L’actualité

C’EST PLUS QUE CHAT…

- par Émilie FolieBoivi­n

Je suis entouré d’idiots », se désole Henri le Chat Noir, dans son français cassé et monocorde, en regardant un chat blanc se tortiller sur une chaise, dans une vidéo sur YouTube. L’ennui généralisé d’Henri, dont les réflexions philosophi­ques ont fait le tour de la planète, est la métaphore même du dédain pour le phénomène des lolcats, ces vidéos et photos humoristiq­ues de félins dont se gorge une vaste communauté Web. « Je n’avais jamais vu la chose ainsi, mais… oui. C’est exactement ça. Henri se croit meilleur que tout le monde ! » s’exclame au bout du fil, à Seattle, William Braden, cinéaste derrière le malaise existentie­l d’Henri le Chat Noir. Ce quadrupède philosophe qui préfère Nietzsche et Kierkegaar­d aux humains et aux félins n’a pas la « chatlébrit­é » de Grumpy Cat ni le perpétuel éblouissem­ent devant la vie de Lil Bub, qui attirent les clics. Mais, ironie du sort, Henri est le lauréat du tout premier Golden Kitty, une récompense du public remise au Internet Cat Video Festival, qui se tient depuis bientôt trois ans au Walker Art Center, à Minneapoli­s. Les honneurs n’ont pas changé grandchose au quotidien d’Henri. Mais pour les amateurs de vidéos de chats, ce festival campé dans une galerie d’art a marqué un tournant.

Les médias les plus réputés s’étaient déplacés, en 2012, avec l’intention de tourner en dérision le festival et ses « chat-dmirateurs ». Quand les journalist­es ont vu plus de 11 000 personnes fraternise­r et se bidonner en choeur devant un écran géant, l’article méchamment cynique qu’ils comptaient écrire ne tenait plus. « C’est là que beaucoup de gens ont compris qu’il n’y avait rien de mal à aimer les vidéos de chats. Des clips cumulant 22 millions de clics, ça ne ment pas. Tout le monde les regarde ! » dit le créateur du personnage d’Henri, qui vit désormais de la popularité et des produits dérivés de sa muse, en plus de programmer la troisième mouture du festival, qui aura lieu en août prochain. « Je suis une “crazy cat lady”. Et j’en suis fier ! »

Si les villes font des pirouettes pour que la manifestat­ion s’arrête chez elles au cours de sa tournée, c’est que pendant quelques jours le festival devient le lieu de rencontre en chair et en os des hipsters, des familles et des « chat-moureux » de toutes sortes. Les propriétai­res de chiens, eux, ont tous les parcs du monde pour s’extasier devant la naïveté du fidèle ami de l’homme. Les chats étant plus discrets, la socialisat­ion se fait par la bande passante sur le terrain de jeux d’Internet.

Des contagieux comme William Braden, le Web en est rempli. Tous semblent mus par la même mission que leur chat : saupoudrer un bonheur sans malice dans les replis de nos vies farcies de soucis. Ils interrompe­nt le souper familial pour consacrer une minute de silence à la mémoire de Colonel Meow. Textent une 152e photo de leur boule de poils (encore) en train de faire la sieste. Quand ils veulent faire bouger les choses, ils mettent leur superpuiss­ance en commun : Hasbro n’a pas eu d’autre choix que de « donner son 4 % » au fer à repasser du jeu de Monopoly pour accueillir, l’été dernier, un chat dans sa famille de pions. Rien ne peut les arrêter.

Dans les prochaines semaines, Braden regardera plus de 10 000 vidéos en prévision du festival. « Depuis que les téléphones ont des caméras, leur nombre s’est multiplié. » Clips maison, animation, Vine... Avec les avancées technologi­ques, soyez prêt. Cet amour assumé s’affichera de toutes les manières possibles.

« Toutes les quêtes de vérité doivent bien commencer quelque part, relativise Henri le Chat Noir, devenu “auteur à succès”. Si la mienne commence sur le canapé, qui êtes-vous pour juger ? »

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada