L’actualité

Plat de lentilles

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Jeune homme, je pensais que moins je comprenais un film, plus j’avais affaire à un chef-d’oeuvre. Surtout s’il était estampillé « Nouvelle Vague », tourné en noir et blanc, constitué de répliques dites sur un ton déclamatoi­re par des acteurs filmés dans une encoignure près d’une plante. Même qu’après la projection, je m’y croyais quand je relevais mon col roulé pour beurrer mes amis de phrases sentencieu­ses arrachées à la critique : « Ce film a perturbé mon écosystème. » J’ai revu dernièreme­nt certains longs métrages d’Alain Robbe-Grillet : franchemen­t incomestib­les. De l’art avec un grand « A » qui fait bâiller avec un grand « B ». À l’époque, je ne pouvais pas penser qu’un film présenté dans un cinéclub puisse être bête et hermétique, ce qui est doublement bête. Pour le savoir, il m’aurait fallu expérience et maturité, vertus qui, hélas, ne se trouvaient pas à l’épicerie !

Quand aujourd’hui, au théâtre, je vois des jeunes applaudir à tout rompre des spectacles indigents et « si modernes » que je les ai vus dans les années 1970, je leur pardonne, tant ils m’émeuvent à discourir sur le vide qu’ils viennent de voir. Si fiers de leur jactance qu’on dirait qu’en parlant ils se caressent le torse avec de la crème solaire. À les écouter, je me dis que celui qui aime aura toujours raison sur le vieux ronchon qui pinaille et que viendra le temps où le fervent désaimera ce qu’il a tant loué et ne fera plus un plat d’une lentille.

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