MÈRE à L’OEUVRE
Masseuse érotique dans Le déclin de l’Empire américain, policière chef de famille dans La vérité, mère maniacodépressive dans Casino, femme d’âge mûr séduisant un adolescent dans Rouge gueule, elle a incarné à la télé Simonne Monet-Chartrand, rôle qui lui a valu un prix Gémeaux en 2004.
Comédienne, animatrice et mère de deux ados, signe un documentaire, Crée-moi, crée-moi pas, qu’elle a coscénarisé avec la réalisatrice Marie-Pascale Laurencelle. Produit par Marie-France Bazzo, le film assemble les témoignages de plusieurs femmes créatrices, pour la majorité mamans : l’écrivaine Nancy Huston, l’auteure dramatique Evelyne de la Chenelière, la scénariste, réalisatrice et chanteuse Agnès Jaoui, la sculptrice Valérie Blass, la cinéaste d’animation Marie-Josée Saint-Pierre, etc.
Il existerait donc des différences entre un père créateur et une mère créatrice ?
Je vous donnerai un seul exemple : un homme, appelé à tourner trois mois en Afrique, confiera sans remords ses enfants à sa femme. Personne ne le critiquera, au contraire, on le dira ambitieux, fier de son travail. Une femme dans la même situation ? Hum ! Elle commencera par se juger elle-même.
Créer ou procréer : n’est-ce pas la question que votre film pose ?
Plutôt « Comment concilier création et maternité ? » En cours de recherche, j’ai constaté que l’image publique de beaucoup de grandes créatrices du passé était celle de suicidaires « fuckées » et généralement sans enfant. Nous avons voulu donner la parole à des femmes qui font cohabiter les deux pôles et y trouvent un accomplissement.
Alors qu’il s’agit d’un film sur les femmes créatrices, pourquoi avez-vous jugé utile d’interviewer trois hommes, René Richard Cyr, Robert Lepage et Daniel Brière ? Vous cherchiez une caution ?
Parce que la question « La création a-t-elle un sexe ? », posée par René Richard Cyr, nous semblait pertinente. Et puis, on ne voulait pas faire une oeuvre sectaire, plutôt un film réconciliateur invitant les hommes à comprendre qu’il faut partager le terrain de jeux.
Quand vous avez eu vos enfants, votre rapport à la création s’est-il transformé ?
Au travail, je suis devenue trois fois plus efficace, concentrée, énergique. Parce que le temps m’était compté, je n’avais plus le loisir d’intellectualiser, j’étais tout de suite sur la brèche. Devenir mère m’a ancrée dans la vie et a augmenté ma créativité : j’ai beaucoup bricolé, dessiné, inventé des histoires. La maternité a amélioré l’interprète que je suis.
Dans le documentaire, Nancy Huston dit que pour l’écriture — mais son idée s’applique à toute forme de création —, il faut du temps, du silence et de la solitude, trois choses qu’une femme se sent coupable de demander, de surcroît quand elle est mère.
La maudite culpabilité ! Quand j’avais un rendez-vous chez le médecin pour l’un de mes enfants, j’annonçais une semaine à l’avance à la production qu’il fallait que je puisse être libérée pour telle heure. Le père de mes enfants, lui, pouvait annoncer spontanément, en cours de répétition : « Faut que j’aille chez le médecin avec ma fille », et on trouvait ça cute.
Mais tout cela a évolué, n’est-ce pas ?
Anaïs Barbeau-Lavalette dit que si, il y a 20 ans, elle avait présenté, enceinte, son projet Inch’Allah aux institutions, jamais elles ne l’auraient soutenue. « Ton bébé va avoir trois mois quand tu iras tourner en Jordanie ? Y pensestu ? » Les mentalités ont changé, mais pour les comédiennes, ça reste difficile. Voit-on beaucoup d’actrices enceintes dans les pubs, les séries, les films ?
Volontaires, les jeunes femmes d’aujourd’hui prennent leur place. Regardez seulement l’essor des auteures- compositricesinterprètes. Mais dans un contexte économique fragile, à l’heure où d’autres coupes en culture s’annoncent, je crains que les femmes, dont la créativité mise sur l’intériorité — un potentiel jugé moins commercial —, ne soient les perdantes.
Crée-moi, crée-moi pas,
TéléQuébec, le 14 janvier à 21 h.