L’actualité

VALLÉE À LA CONQUÊTE DE L’AMÉRIQUE

À LA CONQUÊTE DE L’AMÉRIQUE

- par Martin Bilodeau

C.R.A.Z.Y. lui avait valu la renommée internatio­nale, Dallas Buyers Club pourrait lui rapporter des oscars. Entretien avec le cinéaste Jean-Marc Vallée.

Il a connu la gloire internatio­nale grâce à C.R.A.Z.Y., l’un des plus grands succès du cinéma québécois de la dernière décennie. Puis, une expérience amère en Grande-Bretagne, où il a piloté une production d’époque onéreuse, The Young

Victoria, sans parvenir à imposer sa vision auprès des producteur­s. Deux ans après Café de Flore, une oeuvre très personnell­e accueillie tièdement, Jean-Marc Vallée vit son rêve d’Amérique avec Dallas Buyers Club (en salle le 1er novembre), un opus puissant sur l’intoléranc­e, la désobéissa­nce et l’instinct de survie, produit et réalisé aux États-Unis.

Entre le concert d’éloges, les rumeurs d’oscars et les préparatif­s de son départ pour l’Oregon, où il dirige ReeseWithe­rspoon dansWild, L’actualité l’a rencontré au Festival internatio­nal du film de Toronto en septembre.

Dallas Buyers Club a été si bien accueilli au Festival internatio­nal du film de Toronto qu’il est maintenant pressenti pour participer à la course aux oscars. Quel effet cela vous fait-il ?

Ça me fait sourire. C’est un petit plus. Mais on dirait que les gens de notre entourage le désirent plus que l’équipe. À Toronto, tous les journalist­es, sans exception, ont parlé de cette fameuse rumeur et de la possibilit­é de voir les acteurs Matthew McConaughe­y et Jared Leto en nomination.

Avez-vous des attentes ?

Non, non, non, du tout. Matthew et Jared non plus, d’ailleurs. Nous ne travaillon­s pas dans le but d’obtenir des récompense­s. Si ça arrive, ça arrive.

Les thèmes de cette histoire (voir l’encadré, p. 72) ont-ils selon vous des résonances dans le monde contempora­in ?

Oui. Avec les banques et les multinatio­nales de l’armement et du pétrole, l’industrie pharmaceut­ique domine le monde. Ce que le film dénonce est donc encore d’actualité. Ensuite, je pense que le thème de la différence, de l’acceptatio­n, est lui aussi d’actualité. Le sida a surtout touché la communauté gaie. Aux ÉtatsUnis, au Québec, un peu partout, la première réaction devant l’épidémie a été de s’en foutre complèteme­nt. Il aura fallu attendre qu’un mouvement d’activistes gais se mette en branle. Ils se sont accrochés. Ils ne voulaient pas mourir. Ils ont fait pression et leur pression a fait changer les choses. Leur combat rejoint celui de bien d’autres qui sont menés aujourd’hui.

Quel est le fil conducteur entre chacun de vos films ?

Je suis réceptif aux films qui parlent de souffrance, de différence, où on mène un combat pour trouver le bonheur. C’est ce qui me parle.

Vous avez exploré l’Angleterre du XIXe siècle dans The Young

Victoria et le Texas des années 1980 dans Dallas Buyers Club. Lequel de ces deux univers vous était le plus étranger avant d’y entrer ?

Je crois que c’est l’Angleterre, l’époque victorienn­e. J’ai dû me préparer, lire abondammen­t sur le sujet. Ron, dans Dallas, est un cowboy. Il vient de la misère, il vient de l’Amérique. Il nous ressemble. Et puis les années 1980, je les ai traversées, je m’en souviens. J’étais dans la jeune vingtaine à l’époque du sida. À l’origine, Dallas Buyers Club devait être produit au Québec. Qu’est-ce qui s’est passé ?

Nous pensions réussir à faire un film québécois indépendan­t, sans Téléfilm Canada et la SODEC, avec les crédits d’impôt et l’argent d’investisse­urs privés. Mais nous nous sommes rendu compte qu’il était impossible de faire un film dans ce genre de structure au Québec. Nous n’avons pas encore atteint ce stade où le secteur privé peut financer un film, comme c’est le cas aux États-Unis. Les investisse­urs qui s’étaient montrés intéressés se sont désistés, si bien que nous nous sommes retrouvés sans argent, avec un devis de huit millions de dollars. Ma productric­e s’est retournée rapidement, elle a trouvé un partenaire au Texas qui a investi trois millions. Au final, nous avons produit le film aux États-Unis avec un peu plus de quatre millions de dollars [NDLR : contre 6,5 millions pour

C.R. A.Z.Y, en 2005]. La postproduc­tion a été effectuée au Québec. Pour vous, estce que Dallas Buyers Club est un film américain ? Oui, c’est un film américain. All

the way. L’histoire se passe aux États-Unis et le fric vient de là. Mais j’ai réussi à ramener la postproduc­tion au Québec, parce que je voulais travailler avec ma « gang ». Ça peut ressembler à un caprice, mais de pouvoir parachever mon film avec mes chefs de la postproduc­tion, ça n’a pas de prix. Déjà que le tournage m’oblige à partir à l’étranger durant plusieurs mois. Une fois le film tourné, je veux rentrer pour retrouver mes enfants, ma famille, mon père. L’aspect humain l’emporte. Pour The Young Victoria, vous avez dû vous soumettre à la volonté de vos producteur­s, en contradict­ion avec la vôtre.

Jared Leto et Matthew McConaughe­y dans Dallas Buyers Club. En haut : Jean-Marc Vallée en tournage ; C.R.A.Z.Y., avec Marc-André Grondin ; Café de Flore, avec Vanessa Paradis et Éveline Brochu ; et The Young Victoria, avec Emily Blunt.

Quatre ans plus tard, que retenezvou­s de l’expérience ? L’expérience a été formatrice. Et belle, malgré les difficulté­s en postproduc­tion. Un cinéaste veut apposer sa signature, faire en sorte que l’oeuvre lui ressemble. Mais parce qu’énormément de fric avait été investi, mes supérieurs ne faisaient pas confiance à l’oeuvre. Ils voulaient un produit de masse, quelque chose de

safe. Or, les choses safe et moi, ça fait deux. J’aime sortir de ma zone de confort. La déception vient de là. Malgré tout, j’ai aimé l’expérience. Je ne suis plus dans la rancune et la frustratio­n, et je reste en bons termes avec ces gens-là. Je n’ai juste pas réussi à faire ma vente. Vous voyez votre travail comme une façon de faire de la vente ? Oui. Un réalisateu­r doit continuell­ement trouver les bons arguments pour défendre ses idées. Au fil de l’évolution d’un projet, les producteur­s envoient leurs commentair­es. Comme au baseball, on me lance des balles, et moi je frappe, je frappe… C’est de la vente. Qu’on soit au Québec, aux États-Unis ou en France, c’est partout pareil : il faut trouver les bons arguments. Cela dit, il arrive que les commentair­es soient judicieux. Dans la production d’un film, y a- t- il une étape que vous préférez ?

A priori, je les aime toutes, elles s’apparenten­t pour moi au cycle des saisons. Il y a l’écriture,

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