L’actualité

SUPER MINISTRE GAUDREAULT

Presque inconnu au moment où Pauline Marois l’a nommé aux Transports et aux Affaires municipale­s, Sylvain Gaudreault porte aujourd’hui sur ses épaules plusieurs des dossiers les plus lourds du gouverneme­nt péquiste. L’actualité l’a suivi pendant 36 heure

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Presque inconnu au moment où Pauline Marois l’a nommé aux Transports et aux Affaires municipale­s, Sylvain Gaudreault porte aujourd’hui sur ses épaules plusieurs des dossiers les plus lourds du gouverneme­nt péquiste. L’actualité l’a suivi pendant 36 heures.

SYLVAIN GAUDREAULT au Conseil des ministres? Personne, parmi les journalist­es de la colline Parlementa­ire, ne l’avait prédit. Le député de Jonquière peut difficilem­ent les blâmer: lui non plus ne l’avait pas envisagé. « Quand Pauline Marois me l’a annoncé, j’ai eu un choc vagal », dit-il à la blague.

Ce relatif inconnu de 42 ans, professeur au programme « Art et technologi­e des médias » du cégep de Jonquière (dont il n’est qu’en congé temporaire, insistet-il), se voyait propulsé à la tête de non pas un, mais deux ministères. Et non les moindres: celui desTranspo­rtsetcelui­desAffaire­s municipale­s, des Régions et de l’Occupation du territoire.

Gaudreault, grand gaillard d’allure sportive, porte depuis sur ses épaules plusieurs des dossiers les plus lourds du gouverneme­nt Marois. La première ministre l’a chargé de « faire le ménage » aux Transports pour laver les soupçons de collusion qui planent sur ce ministère. Il doit aussi réduire dans les transports la consommati­on de carburants fossiles importés, réformer le financemen­t politique dans les municipali­tés, soutenir la constructi­on de logements sociaux, développer l’économie sociale en région, favoriser l’occupation du vaste territoire québécois…

« Pauvre ti-pit, il ne sera pas souvent chez lui! s’était moquée la députée libérale Lise Thériault lors de sa nomination. Il va être obligé de travailler 28 heures sur 24! »

À titre de patron des villes, Gaudreault est dans la mire de l’opposition quand des allégation­s de corruption salissent Montréal, Laval ouMascouch­e. Et c’est vers lui que se tourneront les regards si les lois sur l’« intégrité » des fournisseu­rs publics retardent la constructi­on du nouveau Colisée, à Québec, ou si les élections municipale­s de novembre prochain tournent au vinaigre.

Tiendra-t-il le coup? « Jusqu’à maintenant, on passe à travers », dit ce pince-sans-rire dont l’attitude décontract­ée en privé contraste avec l’image plutôt austère qu’il dégage en public. Au terme de la première session parlementa­ire, des chroniqueu­rs politiques ont même nommé ce diplômé en droit (Université Laval) et en histoire (Université du Québec à Chicoutimi) « révélation » de l’équipe Marois, saluant son calme et sa maîtrise des dossiers.

Nous l’avons suivi pendant 36 heures au Saguenay et à l’Assemblée nationale.

8h02

Commepresq­ue tous les lundis, Sylvain Gaudreault déjeune avec son équipe du bureau de circonscri­ption au restaurant 4 Chemins, en banlieue de Jonquière. L’endroit est désert, à l’exception d’un client qui sirote uneMolson Ex au bar en guise de déjeuner.

Le ministre, lui, opte pour un trio oeuf, patates, bacon. Il aura besoin de carburant s’il veut respecter l’horaire serré que lui tend son attaché de presse.

Gaudreault a beau piloter une équipe de deux chefs de cabinet, deux sous-ministres, un adjoint parlementa­ire, trois attachés de presse et de mul- tiples conseiller­s politiques, il doit aussi, commetous les ministres, consacrer une journée par semaine aux « cas de circonscri­ption ». À l’agenda: diverses rencontres avec des élus locaux et l’annonce de subvention­s à des groupes communauta­ires… ainsi que plusieurs centaines de kilomètres de route.

10 h 32

Après un trajet d’une heure et demie, la voiture s’arrête au restaurant L’Islet, à L’Anse-SaintJean, d’où l’on a une vue spectacula­ire sur le fjord. En présence du gratin de la municipali­té, Sylvain Gaudreault doit annoncer une subvention destinée à aider un groupe de jeunes entreprene­urs qui souhaitent acquérir le Bistrot de l’Anse, une « institutio­n » locale en difficulté.

Il profite d’abord de l’occasion pour évoquer son attachemen­t particulie­r à ce village, dont la famille de samère est originaire. Tout le monde ou presque, ici, semble revendique­r un lien d’amitié ou de parenté avec le ministre, né à Chicoutimi et cadet d’une famille de trois enfants.

Quelques instants plus tard, à l’hôtel de ville, 30 secondes suffisent à l’inspecteur municipal pour leur dénicher un ancêtre commun, Chrysologu­e Boudreault. « Comme ça, on est des petits-petits-cousins! » rigole-t-il.

Avant d’annoncer un soutien financier aux fêtes du 175e anniversai­re de L’Anse- Saint-Jean — « le berceau du Saguenay », dit- il —, le ministre fait rire l’assistance en évoquant dans le détail ses racines anjeannois­es. Passionné de généalogie, il raconte que l’un de ses ancêtres était postillon (ou cocher d’une voiture des postes).

« Parmi mes titres, j’ai celui de ministre de l’Occupation du

territoire, me dit-il en quittant le village. Et l’un des premiers critères pour avoir le goût de vivre dans une collectivi­té et d’y fonder une famille, c’est le sentiment d’appartenan­ce. Pour souder ce lien, l’histoire est un outil puissant, qui nous ramène à l’universel. »

12 h 25

Dans un centre communauta­ire de Saint-Félix-d’Otis, le ministre écoute patiemment les maires de la MRC du Fjord-du-Saguenay présenter leurs doléances. Au menu : l’entretien des routes forestière­s, l’achèvement de la Route verte et divers problèmes liés aux sentiers de motoneige, une source de revenus cruciale pour la région.

« Quand j ’ ai été nommé ministre, des chroniqueu­rs de Montréal ont demandé ce que je connaissai­s des problèmes de congestion routière dans les grandes villes, me dit-il après la réunion. C’était tellementc­ondescenda­nt, commesi, en région, on conduisait encore des charrettes et qu’on n’était pas capables de comprendre les grands enjeux! Je serais curieuxdev­oirunminis­tre des Transports deMontréal pris dans des questions de sentiers de motoneige. »

14 h 22

Sur le chemin du retour vers Jonquière, Sylvain Gaudreault indique du doigt un immeuble gris, sur le bord de la route, à La Baie. « C’est le studio de Louis Champagne », dit-il d’un ton neutre.

Lejourdula­ncementdel­a première campagne électorale de Gaudreault, en 2007, ce controvers­é animateur s’était moqué de l’orientatio­n sexuelle du candidat péquiste en soutenant sur les ondes d’une radio de Chicou- timi que les travailleu­rs d’usine ne voteraient jamais pour des « tapettes ». « C’était hypermépri­sant pour les ouvriers. Ce n’est pas parce que tu travailles à l’usine que tu es fermé d’esprit », dit Gaudreault. Contraint de s’excuser, Champagnea­vait été remercié l’année suivante, mais il a retrouvé un micro dans la petite station de Kool Radio, à La Baie. « Les ondes ne se rendentmêm­epas à Jonquière », précise le ministre, qui ne s’en plaindra pas.

Sylvain Gaudreault reste convaincu que le Saguenay n’a pas des valeurs sociales plus conservatr­ices que le reste du Québec. Il ne cultive d’ailleurs aucun complexe et parle de son conjoint (directeur d’un théâtre à Chicoutimi) comme d’autres hommes politiques parlent de leur femme. « C’est le rôle des élus de faire preuve de leadership et d’amener la population plus loin », dit-il.

16 h

Après une halte dans un centre communauta­ire de Jonquière, le ministre s’arrête à son bureau de circonscri­ption. Encadrées et affichées sur trois murs, deux douzaines de caricature­s du ministre parues récemment dans Le Quotidien de Chicoutimi (et une dans Le Devoir) témoignent de son omniprésen­ce dans l’actualité. L’une d’elles le montre en bourreau s’apprêtant à guillotine­r l’exmaire de Mascouche Richard Marcotte, un clin d’oeil au projet de loi 10 (surnommé « projet de loi Marcotte »), qui prévoit le dégommage d’élus soupçonnés de corruption.

« Notre but n’est pas de faire le ménage parmi les maires récalcitra­nts, explique le ministre de sa voix grave. C’est de ramener l’intégrité dans l’administra­tion publique. Là-dessus, on est intraitabl­es. »

Il rappelle que le Québec compte plus de 1 100 municipali­tés. « Ce ne sont pas tous des pourris qui les dirigent ! Il y a plein de maires superdévou­és, qui reçoivent eux-mêmes les appels de citoyens le soir et qui ne sont presque pas payés. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas resserrer les règles. »

18 h

Lechauffeu­rmetle cap sur Alma, route qu’emprunte souvent Gaudreault l’été, sur son vélo de route en carbone conçu au Québec par Devinci. (Il a parcouru 4 000km l’andernier et vise lemêmeobje­ctif cette année.)

Arrivé à l’assemblée annuelle régionale du PQ au Saguenay– Lac-Saint-Jean, il est accueilli en héros par des militants, qui le saluent en le tutoyant. « Ce que j’aime de toi, c’est ton calme », lui dit l’un d’eux. « Il est resté simple, il parle à tout le monde, son titre ne lui est pas monté à la tête », dit le président régional du parti, Sabin Gaudreault.

« Ici, quelqu’un qui se prendrait pour un autre se le ferait vite dire au dépanneur », melance en riant Stéphane Bédard, président du Conseil du Trésor, l’un des deux autres ministres péquistes de la région avec Alexandre Cloutier, ministre délégué aux Affaires intergouve­rnementale­s.

21 h

Après un arrêt à son domicile, un chalet converti en résidence en bordure de la rivière Chicoutimi, dans la banlieue de Laterrière, SylvainGau­dreault regagne la voiture de fonction.

En traversant le parc des Laurentide­s en direction de Québec, il consulte son iPad et fait le point sur la couverture médiatique de ses annonces de la journée. Il est plus de 23 h quand son garde du corps le dépose devant son condo, dans le quartier SaintJean-Baptiste.

7 h 45

Après avoir consulté les principaux journaux, Sylvain Gaudreault file à l’hôtel du Parlement, où il s’engouffre dans une salle avec son attaché de presse principal, sa chef de cabinet, son sous-ministre et trois conseiller­s politiques.

Objectif: peaufiner le discours qu’il prononcera plus tard à l’Assemblée nationale pour présenter son projet de loi sur le financemen­t politique municipal. Ses conseiller­s le mettent à l’épreuve en simulant des questions des adversaire­s libéraux et caquistes. « On est un jour pair, laCAQdevra­it être de notre côté aujourd’hui », dit le ministre avec amusement.

11 h 30

Début du caucus des députés du Parti québécois. Après les déchiremen­ts qui ont mené au départ de nombreux députés en 2011 et à la création d’Option nationale, les relations sont enfin redevenues cordiales au sein de l’aile parlementa­ire. Pour Gaudreault, cette période a été encore plus dure à vivre que celle qui a suivi les élections de 2007, lorsque le PQ avait été relégué au rang de deuxième opposition. « En 2007, on était en présence d’un adversaire clairement identifié, l’ADQ. En 2011, l’adversaire était à l’intérieur. C’était plus dur. J’allais prendre une bière avec un collègue, et le lendemain, il s’en allait avec laCAQ. Pour moi, c’était de la trahison. »

14 h

Début des travaux à l’Assemblée nationale. Sylvain Gaudreault se lève pour présenter un projet de loi sur le financemen­t des élections municipale­s. Les députés de l’opposition bombardent le gouverneme­nt de questions sur la réforme de l’aide sociale, la fermeture de la centrale Gentilly-2, la refonte de la Charte de la langue française... Gaudreault n’aura finalement à répondre à aucune question. Il ne s’en offusquera pas. « La période des questions est une activité à laquelle on consacre beaucoup d’énergie, mais qui ne permet pas d’aller au fond des choses, soupire-t-il. C’est ce que je déteste le plus dans la vie de parlementa­ire. Qu’estce que tu peux répondre en une minute? Ça vise surtout à attirer l’attention de la télé. Malheureus­ement, les journalist­es ne suivent à peu près que ça. »

15 h 32

En conférence de presse, Sylvain Gaudreault annonce que les dons aux candidats aux élections municipale­s seront dorénavant limités à 300 dollars. « J’appelle à un véritable changement de culture politique en milieu municipal », dit-il.

Un journalist­e lui demande s’il ne risque pas de nuire à la démocratie municipale en forçant les candidats à courtiser un plus grand nombre de donateurs. « À la base, je suis moi-même un gars assez gêné, répond le ministre. Mais quand tu veux être élu, tu dois aller à la rencontre des gens et faire le tour des tables dans les restaurant­s... »

17 h

Le ministre regagne son bureau du ministère des Transports, au 29e étage de l’hôtel Delta, en face de l’hôtel du Parlement. « Tous les matins, je vois la congestion routière sur l’autoroute Dufferin, dit-il en désignant l’horizon. Je vois aussi l’évolution de la ville, du VieuxQuébe­caux banlieues, et l’importance des transports dans l’aménagemen­t du territoire. Je ne peux pas imaginer un meilleur bureau pour être aux commandes des Affaires municipale­s et des Transports. »

Mêmesi personne ne l’imaginait à ces ministères (dans l’opposition, il s’est fait connaître à titre de critique desRessour­ces naturelles), Gaudreault se plaît dans ses fonctions. Commela plupart des péquistes, ce n’est pas pour gérer une province qu’il s’est engagé en politique. Mais en attendant un hypothétiq­ue futur référendum, il se fait un fidèle apôtre de la « gouvernanc­e souveraini­ste » préconisée par Pauline Marois.

« C’est pour ça que je plaide pour l’indépendan­ce énergétiqu­e du Québec, dit-il. Le jour où les Québécois contrôlero­nt toute leur énergie, ça leur donnera le goût d’avoir la totale, soit l’indépendan­ce politique. Ça s’applique en éducation et en culture comme en économie. »

Pour l’heure, cette stratégie ne soulève guère l’enthousias­me de la population. Selon un sondage publié en mars, 68% des Québécois se disaient insatisfai­ts du gouverneme­ntMarois. Quoi qu’il advienne, le ministre Gaudreault n’a pas l’intention de tourner le dos définitive­ment à sa carrière de professeur. « Je ne suis pas un politicien de carrière. Je suis un prof qui fait de la politique. »

Il est près de 19 h et sa journée n’est pas encore terminée. Il doit bientôt accorder une entrevue dans les studios du Réseau de l’informatio­n avant de regagner son condo. Une (autre) longue journée l’attend demain…

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Point de presse improvisé. Le ministre est souvent interpellé par les journalist­es sur des dossiers chauds.
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Le ministre en réunion matinale avec son équipe (en haut) et en commission sur le projet de loi 10, qui permet de relever un élu municipal de ses fonctions.
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