LE RETOUR DES BONNES AFFAIRES !
La fièvre immobilière est tombée, les taux hypothécaires se stabilisent, et les économistes prévoient une lente reprise. Bon temps pour vendre... et pour acheter !
Son dernier-né de trois mois sur les genoux, Anne-Marie Malo, 36 ans, décrit la maison de ses rêves : individuelle, trois chambres, deux salles de bains et un garage pour la motocyclette d’Eric Plouffe, son conjoint de 39 ans. Près des commerces et du transport en commun, la résidence aura aussi une cour assez grande pour que les enfants — l’aînée a 6 ans — puissent gambader à leur aise.
Une utopie ? Ce n’est pas ce que la petite famille croyait en débarquant à Montréal, la veille de Noël, après un séjour d’une dizaine d’années aux ÉtatsUnis d’abord, puis à Paris et à Dublin. Pour se rapprocher de son rêve, elle a choisi de s’établir dans l’arrondissement d’Ahuntsic- Cartierville, dans le nord de l’île de Montréal, parce que « c’est comme la banlieue en ville », dit Anne-Marie.
Le couple dispose d’un budget enviable. Pourtant, il peine à trouver chaussure à son pied. Trop petit, trop cher, trop loin, trop vieux, désuet... Après une dizaine de visites en un peu plus d’un mois, Anne-Marie montre des signes de découragement. Tellement qu’elle a distribué une centaine de lettres aux propriétaires de maisons qui ne sont pas à vendre pour leur montrer son intérêt !
Anne-Marie et Eric sont aux prises avec un phénomène qui se fera sentir de plus en plus dans le marché de l’immobilier : le vieillissement de la population. Pour la première fois, en 2013, les personnes âgées de 55 ans et plus étaient plus nombreuses que celles de 15 à 24 ans. Résultat ? Il y a de moins en moins de premiers acheteurs et de plus en plus de vendeurs. Ahuntsic- Cartierville, peuplé de nombreux
baby-boomers, illustre bien ce phénomène. Les vendeurs y sont de deux types : nouveaux retraités qui fuient à la campagne et aînés qui emménagent dans une résidence pour personnes âgées.
Ils mettent sur le marché des maisons d’hier au prix d’aujourd’hui ! « Le prix demandé est souvent trop élevé quand on considère les rénovations à faire, constate la jeune maman. Il faut parfois refaire l’électricité et changer la cuisine au complet. » Sans compter les tapis qu’il faut souvent arracher. « Nous ne voulons pas nous retrouver, une fois les travaux achevés, avec une maison hypermoderne qui serait surévaluée par rap-
port aux autres dans quelques années. »
Ils ont raison d’être prudents dans ce contexte. Dans son livre L’immobilier en 2025 : Investir
autrement, l’investisseur et spécialiste de l’immobilier Martin Provencher déconseille d’ailleurs l’achat d’un bungalow, « cet entredeux ni urbain ni branché et parfois un peu démodé », dont le prix risque de dégringoler à mesure que les propriétaires vieillissants s’en départiront.
Le marché de l’immobilier dans lequel Anne-Marie et Eric se trouvent est bien différent de ce qu’il était quand ils ont quitté le Québec. Après 13 ans de frénésie, il a atteint son point d’équilibre pour la première fois l’année dernière. Dans le segment de la maison individuelle (« unifamiliale »), le prix médian (225 000 dollars) n’a augmenté que de 3 % en 2013, soit la plus faible hausse depuis 2000.
Davantage de maisons à vendre et des délais de vente plus longs ont contribué à faire tomber la fièvre : l’an dernier, plus du tiers des vendeurs ont dû baisser le prix demandé pour réussir à vendre, selon la Fédération des chambres immobilières du Québec (FCIQ).
« Les vendeurs ne sont plus avantagés comme avant, constate Paul Cardinal, directeur de l’analyse du marché à la FCIQ. Mais étant donné qu’ils doivent racheter eux aussi, en ce moment, la conjoncture est bonne à la fois pour les vendeurs et les acheteurs. »
Du côté de la copropriété, c’est le temps de négocier ! Le marché a basculé en faveur des ache- teurs. Selon une analyse économique de Desjardins, il y a surplus de condos dans les six plus grandes villes du Québec.
À Québec, Saguenay, Sherbrooke et Trois-Rivières, il y a 17 vendeurs pour un acheteur. À Montréal et Gatineau, le marché est plus serré ( environ 12 vendeurs pour un acheteur). Entre 8 et 10, le marché est considéré comme équilibré. Audelà de 10, les acheteurs ont l’avantage dans la négociation finale.
Sur l’île de Montréal, le prix médian des condos a fléchi de 1 % en 2013, constate la FCIQ, et le nombre de transactions a diminué de 10 % à la grandeur de la province.
Voilà qui n’effraie pas outre mesure Jacques Vincent, coprésident du Goupe Prével, un promoteur immobilier en activité depuis plus de 35 ans qui a réalisé plusieurs projets dans le centre-ville de Montréal. Son dernier-né : les Bassins du Havre, un complexe de 1 600 condos situé au bord du canal de Lachine. Malgré un départ en flèche (91 % des appartements de la phase 1 sont vendus), les condos qui restent trouvent plus difficilement preneur.
En cet après-midi froid de janvier, le bureau des ventes est vide. Difficile de croire que, il y a trois ans, la police était venue prêter main-forte à ce promoteur pour contenir la foule d’acheteurs intéressés par son projet Le Seville, 477 condos près de l’ancien Forum de Montréal. « Ce n’est plus ce que c’était ! » reconnaît Jacques Vincent en éclatant d’un rire franc.
Maquette à l’appui, il explique d’ailleurs que la troisième phase des Bassins du Havre, dont la livraison est prévue pour le printemps 2016, comptera moins de condos que les deux premières phases — mais ils seront plus grands et plus chers —, afin d’atteindre plus rapidement le rapport de 60 % de logements vendus qu’exigent les banques pour aller de l’avant.
« C’est clair qu’il y a un ralentissement, mais ce sont surtout les dernières années qui n’étaient pas normales ! En 2013, nous avons livré un record de 680 appartements. Je n’avais jamais vu ça dans ma carrière », dit le promoteur.
Résultat : la main-d’oeuvre était plus rare et les coûts de construction plus élevés. Un peu de stabilité ne fera pas de mal, assure
AU CANADA, EN 2013, une maison coûte en moyenne 3,9 fois le revenu annuel de ses propriétaires. À Montréal, c’est 4,7 fois, à Toronto, 6,2 fois, et à Vancouver... 10 fois !
Jacques Vincent. Au plus fort de la fièvre immobilière, le Groupe Prével vendait deux condos par jour. Aujourd’hui, il en vend plutôt deux par semaine.
Dans l’arrondissement du SudOuest, à Montréal, le nombre de ventes de condos a chuté de 21 % en 2013. Pourtant, les projets et complexes s’y multiplient. Au point que beaucoup de gens se demandent quelle mouche a bien pu piquer les promoteurs ! « Il y a beaucoup de projets, mais plusieurs ne sont pas encore en chantier, corrige Jacques Vincent. Certains promoteurs vont devoir reporter la construction ou abandonner », dit-il.
Ce ralentissement généralisé fait que l’éclatement de la bulle tant redouté n’a pas eu lieu. « Ce fut un atterrissage en douceur », dit Paul Cardinal, de la FCIQ. Le resserrement des règles hypothécaires imposé par le ministre Jim Flaherty, qui a raccourci à 25 ans la période d’amortissement maximale d’un prêt assurable par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), a porté ses fruits.
« Les premiers acheteurs n’ont pas acheté, leurs vendeurs potentiels n’ont pas vendu et ne se sont donc pas racheté de propriétés. L’effet s’est fait sentir sur toute la chaîne », explique le courtier immobilier Patrick Drouin, associé de Re/Max Ambiance.
Selon l’économiste en chef de la Banque Laurentienne, Carlos Leitao, le marché a touché son plus bas niveau en 2013, et 2014 annoncerait une reprise modeste. La FCIQ prévoit une augmentation du prix médian des maisons individuelles de 1 % en 2014.
Un risque continue de planer sur le marché, cependant : le haut niveau d’endettement des ménages, qui atteint maintenant au Canada plus de 160 %.
Selon la société américaine Demographia, au Canada, le ratio de la dette hypothécaire des ménages a atteint 3,9 en 2013. En d’autres termes, une maison coûte 3,9 fois le revenu annuel de ses propriétaires.
Ce ratio grimpe à 4,5 dans les grands centres. À Toronto, il atteint 6,2 ; à Montréal, il est de 4,7. La palme revient à Vancouver, où le prix d’une maison équivaut à 10 ans de salaire ! Voilà qui fait dire à certains experts que la menace d’un krach immobilier n’est pas tout à fait écartée, du moins au Canada.
« La croissance du crédit hypothécaire est encore plus rapide que celle de l’économie, dit Carlos Leitao. Tant que les taux d’intérêt sont bas, ça va, mais s’ils augmentent, ça deviendra problématique. »
Ce qui pourrait sauver la mise : une augmentation des exportations canadiennes. Car qui dit exportations dit plus d’emplois, plus d’argent, plus de demande et plus de résistance à une éventuelle hausse des taux d’intérêt.
Or, selon l’économiste, leur faiblesse est préoccupante. « Particulièrement au Québec et en Ontario, les exportations ne progressent pas comme elles le devraient, compte tenu de la reprise aux États-Unis », dit-il.
Mais les volumes d’exportations du Québec sont bien loin des soucis quotidiens d’Anne-Marie Malo et Eric Plouffe. Ces deux parents ont plutôt bien hâte de quitter le logement qu’ils louent en attendant d’acheter, afin de faire leur nid pour de bon au Québec. La bonne nouvelle pour eux ? Les économistes ne prévoient pas de hausse des taux d’intérêt avant 2015 et les taux actuels sont même plus bas qu’ils ne l’étaient il y a cinq ans. Bon temps, donc, pour renouveler ou contracter un emprunt hypothécaire. Reste à trouver la maison de leurs rêves.