“Si l’Ukraine arrête de combattre, il n’y a plus d’Ukraine”
Où étiez-vous quand la guerre a éclaté ?
Anastasia Bondarieva : J ’étais e n c o n c o u r s , à V i l a mo u r a , en Espagne, avec ma mère. Mon père, ma tante et mes grandspare nt s , e ux , ét a i e nt à Ki ev. Moi j’étudiais, j’étais en dernière année de l ycé e , e n Gra n d e - Bretagne.
Avez-vous été surprise ? Énormément. Je l’ai appris à 5 h du mati n ! Pa p a e s t d é p u té e n Ukraine. Parlant à la télévision, la veille de l’invasion, il la disait impossible. Ensuite, Poutine a affirmé que ses soldats prendraient Kiev en quatre jours. Raté ! Bien sûr, on connaissait les tensions avec Poutine, en Crimée et au Donbass. Mes parents ont été élevés en Ukraine, mais à l’époque, c’était l’URSS, donc on parlait le russe. L’Ukraine est devenue indépendante de la Russie en 1991. Depuis, l’ukrainien est devenu la langue principale.
Votre père est-il toujours là-bas ?
J’ai vu Papa une seule fois en un an, à Budapest, en Hongrie, assez loin de Kiev, et pour une courte durée. Il a 55 ans : les hommes ukrainiens de 18 à 60 ans n’ont pas le droit de quitter le pays plus de 72 heures. Triste, je lui ai dit de venir avec nous. Il m’a répondu : « Je ne peux pas partir et être un traître à mes propres yeux, même si ma famille est partie ! » Ma mère est retournée en Ukraine pendant quatre mois. Maintenant, elle est de retour avec moi.
Quand avez-vous vu votre père pour la dernière fois ?
Je ne l’ai pas vu au cours des 10 derniers mois. J’ai entendu les bombardements en lui parlant au téléphone. En Ukraine, il n’y a pas de soldats qui courent partout, il y a surtout des raids aériens. Ils font de gros dégâts, très meurtriers. Lors de l’évacuation entre Irpin et Boutcha, un convoi d’Ukrainiens a été touché alors que la bombe a explosé à 10 km d’eux. Et 60 % des bâtiments ont été détruits.
Qui va gagner la guerre ?
Si la Russie arrête de combattre, il n’y a plus de guerre. Si l’Ukraine arrête de combattre, il n’y a plus d’Ukraine.
Pensez-vous que l’Ukraine peut gagner ?
Je dois y croire. Je l’espère pour ma famille. Avant ma naissance, Poutine gouvernait déjà la Russie. Aux États-Unis, le président est là pour quatre ans ou, au maximum, huit ans ! C’est très dangereux d’être au pouvoir davantage de temps...
Quel est votre sentiment quand vous concourez à cheval pour votre pays ?
J’ai longtemps pleuré après chaque tour, en pensant que c’était le dernier pour mon pays, l’Ukraine. La FEI (Fédération équestre internationale) parraine deux cavalières, dont moi. Je dois le faire, pour être la voix de mon pays, témoigner, comme ici avec vous, et hurler !
Interview par François Dufour