PKP NE REGRETTE RIEN
Son engagement, le poing levé, en faveur de la souveraineté du Québec a ravi les indépendantistes — mais fait dérailler le plan de campagne de son parti. « Je ne regrette rien, je devais faire état de mes convictions, dit-il. Je suis qui je suis. » // PA
Son engagement, le poing levé, en faveur de la souveraineté du Québec a ravi les indépendantistes, mais fait dérailler le plan de campagne de son parti. « Je devais faire état de mes convictions », dit-il.
Des dizaines de militants s’entassent dans l’ancien commerce de prêt sur gage de la rue SaintGeorges, à Saint-Jérôme, où l’équipe de campagne de Pierre Karl Péladeau a établi son quartier général. Parmi les invités à l’ouverture officielle du local électoral se trouvent l’ancien chef du Bloc québécois Daniel Paillé et de nombreux candidats péquistes, dont l’héroïne du « printemps érable » Martine Desjardins.
Rayonnant, l’ex-PDG de Québecor se fraie un chemin dans la foule à la manière d’une vedette rock. « Avec Pierre Karl, on va finir par l’avoir, notre pays ! » lance, les yeux brillants, Rosaire Chaloult, 72 ans, qui milite au PQ depuis la fondation du parti, il y aura bientôt 46 ans.
Dans son discours, Péladeau parlera toutefois moins d’indépendance que de gouvernance, d’économie et de l’importance de « soutenir nos champions » — les entrepreneurs québécois.
Dix jours plus tôt, à l’annonce de sa candidature, il avait galvanisé une partie des troupes souverainistes en soutenant, le poing en l’air : « Mon adhésion au Parti québécois est une adhésion à mes valeurs les plus profondes et les plus intimes : faire du Québec un pays. »
Son discours a galvanisé tout autant — sinon plus — les libéraux, qui exploitent depuis le « spectre » d’un troisième référendum sur la souveraineté.
Avec le recul, Péladeau regrettet-il son envolée patriotique ?
« Non, je n’ai aucun regret, ditil d’un ton calme. On en a fait un gros plat, mais je considérais qu’il fallait que je fasse état de mes convictions. J’ai toujours été démonstratif, je ne vais pas changer. Je suis qui je suis. Cela dit, la souveraineté n’est pas la seule raison de mon engagement. »
Rarement dans l’histoire politique québécoise l’entrée en scène d’un simple candidat aurat-elle causé autant de remous.
« Je ne vais pas jouer le faux modeste, je savais que l’affaire allait être fortement médiatisée, mais certainement pas dans ces proportions », dit le célèbre homme d’affaires.
Dans les journaux, on a parlé de « séisme », de « bombe PKP ». Le réseau CTV a dépêché en
catastrophe une équipe pour suivre la campagne de Pauline Marois. Le magazine Maclean’s (propriété de Rogers, éditeur de
L’actualité) a titré en couverture : Is this the man who will break up
Canada ? (est-ce cet homme qui brisera le Canada ?). Sans compter les titres-chocs dans les journaux de Québecor au Canada anglais et les commentaires har- gneux dans les réseaux sociaux au sujet de Vidéotron, que certains fédéralistes ont suggéré de boycotter.
Les penchants nationalistes de Péladeau n’étaient pourtant pas exactement un secret d’État.
Au rassemblement du parti qui fêtait la victoire du PQ, le 4 septembre 2012, se trouvait Julie Snyder, alors sa conjointe (le couple s’est séparé en début d’année). Depuis que Péladeau a fait part de son « désir de servir » à Pauline Marois, l’an dernier, son engagement souverainiste ne faisait plus aucun doute dans les rangs péquistes, où il en menait de plus en plus large dans les coulisses. Il a été vu au lancement de La
bataille de Londres, de l’historien Frédéric Bastien, qui dénonçait les manoeuvres de la Cour suprême dans le cadre du rapatriement de la Constitution. Puis au lancement de la biographie du militant indépendantiste Yves Michaud, dont il signe la préface.
S’il réfléchissait depuis des mois à l’idée de faire de la politique active, Péladeau a attendu l’appui de son ex-conjointe avant d’annoncer sa décision à Pauline Marois, quelques jours avant le déclenchement des élections.
Pour ceux qui l’ont côtoyé dans le monde des affaires, « ce n’était pas une surprise », dit Daniel Paillé, qui a travaillé à ses côtés à Québecor avant de se lancer en politique, en 1994. « J’étais candidat ici même, dans Saint-Jérôme, et on avait fait une immense assemblée électorale. Pendant mon discours, j’ai vu
« Je comprends que la souveraineté, c’est une question très sensible pour les Canadiens, mais il y a eu une réaction démesurée, dit Péladeau. J’ai lu quelques commentaires particulièrement tirés par les cheveux dans la presse anglophone. Cela dit, ça ne m’empêche pas de dormir, ce n’est pas la première fois que je fais le front du Globe and Mail... »
arriver Pierre Péladeau père, au fond de la salle. Il venait me donner son appui. Aujourd’hui, il serait fier de son fils. »
En campagne, Pierre Karl Péladeau ponctue la plupart de ses discours de références à son père, mort en 1997. « Aller en politique, je le fais aussi pour lui, dit-il. Son pays lui tenait très à coeur, ses concitoyens aussi. Il était très accessible, ce n’était pas un “péteux de broue”, contrairement à bien des gens d’affaires. J’ai retenu ces leçons : c’est important d’être près des gens, de savoir ce qu’ils font dans la vie. »
Ses adversaires ne se gênent pas pour souligner l’immense fossé qui sépare la réalité du candidat, dont les actions dans Québecor valent à elles seules près de 700 millions de dollars, et celle des habitants de Saint-Jérôme, dont 40 % gagnent 20 000 dollars ou moins par année...
« C’est une formule facile à utiliser, c’est de l’ignorance de leur part, proteste le candidat. J’ai travaillé dans la restauration quand j’étais jeune et j’ai aussi souvent travaillé avec des ouvriers, que ce soit en France, en Espagne, au Québec ou dans le reste du Canada avec nos journaux. »
Pierre Karl Péladeau réfute l’étiquette d’antisyndicaliste qui lui colle à la peau en raison des 14 lockouts décrétés sous sa gouverne chez Québecor. « Dans les faits, il n’y a eu que trois conflits », dit-il, dont certains concernaient plusieurs syndicalisations, nuance-t-il.
Des syndicalistes refusent d’appuyer le propriétaire de
Québecor, malgré leurs convictions souverainistes. D’autres ont passé l’éponge. C’est le cas de Jacques Vallée, rencontré au local électoral du PQ. Cet ancien gardien de sécurité au Journal
de Montréal a négocié deux conventions collectives à titre de représentant syndical. En 1993, la direction a imposé un lockout. « Il faut être honnête, dit-il. Au Journal, les syndicats avaient tendance à voter pour la grève, parce qu’on savait que le père Péladeau avait peur de ça. Il appelait son négociateur dans la nuit et disait : “Là, clisse, tu vas me régler ça.” Quand on a essayé la même chose avec Pierre Karl, ça n’a pas marché. C’est la vie. Dans le Code du travail, t’as droit à la grève et au lockout. »
Une négociation, c’est « donnant, donnant, ajoute Jacques Vallée. Quand tu fais 50 dollars de l’heure et que tu trouves que t’es pas assez payé, tu restes pas là, tu t’en vas. »
Pierre Karl Péladeau trace un parallèle entre le métier de politicien et celui d’homme d’affaires. Dans les deux cas, ditil, « tu dois aller sur le terrain, jaser et apprendre sur le tas ». C’est ce qu’il a fait dans les années 1990, en France, après avoir acquis des imprimeries. « Quand tu arrives dans des usines, tu fais le tour, tu salues le monde, tu serres des mains, tu es comme en campagne électorale permanente. »
Il a adopté la même méthode après l’achat de Vidéotron, en 2000, pour apprendre les rouages de la câblodistribution. « Je suis allé vendre du câble avec des représentants », dit-il.
Sa fille Romy, cinq ans, et son fils Thomas, huit ans, l’accompagnent parfois dans ses activités. Dans le vétuste aréna des Panthères de Saint- Jérôme, l’équipe junior AAA locale, alors que l’on annonçait en grande pompe un tournoi de hockey, la petite Romy somnolait dans les bras de son papa pendant les discours du maire et du député fédéral. Même si le candidat péquiste n’a pas pris la parole, tous les regards étaient tournés vers lui.
Pour l’aider à naviguer entre les innombrables demandes d’entrevues, on a adjoint au candidat Péladeau, en plus de sa directrice des opérations de campagne, un attaché de presse qui fait aussi office de
baby-sitter quand ses enfants l’accompagnent.
Alors qu’il n’accordait pour ainsi dire jamais d’entrevues aux médias quand il pilotait Québecor, le politicien multiplie les rencontres avec la presse régionale. Lors de l’ouverture de son local électoral, il a même donné une entrevue à un journal Web étudiant, le Prince Arthur Herald.
PKP admet candidement ne pas avoir reçu « des tonnes de conseils » avant de se lancer en politique. « Tout s’est fait tellement vite... »
Parmi ses mentors politiques, il cite Brian Mulroney, ancien premier ministre du Canada, viceprésident du conseil de Québecor et parrain de son fils Thomas. « Brian est toujours généreux de ses conseils », dit-il, tout en refusant de préciser lesquels.
Il jure que son engagement dans un parti indépendantiste n’a pas jeté un froid dans leur relation. « Il va rester le parrain de mon fils, je vous l’assure », dit-il en riant.
Ardent fédéraliste, Luc Lavoie, commentateur de la campagne, dit avoir eu un choc en apprenant la candidature de son ancien patron chez Québecor. « J’ai toujours été un chasseur de séparatistes, dit-il. Maintenant, je vais devoir “chasser” Pierre Karl ! » dit- il à la blague. Les deux hommes continuent de se parler régulièrement.
Péladeau jure que sa décision n’a entraîné aucune rupture dans ses amitiés, au Québec comme au Canada anglais.
« Si je suis souverainiste, ce n’est pas contre le Canada. C’est parce que je crois au pays du Québec, je crois en mes concitoyens, dit-il. Même le premier ministre du Canada l’a dit : on est une société distincte, par notre langue, notre culture, notre histoire. Malheureusement, ça n’a pas été suivi de mesures pour mettre un peu de viande autour de ce concept. »
Pierre Karl Péladeau soutient qu’il va siéger dans l’opposition si son parti devait perdre les élections. Mais en bon politicien, il refuse de baisser les bras. Et martèle la ligne de son parti. « L’enjeu principal des élections, ce n’est pas de faire un pays, c’est de former un bon gouvernement, intègre, transparent. Pour mieux protéger notre langue, notre industrie culturelle et notre patrimoine économique. C’est pour ça que je me bats et que je me suis engagé en politique. Quand je suis entré chez Québecor, ce n’était pas pour vendre et sacrer mon camp en Floride pour jouer au golf, mais pour perpétuer ce que mon père avait construit. »