RêVES D’AMéRIQUE
Visiter les grands parcs de l’ouest des états-Unis, c’est plonger dans une nature spectaculaire, et retrouver son coeur d’enfant !
Vues d’en haut, les voitures qui serpentent en file indienne au fond de la vallée ont la taille de fourmis. Soulevant des nuages de poussière, elles passent un mauv ais quart d’heure dans ce paysage accidenté, constellé de rochers aux formes curieusement familières avec leurs « cheminées » triangulaires. Nous hésitons à lancer notre véhicule — qui nous sert également de maison! — dans ce parcours périlleux. Mais la tentation est trop forte de plonger dans ces paysages qui n’ont pas changé depuis les chevauchées endiablées de John Wayne dans les westerns de John Ford ! Et nous voilà à notre tour secoués sur les petits chemins rudimentaires de Monument Valley, au coeur de l’Arizona.
C’est fou comme on a des préjugés et comme les v oyages en font du compost ! Je suis partie pour ce grand périple états-unien de trois mois avec des sentiments partagés. L’esprit ouvert et curieux, mais avec un petit mur de méfiance patiemment entretenu. Mon envie de grands espaces n’allait-elle pas se heurter à la culture du tout-à-l’argent et du tourisme clinquant? Comptoirs de r estauration-minute, boutiques de souvenirs, hôtels à la chaîne , forfaits de visite à cheval, en car, en moto, d’une heure, une journée, une semaine? Toute une succession de petites profanations ?
Pourtant, ce mur de méfiance s’est vite effondré. Tout comme le parc tribal Navajo de Monument Valley, les parcs nationaux de l’Ouest offrent en général une Amérique 100 % nature. Ou presque. GRAND CANYON (Arizona) Le désert efface la r aison et, en sa présence, « la mesquinerie des êtres s’oublie », disait l’écrivain voyageur Pierre Loti. Tous mes sens sont en alerte lors de notre halte sur une petite route en Arizona, à cinq heures de Las Vegas. L’air chaud et sec malmène mes narines tandis que mes or eilles tentent de s’habituer au concert ambiant : les sifflements (des serpents ?), le bourdonnement ( des guêpes ?) et ces arbres étranges... à perte de vue. Ce sont des arbres de Josué, une variété de yucca qui ne pousse qu’ en Amérique et dont les épines servent entre autres à éloigner les prédateurs. Le paysage est immobile et écrasant de lumière.
Mon compagnon et moi sillonnons depuis quelques jours le versant sud du Gr and Canyon, dans le parc national du même nom, le plus célèbr e et l’un des plus visités des États- Unis. Devant nous, une large faille (de 5 à 30 km selon les endroits) de 1 600 m de pr ofondeur offrant des paysages v ariés dont on ne dira jamais assez l’infinie beauté.
Après avoir marché, le pied incertain, sur le sentier qui longe la falaise, vu avec effroi des groupes d’adolescents japonais jouer les fanfarons devant le vide, imaginé mille chutes mor -
telles, aurons-nous droit à de nouvelles sensations fortes ? Notre « vertigomètre » est activé et en veut davantage. Le Skywalk, à quelques heures de route à l’ouest, a sur nous l’effet d’un aimant. Construite en 2007 à la demande des Indiens hualapais, qui administrent cette partie du parc, la plateforme de verre en fer à cheval s’avance au-dessus du vide ! Qualifié de balafre au paysage par de nombreux groupes écologistes depuis son aménagement, le Skywalk accueille néanmoins jusqu’à 1 500 curieux par jour. Nous choisissons d’ignorer les commentaires (négatifs) de dizaines d’internautes dénonçant une arnaque...
Il faudra commencer par allonger près de 75 dollars américains (chacun) pour un petit parcours en car culminant sur la falaise au pied de laquelle coule le fleuve Colorado. Nous apprécions quand même le trésor d’ingénierie : la structure peut supporter le poids de 800 personnes de forte constitution, le plexiglas a l’épaisseur d’un dictionnaire. Mais c’est en surchaussures de coton, délestés de notre sac à dos, de nos bouteilles d’eau, de nos cellulaires et de notre appareil photo (qui pourrait rayer la vitre s’il fallait l’échapper), que nous nous avançons sur la plateforme, où le photographe « en résidence » nous attend ! Et là, déception : le Skywalk surplombe un canyon latéral profond de 150 à 240 m — 10 fois moins que le canyon principal. C’est une autre sorte de vertige qui nous prend...
YELLOWSTONE( Idaho, Montana, Wyoming)
Nous sommes attendus à 14 h 47. C’est la première fois dans ce voyage que nous avons un rendezvous. Et il est précis ! Old Faithful, nous dit le ranger dans le pavillon d’accueil, est ponctuel à 15 minutes près. Il s’agit d’un geyser, le plus célèbre du parc. Toutes les 60 minutes, le « Vieux Fidèle » — comme l’a surnommé son découvreur, Henry Washburn, en 1870 — commence son spectacle. Des jets d’eau de différentes hauteurs, selon une chorégraphie qui varie peu. À quelques mètres, de petites estrades permettent aux touristes d’attendre aux premières loges son « éruption ».
Old Faithful a une grande famille, dont nous avons fait la connaissance depuis le matin. Dans le secteur où nous nous trouvons, des passerelles de bois permettent de circuler au-dessus de sols fragiles et fort agités. Et c’est peu dire ! Autour de nous, une cinquantaine de geysers sifflent et les sources chaudes répandent une odeur de soufre prenante. Aucun signe de vie à l’horizon. Pas même un oiseau. On dirait un laboratoire à ciel ouvert où quelque savant fou s’amuse à faire bouillir les ruisseaux et colorer la terre, défier la température et les éléments.
Célèbre pour ses activités géothermiques, Yellowstone a d’autres atouts. Grand comme la Corse, le plus ancien parc national de la planète offre la montagne, la forêt, des chutes spectaculaires, et c’est sur son territoire que se fait le partage des eaux de l’Ouest. Yogi l’ours l’a rendu célèbre dans les dessins animés de Hanna-Barbera, même si ce sont des bisons qu’on y rencontre à profusion. Et nous voilà redevenus des enfants...