L’OFFENSIVE HARPER
En recul dans les sondages, malmené par les controverses au Sénat, épuisé par sept années de pouvoir et une opposition parlementaire plus forte, Stephen Harper réorganise ses troupes pour relancer son gouvernement. Une stratégie qui le mènera jusqu’au scr
Quelques jours après les élections fédérales du 2 mai 2011, Christian Paradis a demandé au premier ministre Stephen Harper de le relever de ses fonctions de lieutenant politique pour le Québec. Le Parti conservateur venait d’obtenir sa majorité tant convoitée à la Chambre des communes, mais au Québec, les résultats avaient été désastreux, avec à peine 5 sièges sur 75. Christian Paradis estimait que le coup de barre devait commencer par sa démission.
Il aura fallu deux ans avant que Stephen Harper exauce son ministre et le remplace, en juillet dernier, par le député de Roberval–Lac-Saint-Jean, Denis Lebel. Une attente interminable aux yeux de certains militants, pressés de remonter la pente. Mais au cabinet du chef conservateur, on ne voulait rien précipiter. « On était à plus de quatre ans des élections. Il fallait aligner certaines décisions », explique une source proche de Stephen Harper.
Car ce changement s’inscrit dans une stratégie plus large. Le premier ministre restructure tout son gouvernement dans l’espoir de remporter un quatrième mandat en 2015. Un défi que seuls quatre premiers ministres ont relevé : John A. Macdonald, Wilfrid Laurier, Mackenzie King et Pierre Elliott Trudeau. Et il faut remonter à Laurier, en 1908, pour voir un premier ministre canadien obtenir quatre mandats consécutifs.
Pour y parvenir, Stephen Harper doit relancer la machine, tombée en panne à mi-mandat. Les sondages défavorables s’accumulent. Le Parti conservateur a perdu près de 10 points dans les intentions de vote depuis le scrutin de 2011. Oscillant entre 30 % et 32 %, il est de retour en territoire minoritaire, dans une course à trois serrée — avec le Parti libéral de Justin Trudeau et le NPD de Thomas Mulcair, qui constituent une opposition plus efficace.
« Il y a clairement un effet de fatigue, d’usure du pouvoir, combiné à plusieurs controverses», dit Frédéric Boily, directeur de l’Institut d’études canadiennes de l’Université de l’Alberta.
Il donne en exemple les scandales de dépenses au Sénat, l’accueil glacial réservé par les provinces aux réformes de l’assurance-emploi et de la formation de la main-d’oeuvre, et la rébellion de certains députés conservateurs, qui s’estiment muselés par le cabinet du premier ministre.
Pour tenter de freiner la chute, Stephen Harper a élaboré une straté- gie en deux temps : modifier sa garde rapprochée, puis projeter l’image d’un gouvernement en action, avec un remaniement ministériel et un discours du Trône.
« Le plan a toujours été de brasser les cartes du gouvernement à mimandat. On a maintenant l’équipe en place pour les prochaines élections », explique un conseiller de Stephen Harper, qui préfère garder l’anonymat.
Le chef conservateur a profité de l’été pour remplacer son conseiller pour le Québec, André Bachand. Celui-ci, en poste depuis 2011, a cédé sa place à Catherine Loubier, ancienne directrice des communications du ministre Lawrence Cannon. Elle revient au bercail après un séjour dans le privé, notamment à la fondation One Drop, de Guy Laliberté, et comme lobbyiste de la société Hill & Knowlton. Elle connaît bien Denis Lebel, puisqu’elle a été sa chef de cabinet adjointe en 2011.
Le nouveau duo de Harper au Québec a deux ans pour ramener les conservateurs sur l’écran radar dans la province, où ils croupissent en quatrième place dans les sondages. Denis Lebel tentera d’être plus présent dans les médias, tout en se rapprochant des électeurs. Ministre de l’Infrastructure,
des Affaires intergouvernementales et de l’Agence de développement économique pour les régions du Québec, il a l’avantage de pouvoir sillonner la province pour annoncer des projets avec des millions de dollars à la clé.
La première cible des conservateurs : la grande région de Québec, considérée comme la base du parti, séduite par le NPD en 2011. Stephen Harper y a fait plusieurs visites depuis juin.
En plus des changements au Québec, six postes stratégiques ont aussi changé de mains depuis l’été dans l’entourage du premier ministre : le chef de cabinet ( Ray Novak), la chef de cabinet adjointe (Jenni Byrne), le directeur des communications (Jason MacDonald), le directeur des communications stratégiques (Joseph Lavoie), le directeur des enjeux quotidiens (Alykhan Velshi) et le directeur du marketing gouvernemental (Lanny Cardow).
Tous sont des fidèles de Harper depuis de nombreuses années, au sein du parti ou dans des cabinets de ministres. Des nominations qui envoient un message de stabilité aux troupes conservatrices avant la bataille électorale de 2015 : Harper a choisi d’aller à la guerre avec ses loyaux soldats plutôt que d’en recruter de nouveaux.
Originaire de la région d’Ottawa, Ray Novak, 36 ans, le nouveau chef de cabinet, est aux côtés de Harper depuis le retour en politique de celui-ci, en 2002. D’abord comme assistant personnel, puis comme secrétaire principal, il est devenu un conseiller et un confident. Lorsque Stephen Harper habitait à Stornoway, résidence officielle du chef de l’opposition à Ottawa, Novak occupait un petit appartement au-dessus du garage. Il mangeait avec la famille Harper et tenait les enfants à l’oeil en l’absence des parents. Ray Novak a su gagner le respect des députés conservateurs, ce qui pourrait contribuer à ramener le calme dans les rangs du caucus.
Dimitri Soudas, ancien directeur des communications de Harper, qui a côtoyé Novak pendant de nombreuses années, estime qu’il pourrait s’avérer « le meilleur chef de cabinet que Harper ait jamais eu. Il pense comme lui. C’est un peu comme son fils. Il n’aura pas besoin d’aller voir le premier ministre chaque fois pour prendre une décision. Il sera d’une efficacité redoutable, et son autorité est totale. »
La seule critique entendue concerne son manque d’expérience hors de la politique. « Ray Novak n’a rien fait d’autre dans sa vie. Et il est maintenant chef de cabinet d’un pays du G8 ! » dit une source conservatrice, un peu étonnée de cette nomination.
Ne pas enfermer le gouvernement dans la bulle très partisane d’Ottawa sera le mandat de Jenni Byrne, chef de cabinet adjointe, qui devra rétablir les ponts avec une base militante échaudée par les controverses. Celle qui a dirigé la dernière campagne du parti veillera à ce que les actions du gouvernement trouvent écho auprès des électeurs de droite ou de centre droit. « Personne n’a de meilleur instinct qu’elle pour savoir ce que les électeurs conservateurs veulent entendre », affirme une source qui a travaillé à ses côtés.
Stephen Harper a également modifié le Conseil des ministres dans l’espoir de rafraîchir l’image de son gouvernement. Huit nouveaux visages ont fait leur apparition en juillet, et plusieurs grands ministères ont changé de titulaire : Patrimoine, Industrie, Transports, Immigration, Défense, Environnement, Justice, Sécurité publique…
Pour l’instant, les ministres les plus visibles sont toutefois ceux qui n’ont pas changé de portefeuille : Jim Flaherty (Finances), Joe Oliver
(Ressources naturelles) et John Baird (Affaires étrangères). Le renouveau souhaité n’est pas encore perceptible.
La prorogation du Parlement et le discours du Trône qui ouvrait la session, le 16 octobre, visaient à recentrer l’action du gouvernement autour de ses priorités fétiches.
La lutte contre la criminalité, l’économie et la gestion des finances publiques sont au coeur de l’opération, avec un accent sur le libre-échange avec l’Europe et un penchant proconsommateur pour toucher les familles de la classe moyenne (Ottawa souhaite notamment faire baisser les prix des forfaits de cellulaires et limiter l’appétit des banques pour les frais de service).
L’économie demeure la carte maîtresse de Harper. Selon un récent sondage Ipsos, le Parti conservateur est perçu comme le plus compétent en matière économique. C’est la seule catégorie où il trône en tête. En matière de santé, d’environnement, de services sociaux et de lutte contre le chômage, le Parti libéral, le NPD ou le Parti vert le devancent.
Selon Frédéric Boily, de l’Institut d’études canadiennes, il ne faut toutefois pas s’attendre à ce que toutes les grandes mesures à venir aient été annoncées dans le discours du Trône. Les réformes les plus controversées — l’âge de la retraite, l’assuranceemploi, la formation de la maind’oeuvre ou la diminution des trans- ferts en santé aux provinces — ne figuraient pas dans un des précédents discours du Trône. « C’est un premier ministre qui aime avoir quelques surprises en réserve pour déstabiliser ses adversaires », dit-il.
Début novembre, 2 000 délégués convergeront vers Calgary pour le congrès du parti et Harper mettra la touche finale à son plan de relance. Il voudra démontrer à ses partisans que les controverses étaient des accidents de parcours.
Le chef en profitera pour affiner ses attaques contre ses adversaires. D’ici aux prochaines élections, Stephen Harper tentera de se présenter comme le plus « responsable » en ces temps économiques incertains, alors que Justin Trudeau serait « immature » et ne serait « pas prêt à devenir premier ministre », et que Thomas Mulcair, lui, dirigerait un « parti d’extrême gauche » néfaste pour l’économie.
Le 7 juillet, devant quelques centaines de partisans réunis dans sa circonscription de Calgary-Sud-Ouest à l’occasion du Stampede, Stephen Harper a prononcé un discours précurseur de sa rhétorique jusqu’aux élections de 2015. « Avec les libéraux et les néodémocrates, ce que vous voyez, c’est ce que vous allez avoir : des idées vides pour les uns et des idées dangereuses pour les autres. Il ne faut pas les laisser annuler les progrès que nous avons faits dans les dernières années », a-t-il dit sous les applaudissements.