D’OÙ VIENT L’ÉNERGIE AU QUÉBEC ?
revenus pour l’État. Une hausse des tarifs de deux ou trois cents le kilowattheure rapporterait plus de trois milliards de dollars par an. Ce serait suffisant pour inciter les gens à mieux consommer l’électricité, qui resterait tout de même moins coûteuse que presque partout ailleurs dans le monde. À Ottawa, par exemple, les ménages paient plus de 12 cents le kilowattheure, et à Boston, 15 cents!
Pourquoi une hausse des tarifs est-elle souhaitable?
Pour satisfaire son énorme demande intérieure et ses ambitions d’exportation, HydroQuébecdoit exploiter des sources d’électricité de plus en plus coûteuses. Quand il sera en service, en 2020, le complexe de la rivière Romaine produira à un coût d’environ sept cents le kilowattheure. Le coût de l’énergie éolienne, lui, est de 10 à 12 cents le kilowattheure. Avec la chute des prix du gaz naturel, les centrales au gaz américaines produisent aujourd’hui de l’électricité pour à peine quatre à cinq cents le kilowattheure, ce qui fait baisser les coûts dans plusieurs États. Mais en Nouvelle-Angleterre, l’hydroélectricité québécoise est toujours compétitive. Seules des économies d’énergie permettront au Québec de rester concurrentiel, et seule une hausse des tarifs motivera des changements de comportement chez les consommateurs. EnNorvège, qui est dans une situation comparable à celle du Québec, le tarif résidentiel de l’électricité est deux fois et demie plus élevé!
Ne risque-t-on pas de pénaliser les ménages à faible revenu?
Les Québécois dépensent en moyenne un peu plus de 1 300 dollars par année en électricité, soit moins qu’en alcool et en cigarettes. Il y a de multiples manières d’aider les familles les plus pauvres, comme on le fait par exemple en accordant des crédits de TPS et de TVQ. Pour les autres, la hausse des tarifs ne paraîtra presque pas si les gens modifient leurs habitudes et suppriment les fuites d’air dans leur maison. Réduire le chauffage peut faire diminuer sa facture de plus de 10%! Onvante beaucoup les thermostats électroniques, mais la plupart des gens ne les programment pas ou fixent une température de consigne inutilement élevée. Il faut des mesures incitatives pour qu’ils les utilisent mieux.
Dans ces conditions, doit-on continuer à encourager les énergies de remplacement?
Les grands barrages hydroélectriques fournissent, et de loin, l’énergie renouvelable la plus rentable. Et elle répond le mieux à la demande de base, parce qu’elle n’est pas intermittente et qu’on peut l’emmagasiner en réglant le niveau des réservoirs. Même si le potentiel éolien du Québec est important, les projets lancés dans la dernière décennie ont surtout servi le développement régional et l’image de marque du gouvernement, mais ils ne répondaient pas aux politiques énergétiques à cause de leurs coûts. Cela a permis au premier ministre, Jean Charest, de se faire photographier
devant des éoliennes pour ses affiches électorales. Des emplois ont aussi été créés en région, mais ils sont éphémères pour la plupart. Et les nouveaux projets se heurtent de plus en plus à l’opposition de la population. Qu’en est-il de l’énergie solaire et de la géothermie, dont le gouvernement et Hydro- Québec encouragent la production par des subventions? Tant que les tarifs d’électricité resteront très bas, elles seront très difficiles à rentabiliser, et les subventions n’y changeront pas grand-chose. Ces formes d’énergie restent l’apanage de gens convaincus ou d’entreprises qui veulent soigner leur image. Nous n’aurons certainement jamais de grande centrale solaire ou géothermique en raison de notre climat et de notre géologie. Il serait toutefois intéressant d’installer plus de chauffe-eaux solaires ou de recourir à la géothermie plutôt qu’au mazout pour chauffer des bâtiments. Mais cela sera rentable seulement lorsque le prix de l’électricité aura augmenté. Vous voyez en revanche un réel potentiel pour l’utilisation de la biomasse. Le gouvernement libéral avait pris une excellente initiative en interdisant l’enfouissement des déchets organiques, comme les restes de table, à partir de 2020. Des déchets qui sont aujourd’hui transportés par camion sur des distances de plus en plus longues vers les dépotoirs seront plutôt traités dans des usines de biométhanisation et généreront de l’électricité ou de la chaleur là où se trouve la matière première et où il y a des besoins. C’est un cercle vertueux qu’il faut encourager. Malheureusement, deux grands projets d’usines de biométhanisation dans la région de Montréal se heurtent actuellement au syndrome du « pas dans ma cour ». Les habitants de certains quartiers craignent la circulation accrue de camions dans les rues.
Les énergies vertes peuventelles jouer un rôle important dans la diminution des émis-
Sources d’énergie primaire
au Québec en 2009
Biomasse
Charbon
Pétrole
sions de gaz à effet de serre au Québec? Non, car le transport routier est la principale source d’émissions au Québec. Or, les solutions de remplacement aux carburants fossiles ne parviendront pas à améliorer nettement le bilan avant au moins 20 ans! Les biocarburants actuels ne diminuent pas forcément les émissions, et on ne peut les incorporer à l’essence qu’en quantité limitée. Quant aux voitures électriques et hybrides, leurs coûts et contraintes sont tels qu’elles ne se répandront pas assez vite pour que, d’ici 2020, le Québec réduise de 20 % ses émissions de GES par rapport au niveau de 1990. Elles ne permettront pas non plus de régler les problèmes de congestion, d’étalement urbain et d’infrastructures, comme les ponts, qui coûtent très cher.
Il reste sept ans au Québec pour retirer des routes l’équivalent de plus d’une voiture sur cinq. Mêmeles constructeurs de véhicules électriques disent que c’est impossible! Le seul moyen d’y parvenir, c’est de persuader la population de se tourner vers les transports en commun, le vélo ou la marche, tout en faisant payer aux automobilistes leur juste part des multiples coûts qu’engendre le transport par voiture. Quel rôle joue le politique dans les choix énergétiques? Au- delà des besoins et des impacts environnementaux, l’énergie est souvent considérée par le politique comme un outil de développement économique à court terme. Le programmede petites centrales hydroélectriques du gouvernement libéral visait ainsi les régions, alors que le plan d’électrification des transports en commun des péquistes sert avant tout une filière industrielle. L’impact de ce dernier sur les émissions de gaz à effet de serre sera d’ailleurs mineur, car électrifier les transports en commun ne les rend pas plus populaires. Les politiciens feraient mieux de préparer le Québec aux augmentations du prix de l’essence qu’engendrera le marché du carbone d’ici 2020… mais ils rechignent à s’attaquer à un sujet aussi impopulaire!