée représente une énorme victoire pour les membres de l’OCDE, « inimaginab­le » il y a encore quelques années, conclut André Jean. ✖

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