L’actualité

DANS LES CÂBLES DE L’HISTOIRE

Au nom de la « raison d’État », la France a coulé un navire de Greenpeace, le Rainbow Warrior, et les États-Unis ont vendu des armes à l’Iran, afin de financer une révolte armée contre un gouverneme­nt du Nicaragua.

- L’édito de Carole Beaulieu rédactrice en chef et éditrice

S’il est, comme il le dit, un politicien nouveau, en phase avec son époque avide de transparen­ce, Justin Trudeau a l’occasion de le prouver maintenant !

Plus que tout autre, le chef du Parti libéral du Canada devrait s’engager, s’il est élu à la tête du pays, à rendre publiques les archives canadienne­s du rapatrieme­nt de la Constituti­on, ce que le gouverneme­nt de Stephen Harper a refusé à l’historien Frédéric Bastien, auteur de La bataille de

Londres ( Boréal). Parce que Justin est le fils de Pierre E. Trudeau, artisan de ce rapatrieme­nt controvers­é qui a affaibli son parti au Québec, le geste n’en sera que plus marquant.

Persévérer à qualifier de « vieilles chicanes » qu’il faut ignorer les questions soulevées par Frédéric Bastien lui donne l’allure d’un vieux politicien retranché dans les câbles. On l’a connu plus audacieux sur le ring ! Ces présumées vieilles querelles sont des questions terribleme­nt actuelles.

Si les juges de la Cour suprême peuvent aujourd’hui permettre à un garçon portant le kirpan d’aller à l’école ou à une femme voilée de témoigner à un procès, c’est en vertu de la Charte des droits et libertés, insérée dans la Constituti­on lors de son rapatrieme­nt, en 1982. Pour doter le pays de cette Charte, et parfois donner aux juges plus de pouvoir qu’aux élus, le gouverneme­nt de son père — et des juges de la Cour suprême — a-t-il franchi quelques lignes rouges, comme l’affirme Bastien en se basant sur des documents obtenus en GrandeBret­agne grâce à la Loi d’accès à l’informatio­n de ce pays ?

Le juge en chef de la Cour suprême de l’époque, Bora Laskin, a-t-il ou non informé des politicien­s britanniqu­es et canadiens de certains éléments des délibérati­ons de la plus haute cour de la fédération, qui devait statuer sur la constituti­onnalité du rapatrieme­nt qu’Ottawa préparait en dépit de la volonté des provinces ?

Si des irrégulari­tés ont été commises au nom de la « raison d’État », ces actes devraient être aujourd’hui défendable­s par ceux qui partagent la même vision. Comme l’a récemment écrit le chroniqueu­r Don Macpherson dans The Gazette : pour faire adopter la loi contre l’esclavage, Lincoln a magouillé et contrevenu aux règles. Il est pourtant perçu comme un héros.

Si Justin Trudeau croit en ce pays multicultu­rel que son père a fait naître, il doit permettre aux Canadiens de savoir la vérité sur les choix faits il y a 30 ans. Les gens aiment savoir, même si cela ne change rien dans leur vie de tous les jours. Mais cela les incite à se méfier des actes que leurs élus pourraient commettre au nom d’une raison qui n’est pas toujours la leur. Et parfois, à demander réparation.

La lecture des échanges révélés par les documents britanniqu­es fait ressentir encore plus cruellemen­t l’opacité de nos gouverneme­nts. L’auteur n’a pu obtenir du Conseil privé, à Ottawa, que des documents lourdement censurés, tandis que les Britanniqu­es ont fourni des textes entiers d’une richesse inouïe. On y voit paraître la surprise de Britanniqu­es, comme lord Moran, qui découvre au gouverneme­nt fédéral, à Ottawa, « les Canadiens les plus difficiles, les plus ombrageux et les moins amènes » !

Si seulement nous pouvions lire ce que se disaient à la même époque les hauts fonctionna­ires fédéraux et provinciau­x !

En attendant que Justin Trudeau prenne sa place dans l’histoire, on peut remercier Tony Blair, l’ex-premier ministre britanniqu­e. C’est grâce à la Loi d’accès à l’informatio­n qu’il a fait adopter que Frédéric Bastien peut nous donner à lire un pan méconnu de notre saga collective...

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Le premier ministre Pierre Trudeau et Bora Laskin, juge en chef de la Cour suprême à l’époque du rapatrieme­nt de la Constituti­on.
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