Essais étrangers
Finkielkraut, né en 1949 à Paris, a vécu avec enthousiasme la révolte de Mai 68 (originaire de Californie et secouant au passage nos cégeps, qui venaient à peine d’être créés). Comme tous les étudiants de cette époque, il croyait changer le monde et la vie. Près de 50 ans plus tard, l’auteur constate que tout a changé autour de lui, mais différemment de ce qu’il espérait. Ce qui désarçonne notre philosophe ? La fin de l’hégémonie littéraire, la culture numérique et l’emprise marchande, mais plus encore le sentiment d’être parfois étranger sur son propre sol, où se bousculent les émigrés.
Alain Finkielkraut est révulsé par la vulgarité ambiante, il regrette la France de la galanterie et de la séduction, celle où les élèves respectaient les instituteurs, où les adolescents sollicitaient l’avis des aînés et où les grands auteurs représentaient des références culturelles indiscutables, en somme un pays où être français était un honneur partagé par toutes les classes sociales. Est-ce que ce cher pays de son enfance a vraiment existé ? La société était, faut-il le rappeler, plus homogène, plutôt blanche, de culture gréco-latine et chrétienne.
Aujourd’hui, l’écrivain décrit une importante crise du « vivre- lain Finkielkraut, professeur à l’École polytechnique de Paris et brillant animateur d’émissions à France Culture, est un écrivain connu et respecté des intellectuels québécois. Or, son plus récent ouvrage a déçu ceux qui croyaient y trouver des arguments pour le débat sur la laïcité. Ce livre pourtant nous concerne : on peut y entendre en arrière-plan une chanson classique de Trenet et « La complainte du phoque en Alaska ».
« Le changement nous n’est plus ce que faisons mais ce qui nous arrive, arrive en France et et ce qui nous devenue malgré dans une Europe elle continent d’immigration, c’est la crise du vivreensemble. »
ensemble » en France, répercutée jusque dans le débat québécois sur la Charte des valeurs. Cela s’entendait dans de nombreux mémoires en commission parlementaire : quand on dit « nous », inévitablement on pense « eux », qui ne sont pas nés ici. La différence est pourtant grande entre l’immigration maîtrisée du Canada et celle qui déferle en Europe. Mais régulée ou pas, cette immigration pose le problème de l’intégration d’étrangers de diverses origines dans des sociétés qui possèdent et vénèrent déjà une histoire, des traditions, des cultures artistiques et politiques, et un cimetière où se trouvent les ancêtres qui ont fait le pays.
Pendant qu’en France la crise du vivre-ensemble provoque de graves incivilités, au Québec elle a donné naissance à la commission Bouchard-Taylor, aux propositions du ministre Drainville sur les signes ostentatoires, et transformé le chef du Parti libéral, Philippe Couillard, en croisé de l’Église catholique. Pour l’instant, la xénophobie affleure surtout dans les réseaux sociaux. Que faire pour éviter le pire ?
Tout se joue à l’école, croit Finkielkraut, où les élèves doivent oublier leurs communautés d’origine pour apprendre à penser par eux-mêmes. Le vivre- ensemble n’est possible que dans la neutralité des institutions laïques. C’est un argument fondamental pour prévenir au Québec les dérives racistes. La question de l’intégration des immigrés est une question politique trop souvent escamotée en faveur d’un débat idéologique qui polarise les « démons de l’identité face à ceux de l’universel ». Mais peu importe, même Finkielkraut devra admettre qu’aux trois principes républicains de « liberté, égalité et fraternité », il faudra désormais ajouter « diversité ». Les nations occidentales en sont là.
L’identité malheureuse, par Alain Finkielkraut, Stock, 215 p., 29,95 $.