PIÈGES À OURS
L’édito de Carole Beaulieu rédactrice en chef et éditrice
L’éditorial de Carole Beaulieu
LA campagne électorale de 2014 aura montré une fois de plus que les Québécois forment un peuple surprenant qui parsème d’embûches le chemin de ses politiciens.
Chercher à les expliquer, c’est comme « marcher dans un bois rempli de pièges à ours », disait le publicitaire Jacques Bouchard dans son célèbre essai, Les 36 cordes sensibles des Québécois.
Pour gagner leur assentiment — leur vendre un produit ou leur faire accepter une idée —, il faut savoir jouer de ces cordes sensibles souvent liées à leur histoire et à leur statut de minoritaires en terre d’Amérique.
Pendant toute la campagne, les politiciens ont cherché à faire vibrer celles qui leur donneraient la victoire. Ce qui a parfois donné lieu à de brusques changements de tempo, sinon de mélodie.
Pauline Marois avait pincé avec succès les cordes du matriarcat, de la peur de l’étranger et de la fidélité au patrimoine… mais celles du confort et de la solidarité continentale — bien jouées par les libéraux — ont vite enterré sa musique.
La Coalition Avenir Québec et le PQ ont sous-estimé une corde usée, qui résonne encore : la méfiance à l’égard des gens d’affaires (la 19e, l’antimercantilisme). Même s’ils ont eu du succès ( comme Pierre Karl Péladeau), même si on dit les admirer, même si ( comme François Legault) ils proposent des idées novatrices inspirantes (le Projet Saint-Laurent), les gens d’affaires demeurent suspects.
Bien des électeurs leur préfèrent encore les notables. Comme le disait à la SRC une militante caquiste qui venait de rallier les libéraux : « M. Couillard a une belle prestance. » C’est la corde 27, le besoin de paraître. Le péquiste Lucien Bouchard jouait très bien, à une autre époque, de cette corde-là. La vibration qu’il en tirait adoucissait le fait qu’il voulait faire du Québec un pays. Il faut dire qu’il était aussi avocat (un notable), conservateur, sentimental, fidèle au patrimoine et qu’il aimait les enfants (cinq autres cordes sensibles qu’il savait faire vibrer !).
Toucher les cordes sensibles est un art délicat. Certaines sont résistantes et difficiles à manier !
Les caquistes, qui promettaient de « brasser la cage » — abolir les commissions scolaires, alléger le fardeau fiscal des contribuables, réduire la taille de l’État —, croyaient répondre aux attentes formulées par les électeurs. Mais ils ont trop fait vibrer la corde — redoutable — de la peur du changement. « Au pays de Québec rien ne doit mourir et rien ne doit changer », écrivait Louis Hémon dans Maria Chapdelaine, en 1913. Jacques Bouchard appelait ça l’esprit moutonnier.
Au moment où les libéraux donnaient du vibrato à la corde de l’instinctivité (la corde 30) pour éviter une chicane — sur le statut du Québec au sein de la fédération ou la diversité religieuse —, voilà que leur chef, Philippe Couillard, glisse sur la question de la protection de la langue française. Lors du débat à TVA, il a évoqué des ouvriers bilingues sur les planchers d’usine pour plaire aux clients anglophones ! Très dangereuse vibration que celle-là, l’idée étant en contravention avec la Charte de la langue française et le droit de travailler en français.
Toute une symphonie que cette campagne !
Ce qui ne veut pas dire que les Québécois n’aspirent pas à des changements, comme le montrent les résultats de notre Isoloir, à lactualite.com.
Voyons quelle corde aura vibré tellement fort qu’elle aura fait tomber un chef dans le piège à ours des Québécois.