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«La preuve qu’on peut vivre ensemble, Italiens et migrants»

Le village de Camini revit grâce à l’accueil de migrants depuis plusieurs années. Mais la réussite de ce projet ne plaît pas à tout le monde en Italie.

- Bruno Quattrone, envoyé spécial à Camini

UReportage

n sourire se dessine sur son visage. D’une voix douce, dans un italien désormais parfait, Douaa revient sur ses cinq années à Camini, dans le sud de l’Italie, avec sa famille. Quand nous l’avions rencontrée, en 2016, elle avait 16 ans et fuyait les combats en Syrie. Un an et demi plus tard, elle s’inquiétait que le handicap de son père, gravement blessé au dos par l’effondreme­nt de sa maison pendant la guerre, ne soit pas clairement reconnu en Italie. Aujourd’hui, les nuages se sont dissipés.

đƱ *ƫ 1!%(ƫ %!*2!%(( *0ċ « Chaque matin, je suis des cours dans une école de tourisme dans une ville voisine. Le reste du temps, je travaille à la coopérativ­e (lire Chiffres clés), comme traductric­e arabe/italien. Je suis heureuse d’aider les migrants. Je me souviens comme c’était difficile à notre arrivée. » La psychologu­e Valentina Tassone suit la famille de Douaa depuis 2016 : « Les parents ont été rassurés d’être si bien accueillis. Ils sont bien intégrés. Pendant le confinemen­t, la maman de Douaa préparait pour les autres des repas qu’elle déposait devant la porte. C’est un beau retour des choses. » Quand on demande à Douaa à quoi elle rêve, elle prend le temps de réfléchir. Puis elle dit qu’elle veut voir sa famille « heureuse », et ajoute aussitôt : « J’espère aussi que Rosario et Giusy seront toujours heureux. Ils forment comme une seconde famille pour moi. Ils ont fait tellement pour nous aider. Je ne l’oublierai jamais. »

đƱ !/ƫ!),(+%/ċ Rosario Zurzolo et son épouse, Giusy Carnà, sont à la tête de Jungi Mundu, la structure d’accueil des migrants à Camini. Un labeur chronophag­e, envahis

« JE SUIS HEUREUSE D’AIDER LES MIGRANTS. JE ME SOUVIENS COMME C’ÉTAIT DIFFICILE À NOTRE ARRIVÉE. »

sant, difficile, mais qui porte ses fruits. « Aujourd’hui, une cinquantai­ne de personnes ont du travail grâce à la coopérativ­e. Dans la restaurati­on, l’agricultur­e, la traduction, le bâtiment… Les maisons du village sont remises en état, pour héberger les migrants mais aussi pour accueillir des touristes, car notre projet a fait connaître Camini. Sans lui, le village n’existerait plus », relève Rosario. Le projet d’accueil des migrants est en place jusqu’à décembre. Ensuite, il faudra le faire renouveler auprès de l’État italien. « Nous voulons continuer, assure Rosario. Il serait absurde que l’Italie dépense de l’argent pour accueillir ces gens, puis les chasse. Il vaut mieux qu’ils s’intègrent et qu’ils puissent vivre et travailler en Italie. »

đƫ *!ƫ)!* !ċ L’an dernier, Giuseppe Alfarano a été réélu maire de Camini. Cette réélection montre l’adhésion des habitants au projet d’accueil des migrants. Fervent soutien de cette initiative, le maire en est également le responsabl­e devant la loi. Ce qui n’est pas sans risques. En septembre 2021, l’ancien maire d’une ville voisine, Riace, la première à s’être engagée en Calabre pour l’accueil des migrants, a été condamné à 13 ans de prison. Il a été reconnu coupable « d’associatio­n de malfaiteur­s visant à favoriser l’immigratio­n clandestin­e, d’escroqueri­e, de détourneme­nt de fonds et d’abus de fonction ». Une sentence plus lourde que celle demandée par le parquet, chargé des poursuites, alors que les fautes commises par

le maire ne l’avaient pas enrichi personnell­ement. Depuis cette affaire, plusieurs communes voisines qui avaient instauré des structures similaires ont fait marche arrière. Pas Camini. « Notre projet est différent de celui de Riace. Nous respectons les règles, nous essayons d’être inattaquab­les », souligne Rosario Zurzolo. Dans son bureau à la mairie, Giuseppe Alfarano remarque d’une voix posée : « Des dirigeants politiques ne veulent pas comprendre ni accepter qu’il y a de la place pour tout le monde et qu’on peut vivre ensemble. La situation à Camini en est la preuve. Cette réalité déplaît à certains, qui souhaitent la faire disparaîtr­e. » À l’école de Camini, près d’un élève sur deux vient d’une famille de migrants. « Cela ne pose pas de problèmes », observe Giuseppina Fonte, l’une des maîtresses.

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