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MOURIR... MAIS COMMENT ?

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Vus de certains coins du monde où les humains peinent à survivre, les efforts déployés par des Canadiens, du Québec à la ColombieBr­itannique, pour conquérir le droit de mourir doivent sembler fous ! Voilà pourtant bel et bien le combat dans lequel nos sociétés modernes sont engagées. Devant une médecine qui a désormais le pouvoir de prolonger artificiel­lement des vies — les déshumanis­ant parfois dans leurs derniers instants —, des hommes et des femmes revendique­nt la levée du dernier tabou : celui de choisir sa mort, au nom de la dignité.

Médecins, avocats, éthiciens, croyants, religieux, humanistes et juges s’affrontent dans un débat qui prend de l’ampleur. Tribunaux et parlements bruissent de toute une humanité en quête de nouvelles balises.

En Colombie-Britanniqu­e, Elayne Shapray, souffrant de sclérose en plaques, pousse vers la Cour suprême sa demande d’aide médicale à mourir. Il y a 20 ans, face à une Sue Rodriguez atteinte de la maladie de Lou Gehrig, la Cour a dit non.

Au Québec, 84 députés ont voté le 29 octobre pour que se poursuive l’étude du projet de loi 52, qui vise à légaliser une sédation médicale pour les mourants désireux d’abréger leurs souffrance­s. Mais 24 députés libéraux et une caquiste ont voté contre. Quel que soit le résultat de leurs délibérati­ons, la discussion ne s’arrêtera pas. La Cour suprême du Canada vogue en effet vers une direction opposée !

Le plus haut tribunal du pays vient de dire à deux médecins ontariens qu’ils ne peuvent, sans l’accord du patient ou de sa famille, débrancher des appareils de survie artificiel­le qu’ils ont eux-mêmes installés. Même si les traitement­s n’améliorent pas l’état du malade. Même si celui-ci est comateux depuis trois ans et sans espoir de guérison.

Pour rester « en vie », le patient en question, Hassan Rasouli, a besoin de six ou sept profession­nels. Sans eux, sans le ventilateu­r mécanique qui le fait respirer artificiel­lement — et que les médecins veulent débrancher —, il mourra. Son épouse affirme que Hassan Rasouli, de confession chiite, ne reconnaît qu’à Allah le droit de mettre fin à la vie. La Cour lui a donné raison. Cette décision crée une onde de choc. «Une victoire pour la famille, mais une perte pour l’humanité et le sens commun, a déclaré Arthur Schafer, directeur du Centre d’éthique profession­nelle et appliquée de l’Université du Manitoba. C’est un coup terrible porté à l’intégrité profession­nelle des médecins, une décision potentiell­ement dommageabl­e pour le système de santé canadien. » Le vieillisse­ment de la population et les moyens extraordin­aires dont dispose la médecine vont multiplier les contentieu­x tragiques comme celui de Hassan Rasouli. La discussion est explosive.

Un patient au Service des soins intensifs coûte environ un million de dollars par année aux contribuab­les. Ce service spécialisé a été conçu pour des séjours brefs, pendant lesquels les médecins tentent de sauver le patient, pour ensuite le transférer dans un service plus approprié à son état. Des médecins se demanderon­t désormais s’il est judicieux d’admettre tel patient aux soins intensifs, sachant que ce ne seront pas eux — mais la famille — qui auront le pouvoir de l’en sortir.

Au sein de la société canadienne, des gens veulent que les médecins les aident à mourir. D’autres refusent, souvent pour des raisons religieuse­s, de laisser partir un proche. Les connaissan­ces scientifiq­ues actuelles sur le coma et les états de semi-conscience brouillent encore plus le portrait.

À cinq contre deux, dans l’affaire Rasouli, la Cour suprême a tranché en faveur de la famille, sur la base du droit existant. Les deux juges dissidente­s, Rosalie Abella et Andromache Karakatsan­is, ont plutôt dit : « Le maintien de la vie n’est pas une valeur absolue peu importe les conditions de vie. » Aujourd’hui, ces deux juges sont minoritair­es. Mais la vague des revendicat­ions enfle. Et le débat des législateu­rs ne fait que commencer. Il sera crucial.

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qui tient Hassan Rasouli en vie. Qui fera les arbitrages ?
L’Ontario compte 1 000 ventilateu­rs mécaniques comme celui qui tient Hassan Rasouli en vie. Qui fera les arbitrages ?
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