LES NOUVEAUX DÉFROQUÉS
P aul Martin était encore premier ministre lorsque Michael Ignatieff est monté sur les planches devant le Parti libéral du Canada pour la première fois, au début de 2005. Entre deux élections, le PLC avait tenu un congrès d’orientation dont le résultat le plus tangible avait été de permettre à ce futur chef de manifester ouvertement son intérêt pour la politique active. C’est tête premièreq ue Michael Ignatieff avait plongé ce soir-là dans la piscine du PLC. En s’emparant du micro, cet intellectuel de tendance libérale — réputé pour ses écrits journalistiques — s’est transformé en libéral tout court.
En l’entendant s’associer aux faits d’armes passés du PLC, comme l’élimination du déficit fédéral — lui qui venait de passer des décennies à Harvard —, je me souviens d’avoir trouvé que le « nous » libéral lui venait facilement aux lèvres. Si les religieuses qui nous enseignaient pendant les années 1960 avaient troqué leurs voiles contre des minijupes en l’espace d’une fin de semaine, le choc aurait été du même ordre.
Huit ans plus tard, j’ai cessé de m’étonner de la facilité avec laquelle d’anciens collègues réussissent à marteler que leur parti détient le monopole de la vérité avec la même énergie qu’ils mettaient, dans leur vie précédente, à démontrer qu’aucune formation politique n’a l’exclusivité de la bonne parole.
Ces dernières années, les défroqués du journalisme sont devenus légion en politique, et la nouvelle de ce qu’un ou une journaliste endosse l’uniforme d’un parti ne surprend plus personne. D’Ottawa à Québec, il y a de plus en plus d’ex-journalistes dans l’arène et ils prennent de plus en plus de place.
Depuis l’arrivée au pouvoir du PQ à Québec, ce sont les anciens radio-canadiens Bernard Drainville et Pierre Duchesne qu’on a vus monter au front de dossiers chauds comme la Charte des valeurs et le dénouement de la crise étudiante. À ce duo, il faut ajouter Jean-François Lisée, ministre toucheà-tout qu’on retrouve sur la plupart des tribunes importantes animées par son gouvernement.
À Ottawa, avant leur descente aux enfers pour cause de dépenses abusives, les sénateurs Mike Duffy et Pamela Wallin — deux anciennes vedettes du journalisme parlementaire canadien — s’étaient rapidement imposés comme de redoutables propagandistes du Parti conservateur.
Cet automne, dans la circonscription fédérale de Toronto-Centre, que vient de quitter l’ancien chef intérimaire du PLC Bob Rae, deux chroniqueuses économiques aguerries, Chrystia Freeland et Linda McQuaig, défendent respectivement les couleurs du Parti libéral et du NPD. Celle qui sera élue est promise à un rôle important au sein du caucus de son parti.
La crise qui sévit dans les médias a pour conséquence de rapprocher l’horizon de la retraite, à une époque où l’espérance de vie devrait logiquement l’éloigner. Elle n’est pas étrangère à cette prolifération de vocations politiques tardives. Mais la multiplication des tribunes médiatiques, qui a transformé une génération de chroniqueurs en commentateurs-vedettes, y est aussi pour beaucoup.
Dans le récit qu’il vient de publier au sujet de son passage difficile en politique, Michael Ignatieff raconte comment, à ses débuts comme chef libéral, il a été pris au dépourvu quand on lui a demandé de résumer pourquoi il voulait être premier ministre. De son propre aveu, sa réponse — il souhaitait relever un défi de taille — n’était pas à la hauteur des attentes de son auditoire, qui aurait bien aimé savoir ce qu’il voulait faire pour le Canada plutôt que pour son développement personnel.
Parmi les raisons que l’ancien chef libéral évoque pour motiver son passage en politique, il y a le désir de cesser d’être un simple spectateur. Et parmi celles qui expliquent que les journalistes y sont de plus en plus demandés, il y a le fait que leurs talents correspondent aux besoins d’une époque où la communication efficace est en voie de devenir une fin en soi. Un sondage récent révélait qu’une majorité de Canadiens croient qu’un politicien a davantage besoin de talents de communicateur que d’intégrité pour réussir.
Mais ce dont on parle moins, c’est de l’emprise que le don de la parole permet souvent aux journalistes-politiciens d’avoir, à l’interne, sur leurs collègues députés, voire sur leur chef. Le vrai pouvoir — celui pour lequel on abandonne une chronique ou un micro très suivis —, c’est là qu’il s’exerce.