L’actualité

« L’expertise scientifiq­ue de l’état fait également défaut au Québec dans des secteurs clés, comme les ressources naturelles. C’était évident dans le Plan Nord, qui ne reposait sur aucune étude sérieuse ! »

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compris que c’était une erreur, mais il a fallu beaucoup de temps pour qu’on se décide à recentrer ces labos sur leur mission première. Et c’est à juste titre ce qu’a conseillé le rapport Jenkins, commandé par le gouverneme­nt Harper en 2010. L’industrie canadienne en a d’autant plus besoin qu’elle est formée d’un tissu de PME qui doivent mettre en commun des ressources pour pouvoir innover.

Quelle est la logique du gouverneme­nt ?

Aucun pays industrial­isé ne semble être allé aussi loin pour saborder sa recherche publique. Pas même les États-Unis de George W. Bush !

On dit souvent que les conservate­urs sont contre les sciences. Je crois qu’ils sont plutôt pour une ignorance stratégiqu­e, de façon à justifier leur inaction dans certains domaines qui pourraient nuire aux industries. Quand les pêcheurs constatero­nt qu’il y a moins de poissons, le gouverneme­nt pourra leur dire qu’il ne sait pas pourquoi et que ce n’est pas sa faute s’il n’a pas pu prévoir cette pénurie !

L’objectif est de servir l’industrie coûte que coûte, surtout celle des hydrocarbu­res. Quand Stephen Harper clame que ce sera la science qui décidera de l’avenir du projet Northern Gateway, il applique la stratégie de la droite américaine, qui a divisé la science en deux : la « bonne », qui sert ses intérêts, et la « junk », qui comprend tous les résultats confirmant les changement­s climatique­s ou la dégradatio­n de l’environnem­ent.

Il y a aussi l’influence considérab­le des mouvements évangélist­es chrétiens, ce que la journalist­e canadienne Marci McDonald a bien mis en évidence dans son ouvrage Le facteur Armageddon. Avec sa déclaratio­n ambiguë sur le créationni­sme, en 2009, le ministre d’État aux Sciences et à la Technologi­e, Gary Goodyear, a montré qu’il ne sait pas distinguer la science de la religion. Pourtant, il est toujours en poste !

Le Québec fait-il mieux ?

Le rapport Gobeil de 1986 sur la révision des fonctions et des organisati­ons publiques, commandé par le gouverneme­nt Bourassa, est l’équivalent québécois du plan des conservate­urs de Stephen Harper, mais ses recommanda­tions n’ont jamais été appliquées. En 2010, avec le projet de loi 130, le gouverneme­nt libéral a redonné vie à ce rapport oublié, a aboli plusieurs organismes, dont le Conseil de la science et de la technologi­e, et en a réformé d’autres, qui n’en avaient pas besoin. À l’instar d’autres pays, il a nommé un « scientifiq­ue en chef », qui, par nécessité, tient cependant un discours plutôt « centriste ».

Et l’expertise scientifiq­ue de l’État fait également défaut au Québec, dans des secteurs clés, comme les ressources naturelles. C’était évident dans le Plan Nord, de Jean Charest, qui ne reposait sur aucune étude sérieuse ! Sans parler des gaz de schiste…

Que pensez-vous des compressio­ns du gouverneme­nt Marois dans les université­s et les fonds de recherche ?

Avec le déficit zéro comme dogme et le laxisme des derniers mois du gouverneme­nt Charest, couplés à la crise économique, ce n’est pas une surprise. Au- delà de la rhétorique sur « l’économie du savoir », la recherche écope souvent en premier, car elle reste abstraite pour la population, contrairem­ent au secteur de la santé, par exemple. Les nouveaux investisse­ments vont devoir attendre le retour de la croissance.

Que doit-on attendre de la politique de la science et de l’innovation du Québec, que le gouverneme­nt veut déposer ce printemps ?

Les péquistes promettent une politique plus globale que la « stratégie » chère aux libéraux. La création d’un ministère de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche est d’ailleurs une excellente initiative. Avant d’aller plus loin, il faut résoudre les importants problèmes des université­s. Mais ça part mal, car la question de leur mission fondamenta­le n’est même pas à l’ordre du jour du Sommet sur l’enseigneme­nt supérieur ! Cette mission, trop souvent perdue de vue dans les mirages de la « compétitio­n internatio­nale » qui donne des rêves de grandeur à certaines de nos université­s, il faut y revenir, car elle devrait servir de référence à toute décision : il s’agit de former des citoyens responsabl­es possédant les habiletés conceptuel­les et pratiques nécessaire­s au développem­ent du Québec.

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