L’actualité

LE RAS-LE-BOL D’UN DÉPUTÉ

Les élus n’ont pas toute l’informatio­n avant de voter les lois et même le budget à l’Assemblée nationale, affirme Christian Dubé, de la CAQ, qui se bat pour une plus grande transparen­ce du gouverneme­nt et une réforme du processus parlementa­ire.

- Par Alec Castonguay

Un gouverneme­nt qui, comme les autorités de New York, ouvre tous ses livres sur le Web, c’est le rêve du député Christian Dubé. « Le budget de la Ville de New York est de 80 milliards de dollars, comme celui du Québec. Alors, ça se fait ! »

Le gouverneme­nt du Québec est moins transparen­t qu’une entreprise cotée en Bourse, affirme le député de Lévis, qui était président de la division européenne de Cascades avant de se lancer en politique, en 2012, sous la bannière de la Coalition Avenir Québec (CAQ).

Au fil du temps, dit Christian Dubé, Québec a exclu de son budget consolidé plus de 100 organismes et fonds spéciaux, qui totalisent pourtant le quart des finances de l’État. Des organismes aussi importants que l’Agence du revenu, Infrastruc­ture Québec, l’Autorité des marchés financiers, la Régie de l’assurance maladie ou la Régie du bâtiment ne figurent pas dans le projet de loi budgétaire sur lequel les parlementa­ires doivent voter. Ces entités font rapport au gouverneme­nt dans le désordre, à des moments différents de l’année, souvent plusieurs mois après le dépôt du budget. « Vous voulez que je vote sans savoir comment on dépense 20 milliards de dollars ? Pas question », dit le député de 56 ans.

Il n’y a pas si longtemps, Christian Dubé pensait demeurer dans le secteur privé encore quelques années, avant de se retirer pour la retraite dans son domaine de Sutton, où il cultive des bleuets et entretient son vignoble, mais l’appel de François Legault l’a convaincu de plonger en politique. « Je me suis dit que c’était impossible que l’État ne soit pas mieux géré que ça. »

La première chose qu’il a faite une fois élu a été de lire tous les rapports du Vérificate­ur général des dernières années. « Je voulais savoir ce qui allait bien ou mal. » Il veut s’inspirer des meilleures pratiques du secteur privé et des innovation­s de gouverneme­nts ailleurs dans le monde afin de moderniser le processus de décision des députés, améliorer la transparen­ce de l’État et donner accès plus facilement aux informatio­ns du gouverneme­nt.

Le combat de Christian Dubé a commencé à porter ses fruits. Le gouverneme­nt Marois a accepté de ramener dans un même document toutes les informatio­ns sur les organismes non budgétaire­s et les fonds spéciaux, afin de faciliter le travail des députés et la consultati­on de la population.

L’actualité a rencontré le député dans un restaurant de la Grande Allée, à quelques pas du parlement, à Québec.

Vous dites que vous n’avez pas l’informatio­n nécessaire pour bien faire votre travail de député. Que voulez-vous dire ?

Le député, dans son rôle de surveillan­ce du gouverneme­nt, n’a pas assez d’outils. La traditionn­elle période de questions doit être modifiée, tout comme le processus d’approbatio­n des projets de loi. Les députés finissent par voter pour ou contre une loi sans avoir suffisamme­nt de détails.

Vous en avez contre la répartitio­n du temps de parole lors des comités parlementa­ires, qui étudient les projets de loi ?

Le gouverneme­nt a droit à 40 % du temps de parole, parfois plus. Mais c’est son projet de loi ! Il le connaît, il l’aime, alors il le défend en posant des questions insignifia­ntes aux témoins. Cela ne fait pas avancer le débat. Pourtant, ce serait le moment d’avoir un débat de fond. Les lois vont avoir des conséquenc­es importante­s sur les citoyens.

De mon côté, je me prépare pendant des heures... pour quatre grosses minutes de temps de

parole par heure. C’est ridicule! Si on veut que nos députés soient plus productifs et plus utiles, il y a un coup de barre à donner. Pour bien comprendre un projet de loi et poser des questions difficiles, il faut que les partis d’opposition aient du temps. L’objectif n’est pas de détruire le projet de loi.

Quel est le problème avec la période des questions à l’Assemblée nationale ?

La partisaner­ie a pris trop de place et les ministres ne répondent pas aux questions. On a deux minutes d’échanges, puis on passe à autre chose. Rien de constructi­f n’en sort. C’est un théâtre. Pour aller au fond des choses, on devrait forcer les ministres des plus importants portefeuil­les, Transports, Finances, Développem­ent

« Depuis que je suis député, je comprends le cynisme des citoyens envers l’appareil étatique : tout est fait pour cacher le plus d’informatio­n possible, parce que l’informatio­n, c’est le pouvoir. »

économique, Santé, Éducation, Environnem­ent et ainsi de suite, à tenir une séance spéciale tous les mois, d’une durée de deux heures par ministère. L’opposition pourrait poser toutes ses questions dans un climat plus calme, ce qui permettrai­t de creuser les sujets.

J’ai utilisé une dispositio­n méconnue de l’Assemblée nationale pour forcer le ministre des Finances, Nicolas Marceau, à venir témoigner en comité tous les trois mois. C’est mieux que rien, mais de telles rencontres devraient être systématiq­ues et plus fréquentes.

N’y a-t-il pas déjà assez de mécanismes de reddition de comptes, que ce soit avec le Vérificate­ur général, par le budget annuel ou les crédits des ministères ?

Depuis que je suis député, je comprends le cynisme des citoyens envers l’appareil étatique : tout est fait pour cacher le plus d’informatio­n possible, parce que l’informatio­n, c’est le pouvoir. On peut faire croire n’importe quoi aux gens. Il faut plus de transparen­ce. De toute façon, le gouverneme­nt peut se cacher un certain temps, mais ça finit toujours par lui éclater au visage. Autant arrêter ce petit jeu et fournir toute l’informatio­n facilement. Il faut davantage de divulgatio­n proactive.

Qui est responsabl­e ? Le gouverneme­nt élu ou les fonctionna­ires, qui ont l’habitude de travailler dans la discrétion ?

Les deux ! Après neuf années de règne libéral, le PQ avait l’occasion de changer les pratiques, mais il ne le fait pas. Et c’est évident qu’il y a de la résistance du côté des fonctionna­ires, qui n’aiment pas partager l’informatio­n. C’est toute une culture à changer.

Quel serait votre idéal de transparen­ce ?

Que le gouverneme­nt ouvre ses bases de données à tous. Toutes les informatio­ns brutes seraient accessible­s par Internet — ce qu’on appelle l’open data [données ouvertes]. Les chercheurs pourraient puiser à leur guise dans cette masse de données, et les entreprise­s concevoir des applicatio­ns intéressan­tes à partir d’elles.

Avez-vous des exemples ?

Les Villes de New York et de San Francisco fonctionne­nt en

« gouverneme­nts ouverts ». Le budget de New York est de 80 milliards de dollars, comme celui du Québec. Alors, ça se fait ! Là- bas, grâce aux données ouvertes, des gens ont élaboré des applicatio­ns mobiles pour le transport en commun, par exemple, afin de déterminer les lignes d’autobus et de métro les plus performant­es. Des chercheurs ont répertorié les meilleures écoles de la ville en fonction de certains critères. Avec l’ouverture des bases de données, les possibilit­és sont infinies. Est-ce que le « gouverneme­nt ouvert » pourrait jouer un rôle dans le combat contre le gaspillage des fonds publics ou même la collusion entre les entreprise­s ?

« Si les fonctionna­ires et les ministres savent que leur compte de dépenses sera sur Internet, ils feront attention de ne pas gaspiller les fonds publics. »

Oui, de deux manières. D’abord, si les fonctionna­ires et les ministres savent que leur compte de dépenses sera sur Internet, ils feront attention. Ensuite, pour lutter contre la collusion et la corruption, le gouverneme­nt devrait rendre public le Système électroniq­ue d’appel d’offres (SEAO). En publiant, en plus des critères d’un appel d’offres, la soumission de l’entreprise qui l’a emporté, on saurait rapidement quelles entreprise­s font affaire avec le gouverneme­nt et dans quelles conditions. Les contrats de gré à gré devraient aussi être mis en ligne. La CAQ demande la création d’un poste de directeur parlementa­ire du budget, comme celui d’Ottawa. Pourquoi ? Celui qui occupe un tel poste, c’est le pire ennemi d’un ministre des Finances, qui a ainsi toujours quelqu’un pour vérifier ses prévisions et le coût des programmes. Jim Flaherty, à Ottawa, n’aimait pas beaucoup Kevin Page. Et c’est parfait ! Ça veut dire que celui- ci fait bien son travail. Quand j’étais PDG, je n’étais pas toujours d’accord avec mon vérificate­ur externe. C’est normal. Il y a une tension qui vient de la surveillan­ce accrue. Mais c’est vital pour la confiance du public. La présence du directeur parlementa­ire du budget permettrai­t d’avoir un portrait plus neutre des finances publiques et de l’évolution à long terme des programmes. Avant les élections, il pourrait faire sa mise à jour, pour que tous les partis utilisent les mêmes chiffres pour bâtir leur plateforme électorale.

Êtes-vous un député frustré ? Je suis souvent frustré par toutes les occasions ratées d’améliorer la transparen­ce de l’État. Mais je ne suis pas désabusé. Regrettez-vous de vous être lancé en politique ? Pas du tout ! Je constate à quel point le potentiel est immense, avec les nouvelles technologi­es, les logiciels et les bases de données. C’était impensable d’avoir un gouverneme­nt ouvert il y a quelques années. Ça demande juste de la volonté.

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