REPORTAGE: DES ADOS JUGÉS PAR UN TRIBUNAL POUR ENFANTS (PARTIE 2/2)
L’ACTU a suivi le travail d’Elsa Keravel, juge des enfants à Paris. Second volet: une journée au tribunal pour enfants.
Salle d’audience no 13, 4e étage (sur 38!) du palais de justice de Paris. Il est 9 h. Une sonnerie retentit. Elsa Keravel, juge des enfants, vêtue de sa robe noire de magistrate, regard clair et lunettes posées sur sa chevelure châtain, s’installe. Ce jourlà, elle préside le tribunal pour enfants, accompagnée de deux assesseurs. C’est la partie répressive de son métier (L’ACTU no 6506). Face à eux, à droite, se tiennent la greffière et les avocats de la
défense. À gauche, le procureur et les avocats des parties civiles. Au centre, debout, les prévenus mineurs défileront toute la journée.
Mickaël*, 19 ans
Ce grand gaillard musclé, calme, est jugé pour plusieurs cambriolages avec effraction et trafic de cannabis, à Paris, en 2018. Il avait 16 ans. La juge égrenne la liste des vols et leurs circonstances. « Monsieur, si vous aviez été majeur au moment des faits, savezvous la peine que vous auriez encourue aujourd’hui ? » questionne-t-elle. « Oui. 10 ans de prison. » Sur le banc du public, sa mère lâche un énorme soupir. Invitée à s’exprimer, elle souligne l’influence du quartier, l’engrenage des mauvaises fréquentations. « Vous êtes passé plusieurs fois devant le juge : sursis avec mise à l’épreuve, placement en foyer, assignation à résidence avec bracelet électronique… Vous avez été incarcéré pour vol avec arme. Vous comparaîtrez prochainement pour une rixe au cours de laquelle un garçon est décédé. Comment voyez-vous votre avenir ? » Réponse : « J’ai réfléchi, j’ai grandi. Je veux devenir ambulancier. » La juge le regarde et, doucement, dit : « Ce ne sera pas possible vu votre casier judiciaire. »
« VOUS ÊTES DÉJÀ PASSÉ PLUSIEURS FOIS DEVANT LE JUGE. […] COMMENT VOYEZ-VOUS VOTRE AVENIR ? »
Julien*, 17 ans
Mince et mutique, Julien ne semble pas trop concerné. En 2020, il a agressé des ados plus jeunes que lui pour voler un portable, de l’argent… À chaque fois, seul ou accompagné, il a cogné, fort. Avec véhémence, son avocate retrace son parcours pour expliquer ces passages à l’acte : « Son histoire est faite de ruptures douloureuses. Au départ de sa mère en République centrafricaine, il est placé bébé dans une famille d’accueil. Quand celle-ci prend sa retraite, c’est un nouvel abandon. Il a 10 ans. Après, ça se passe mal. À 13 ans, sa mère le ramène en Afrique. À 15 ans, elle le réexpédie en France. Depuis, il est suivi en assistance éducative (L’ACTU no 6506). Il a fugué, est déscolarisé… » Un éducateur du foyer de Julien complète : « Quand on ne va pas dans son sens, c’est le rapport de force. Il prend des engagements mais n’arrive pas à les tenir. » L’avocat des parties civiles martèle : « Il s’attaque à plus faible. Il ne se rend pas compte des traumatismes qu’il fait subir à ses victimes. »
Julien, mal à l’aise et impatient,
marmonne : « Je ne savais pas. Maintenant, je sais que ça ne se fait pas de faire ça. » Derrière lui, sa mère, souffrante, épuisée, bracelet d’hôpital au poignet, peine à garder les yeux ouverts. La juge s’adresse à Julien : « C’est dur de trouver les bonnes pistes pour vous accompagner et vous protéger jusqu’à votre majorité. Mais on ne va pas attendre que vous acceptiez un cadre, on va l’imposer. » Le procureur réclame cinq mois de prison avec sursis, une obligation de soins psychologiques et de formation.
Les jugements
À 14 h, le tribunal se retire pour délibérer. De retour, Elsa Keravel prononce les peines. Mickaël écope d’un total de quatre mois de prison avec sursis et de 70 heures de TIG. Julien devra faire 20 heures de TIG (transformé en deux mois de prison s’il n’est pas effectué) et payer 900 euros aux victimes au titre de préjudice moral et matériel. Il mènera aussi un travail de réflexion sur le ressenti des victimes. Les audiences du matin se clôturent. Celles de l’aprèsmidi débutent. Il est 16 h 16.
Tom, Kevin et Quentin*, 21 ans
« Le tribunal ne vous juge que maintenant. Il vous est reproché, le 9 avril 2016, les vols d’objets de valeur, montres, bijoux, sacs… lors d’une soirée », résume la juge. L’instruction a duré cinq ans ! « Inadmissible », souligne l’avocate de ces trois jeunes de 21 ans. Elle veut saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Tom
raconte : « Je ne m’étais jamais retrouvé dans un endroit aussi luxueux, c’était comme dans un film. On avait bu. Avec l’effet de groupe, on a volé. Depuis, c’est dur : cinq ans de contrôle judiciaire. J’ai eu le temps de regretter. J’ai essayé de reprendre mes études, mais personne n’a voulu de moi. »
Les prévenus et leurs parents présentent leurs excuses à l’ado qui avait organisé la soirée. Les jeunes écopent d’un avertissement solennel (qui figurera sur le casier judiciaire). Ils verseront 50 euros chacun à la victime, qui veut donner l’argent à une association. Elle leur souhaite « le meilleur
pour l’avenir ». La juge conclut :
« Cette triste expérience s’arrête là. »
*Les prénoms ont été modifiés.