LES PILULES DE LA COLÈRE
Les Québécois paient leurs médicaments beaucoup plus cher que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Pourquoi ? Comment changer la donne ?
Les Québécois paient leurs médicaments beaucoup plus cher que dans la moyenne des pays de l’OCDE, a constaté notre journaliste. Pourquoi ?
Combien avez- vous dépensé en médicaments l’an dernier ? Gageons que, comme la plupart des gens, vous n’en avez aucune idée ! Pour établir la facture, il faudrait pouvoir additionner trois montants: l’argent sorti de votre poche à la pharmacie, celui versé en primes d’assurance médicaments, et la partie de vos impôts payés àQuébecqui a servi àacheter lesmédicamentsdonnés dans les hôpitaux, qu’on ne facture pas aux patients. L’Institut canadien d’information sur la santé, qui dispose de tous ces chiffres, a fait le calcul. Résultat: en 2012, chaque Québécois a dépensé enmoyenne la bagatelle de 1 063 dollars en médicaments. Soit l’équivalent de deux semaines de revenu moyen.
C’est quasiment un record mondial! Seuls les Américains
déboursent plus par personne à ce chapitre que les Canadiens. Et au pays, seuls les habitants des Provinces maritimes paient — un peu— plus que les Québécois. En Colombie-Britannique, la facture annuelle de médicaments est de 702 dollars. Dans les pays de l’OCDE, elle est en moyenne de 494 dollars. Les Néo-Zélandais, qui ne sont ni moinsmalades nimoins soignés que les Québécois, déboursent presque quatre fois moins par an pour leurs pilules !
Dans les dernières décennies, les dépenses en médicaments ont explosé dans les pays riches. Principale cause ? Le progrès ! Fruits de la recherche pharmaceutique, des milliers de produits ont contribué à prévenir des maladies, à mieux soigner, à éviter des hospitalisations et à allonger la durée de vie. Le vieillissement de la population est aussi, dans une moindre mesure, à l’origine de la hausse des dépenses, selon l’Institut canadien d’information sur la santé.
Mais toute cette pharmacie donne aujourd’hui de sérieux maux de tête aux gouvernements, qui sont nombreux à se demander s’ils en ont encore pour leur argent. Même si les coûts des médicaments continuent de grimper, les progrès thérapeutiques ont nettement ralenti depuis les années 1990. La plupart des nouveautés sont des reformulations légèrement améliorées de produits existants, conçues principalement pour aller chercher des parts de marché. Les réelles innovations, tels les traitements anticancéreux issus de la pharmacogénomique, coûtent les yeux de la tête, par- fois plus de 100 000 dollars pour quelques mois de traitement!
L’industrie compte de plus en plus sur le marketing pour maintenir ses profits et ferme ses labos de recherche moins rentables les uns après les autres. « Big Pharma » — surnom donné aux grandes sociétés pharmaceutiques et à leur influent lobby — révèle aussi son côté sombre à mesure qu’on découvre que, ces dernières années, de grandes multinationales ont abondamment triché dans des études cliniques et violé les lois sur le lobbyisme ou la publicité (voir l’encadré « Quand “Big Pharma” dérape... », p. 34).
Consommersans cesse plus de pilules a également fait émerger d’autres problèmes: dans le monde, les réactions indésirables aux médicaments sont à l’origine de 10% à20% des hospitalisations, selon l’Organisation mondiale de la santé.
Au Québec, les médicaments accaparent 19,4 % de toutes les dépenses de santé publiques et privées, plus que partout ailleurs au Canada. Depuis 10 ans, l’État dépense même davantage pour acheter des médicaments que pour payer les médecins! « Notre confiance envers les médicaments est trop grande », écrit le père de l’assurance maladie, Claude Castonguay, dans son livre Selon ce spécialiste, médecins et malades comptent exagérément sur les médicaments pour régler les problèmes de santé. On en prend trop, et ils sont trop chers.
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut remonter à 1987, année où le gouvernement fédéral de BrianMulroney fonde le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés. Cet organisme fixe le prix maximum que les sociétés pharmaceutiques peuvent demander au Canada pour leurs produits. Il s’assure que les tarifs sont raisonnables, mais assez élevés pour inciter l’industrie à investir en recherche. Parmi les sept pays de comparaison retenus par le Conseil, les États-Unis, la Suède, la Suisse et l’Allemagne sont ceux où la recherche est la plus développée, et les prix, les plus hauts.
« Si l’on tient compte des différences du coût de la vie, le Canada apparaît comme le pays où les coûts de consommation pour les produits médicamenteux brevetés sont les plus élevés », lit- on dans le dernier rapport annuel du Conseil. Or, en 2009, le pays avait, après l’Italie, le plus bas rapport entre le montant que l’industrie dépense en recherche et ce que les ventes de médicaments lui rapportent. Alors qu’en Suisse l’industrie dépenseunpeu plus en recherche que ce que la population paie en médicaments, au Canada, les fonds injectés en recherche par l’industrie équivalent à seulement 7,5% du chiffre d’affaires de celle-ci au pays!
« Cette politique à vocation à la fois industrielle et de santé est un échec », estime Marc-André Gagnon, professeur de politiques publiques de la santé à l’Université Carleton, à Ottawa.