HAÏTI SAUVAGE
Bonbon, Jérémie, l’Île à Vache… notre reporter a joué au touriste à Haïti. La Perle des Antilles a effectivement beaucoup à offrir, et pas que dans les tout compris !
La petite motochinoiseque pilote le jeune Fanfan — un des innombrables Haïtiens qui s’improvisent taxis — peine sur la routedeterre qui relie Jérémie aux Abricots, à l’extrême ouest de l’île d’Hispaniola. Il y a les trous, les roches, le poids de trois passagers, la chaleur : le moteur souffre. Pour alléger le fardeau, on monte les côtes à pied, avant de reprendre au sommet la chevauchée dans cette Haïti peu fréquentée, pleine de lumière et de silence.
Après 90 minutes de ce régime, la moto s’arrête net sur un promontoire naturel. Notre regard plonge dans un bout d’éternité : l’eau turquoise de la mer des Caraïbes, limpide. Les palmiers accrochés à des falaises qui marquent les contours de la baie. Quelques maisonnettes que l’on devine derrière la plage. Et deux voiliers de bois ancrés au centre de l’anse. Pure merveille sous le soleil. Un petit village délicieuse mentnommé Bonbon.
Dans le hameau, une ribambelle d’enfants s’amusent de nous voir— deux Blancs— chambouler la langueur d’un aprèsmidi de mars. Sur la plage, une dizaine d’ hommesterminent la construction à la main de la coque d’une caravelle de bois, qui servira à transporter du charbon vers PortauPrince. Le temps paraît suspendu entre deux bouchées de mangue, chaude et sucrée.
C’est ici, dans ce type de panorama, que le vieux surnom d’Haïti— « la Perle des Antilles » — trouve tout son sens. Bonbon n’est qu’un petit village endormi près de Jérémie, « la cité des poètes », ain sinommé eparce que plusieurs auteurs y ont vécu, attirés par la beauté tranquille du lieu. Mais il y a aussi PortSalut et l’Île à Vache au sudouest, Jacmel au sud, la côte des Arcadins juste un peu au nord de PortauPrince, CapHaïtien et, tout au nord du pays, la citadelle La Ferrière, une gigantesque forteresse classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Autant de perles méconnues, mais que les pouvoirs publics s’affairent présentement à polir.
Pour relancer le pays, le gouvernement de Michel Martelly a en effet trouvé son levier : le tourisme. Mais pas du genre « tout compris », la tendance ailleurs dans les Caraïbes. On mise
ici sur ce qu’on appelle le « tourisme de contenu ». Les Antilles reçoivent quelque 23 millions de touristes chaque année, il faut en profiter, dit la ministre du Tourisme, Stéphanie Balmir Villedrouin, qui porte ce projet qu’elle présentecommeun pilier de la reconstruction haïtienne: « Nous avons les plages, les montagnes, la culture, l’artisanat, la gastronomie. »
Une virée à travers le pays confirme ses prétentions. Des poissons grillés mangés directement sur la plage de Port-Salut aux poulets boucanés ou sauce créole de Jacmel et Cap-Haïtien, l’expérience culinaire est effectivement succulente. Les plages ? On a dit Bonbon et les Abricots, mais le pays compte son lot de petits paradis ensablés, qui n’ont rien à envier aux plages très fréquentées du voisin dominicain.
Les montagnes? On imagine mal combien ce pays d’eau est tout en relief. On s’étonne donc, dès que l’on quitte la capitale, de la profondeur des gorges qui se creusent sur la route deKenscoff et Furcy, par exemple. Après une heure de moto sur un sentier de terre rouge, le paysage balafré de la capitale, sa pollution et son bruit incessant s’oublient au coeur de magnifiques vallées. Et s’il n’y a à peu près plus d’arbres en Haïti, sauf dans l’Ouest, des îlots de verdure émergent ici sur les terrasses aménagées à flanc de montagne.
Très fiers, des écoliers nous expliquent qu’on a semé ici des brocolis, là du chou-fleur, plus loin des pommes de terre ou des oignons. Et comme pour la caravelle de Bonbon, tout est fait à la main.
Les défis pour développer le potentiel touristique d’Haïti sont à la mesure du destin d’un pays trop souvent frappé par les crises — politiques ou naturelles. Le gouvernement a choisi de s’attaquer à la base: les infrastructures. L’aéroport de Port-au-Prince a été refait, la piste de celui de Cap-Haïtien a été allongée, des travaux sont en cours pour aménager les installations de Jacmel et en construire auxCayes. L’idée étant d’éviter aux voyageurs un réseau routier catastrophique, parfois terrifiant.
À cela s’ajoute une offensive pour encourager la construction d’hôtels répondant aux standards internationaux. Car l’hébergement actuel offre un rapport qualité-prix discutable : il en coûte généralement plus de 100 dollars pour des chambres au confort minimal.
Entoute chose, on souhaite un « modèle de développement qui bénéficie aux populations locales ». Il y a enHaïti l’exemple parfait decequele gouvernement Martelly ne veut pas. Tout au