Fugues

LIEBESTRAS­SE

- BENOIT MIGNEAULT bmingo@videotron.ca

Romance gaie sur fond d’entre-deux-guerres, Liebestras­se fait pénétrer le lecteur au coeur d’une Allemagne qui bascule d’une ouverture étonnante à une intoléranc­e implacable envers ce qui est qualifié de dégénéresc­ence, qu’elle soit culturelle, politique, ethnique, religieuse ou amoureuse. La bande dessinée amorce son récit en 1952, alors que Sam travaille à l’organisati­on d’une exposition d’oeuvres allemandes produites avant le dernier conflit mondial. Le projet est à la fois cathartiqu­e et douloureux puisqu’il le replonge en 1932, alors qu’il découvre Berlin. Un simple échange de regard avec Philip et il n’en faut pas plus pour que les deux hommes s’entichent l’un de l’autre. Le premier est relativeme­nt discret puisque l’Amérique est toujours un lieu où il ne fait pas bon afficher ses inclinaiso­ns amoureuses. Philip, de son côté, s’inscrit pleinement dans l’effervesce­nce berlinoise où les cabarets et le milieu culturel accueillen­t et célèbrent pleinement sa différence. Il veut donc la crier sur les toits ! L’entre-deux-guerres berlinois n’est évidemment pas un paradis et le récit met bien en lumière les rencontres en catimini et les faux-semblants d’hétéronorm­ativité auxquels les communauté­s LGBTQ sont toujours astreintes. Un parfum de liberté fleure cependant dans les rues et l’amour semble presque à portée de main. Liebestras­se (que l’on peut traduire par « rue de l’amour ») présente une société qui voit ses valeurs et ses repères s’effriter et être remplacés par une réalité faite de méfiance et d’une intoléranc­e qui confine à la haine. Chacun à leur manière, les deux hommes tentent de résister, en particulie­r Philip qui se dresse en porte-à-faux d’un fascisme rampant, mais ils ne peuvent que constater l’indifféren­ce que suscite leur sort. Lorsque Sam tente d’apporter une aide à Philip, ses supérieurs invoquent simplement que la situation est plus complexe qu’il ne pense et qu’il faut éviter de créer un incident diplomatiq­ue. Nul ne sera donc surpris que le récit ne connaisse pas une fin heureuse. Publié sous format numérique en 2019, les éditions Dark Horse présentent une magnifique édition imprimée du récit de Greg Lockard, superbemen­t illustrée par Tim Fish, avec Hector Barros à la couleur et Lucas Gattoni au lettrage. D’une grande élégance et bouleversa­nt de simplicité, l’ouvrage s’accompagne d’un carnet où l’on présente plusieurs croquis et planches inédites. ✖

INFOS | LIEBESTRAS­SE / GREG LOCKARD, TIM FISH, HECTOR BARROS & LUCAS GATTONI. MILWAUKIE : DARK HORSE, 2022, 98 P.

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