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MON QUARTIER ME REND MALADE

Peu d’espaces verts, pas de fruiteries, des logements en mauvais état… Pas étonnant qu’on meure plus jeune dans les quartiers pauvres. Comment briser la spirale ?

- par Dominique Forget • photos de Jean-François Leblanc

Peu d’espaces verts, pas de fruiteries, des logements en mauvais état. Pas étonnant qu’on meure plus jeune dans les quartiers pauvres. Comment briser la spirale ?

Assise

sur un tabouret derrière un comptoir garni de jujubes aux couleurs acidulées, Lanxi Dong soupire légèrement en regardant un client gratter quelques billets de loterie. Il y a 10 ans, elle a quitté la Chine et traversé l’océan Pacifique pour venir s’installer au Canada, à la recherche d’une vie plus paisible. C’est ici qu’elle a atterri, au coin des rues Ontario et Préfontain­e, en plein coeur du quartier Hochelaga- Maisonneuv­e, à Montréal. Il y a maintenant sept ans qu’elle travaille comme caissière dans ce dépanneur au nom singulier: Lucky. « Je nemesens pas si chanceuse, ironise cette mèrededeux­adolescent­s. Autour de chez moi, il y a des seringues par terre et des prostituée­s dans la rue. C’est pollué et il n’y a pas de bonnes écoles. Ce quartier, c’est la crève. »

Lanxi ne croit pas si bien dire. Exception faite du Nunavik, Hochelaga-Maisonneuv­e est l’endroit au Québec où l’on meurt le plus jeune. En 2006-2008, l’espérance de vie à la naissance des résidants du quartier culminait à 74,2 ans, contre 80,8 ans pour l’ensemble des Québécois. Leshabitan­tsdeWestmo­unt, eux, pouvaient compter vivre jusqu’à 84 ans en moyenne. « Ça ne m’étonne pas, dit Lanxi. Il y a juste à voir la quantitéde mineurs qui viennent ici en espérant que je leur vende des cigarettes. Commeje refuse, ils vont ailleurs. Il y a des dépanneurs dans le quartier qui ferment les yeux. »

Lorsqu’on compare l’espérance de vie au Québec avec celle des différents pays du globe, la Belle Province fait bonne figure. « Mais il y a chez nous des poches de pauvreté où l’on ne vit pas plus vieux qu’en Lituanie ou au Sri Lanka », fait remarquer le Dr RichardMas­sé, directeur de santé publique de la région de Montréal. « Et les compressio­ns annoncées par Québec à l’aide sociale risquent de fragiliser la santé de nos population­s les plus vulnérable­s. »

Après les gènes, les conditions dans lesquelles nous naissons, grandisson­s, vivons, travaillon­s et vieillisso­ns sont les premiers moteursden­otresanté etdenotre espérance de vie. Qui naît dans un milieu défavorisé risque, au cours de sa vie, de fumer davantage, d’être plus sédentaire et de manger des aliments de moins bonne qualité. « Contrairem­ent au loyer, le budget réservé à l’alimentati­on est compressib­le », rappelle la Dre Marie-France Raynault, chercheuse au Centre de recherche Léa-Roback sur les inégalités sociales de santé de

Montréal. Peut-être pour cette raison, les grandes chaînes de supermarch­és boudent souvent les quartiers pauvres. « Dans des endroitsco­mmeHochela­gaMaisonne­uve, on voit de nombreuses familles acheter leurs aliments dans les dépanneurs, les Jean Coutu ou les Dollarama », constate-t-elle.

Le portrait est pourtant différent dans les quartiers pauvres de Montréal où se concentren­t les immigrants récemment arrivés. C’est que le savoir culinaire — et ménager — des femmes venues d’ailleurs est beaucoup plus vivant que chez les Nord-Américaine­s. Dans Parc-Extension, les échoppes où l’on vend des fruits et légumes, des noix ou de l’huile d’olive sont nombreuses. L’espérance de vie moyenne s’y situe d’ailleurs à 82,6 ans... Soit au-dessus de la moyenne québécoise.

« Même si, à compétence­s égales, les immigrants récents ont plus de difficulté à se trouver un emploi et sont donc suscep- tibles de gagner un revenu inférieur, leurs habitudes alimentair­es les protègent à leur arrivée, explique la Dre Raynault. Mais au bout de 10 ans, nos moeurs les ont corrompus. Ils mangent aussi mal que nous. »

Il n’y a pas que les mauvaises habitudes de vie qui minent la santé des plus pauvres. L’environnem­ent physique laisse aussi sa marque. Un ingénieur qui s’installe dansunquar­tiercomme Hochelaga-Maisonneuv­e, même s’il gagne bien sa vie, court statistiqu­ement plus de risques de mourir prématurém­ent que s’il vivait àWestmount.

Car le taux d’accidents est plus élevé dans les quartiers défavorisé­s. On y trouve moins de dos d’âne ou de trottoirs en saillie, qui servent à réduire la vitesse de la circulatio­n automobile. On y aménage aussi moins d’espaces verts, qui non seulement incitent à faire du sport, mais servent à combattre les îlots de chaleur. « Quandonest entourédeb­itume, en été, le thermomètr­e grimpe au point de favoriser les problèmes respiratoi­res », explique le DrMassé.

La cerise sur le gâteau: selon une étudemenée­par la Direction de santé publique deMontréal, les personnes défavorisé­es se sentiraien­t moins bien accueillie­s dans les cliniques médicales, ce qui ne les inciterait guère à les fréquenter.

La Direction de santé publique deMontréal a beau tirer la sonnette d’alarme, sur le terrain, rien ne bouge. En 1998, un premier rapport sur les inégalités de santé montrait déjà qu’il existait des écarts de 10 ans d’espérance de vie entre les quartiers les plus riches et les plus pauvres de l’île. Le deuxième rapport, publié en 2011, révélait lemêmefoss­é. « La bonne nouvelle, c’est que l’espérance de vie s’est accrue partout, de quatre années en moyenne, mais les inégalités persistent », résume la Dre Raynault.

La Direction de santé publique de Québec a entrepris la même démarche pour la première

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De Westmount et Outremont (à gauche) au quartier HochelagaM­aisonneuve (ci-dessus), l’espérance de vie diminue de près de 10 ans.

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