L’actualité

LE FRONDEUR LE MENEUR

Dans un nouveau livre, l’ex-ministre Jean-François Lisée raconte ses 18 mois au pouvoir et met la table pour sa course au leadership. Avec des idées qui rompent avec les positions traditionn­elles du Parti québécois.

- Par Alec Castonguay • photo de Jean-François Lemire

Jean-François Lisée attaque Pierre Karl Péladeau recrute La campagne à la direction du Parti québécois s’embrase

Le journal de Lisée Les révélation­s d’un livre-événement

Jean-François Lisée attaque la course au leadership du Parti québécois avec son arme favorite : les idées. Et il a beaucoup de munitions.

Dans Le journal de Lisée (Éditions Rogers, en librairie le 31 octobre), l’ex-ministre de 56 ans affirme que les militants et ténors du PQ ne peuvent plus seulement crier : « On veut un pays ! » « On a eu 25 % des voix aux élections. Des choses doivent changer », explique-t-il.

En ce qui concerne le projet d’indépendan­ce, l’ancien conseiller des premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard propose de rompre avec certaines positions traditionn­elles du PQ. Il prône une entente avec Ottawa sur le libellé d’une question référendai­re et la création d’une monnaie québécoise.

Le député de Rosemont fait le pari de la franchise. Il dénonce le stratagème qui consiste à mener une course au leadership sur le flanc gauche en s’affichant comme un souveraini­ste pressé, pour séduire les militants, puis, une fois élu chef, à bifurquer à droite et à changer de discours. « Il y a une grande soif d’authentici­té et de clarté, autant chez les militants que chez les Québécois. »

Pour les mêmes raisons, il n’a pas hésité à tirer sur Pierre Karl Péladeau, qui veut demeurer l’actionnair­e de contrôle du géant médiatique Québecor. « Une bombe à retardemen­t », déclare-t-il, si le député de Saint-Jérôme se lance dans la course à la direction du Parti québécois. « Quelqu’un doit avoir le cran de dire que ça n’a pas de bon sens. »

Dans son ouvrage, Jean-François Lisée lève le voile sur sa vie de ministre et sur les combats qu’il a menés auprès de ses collègues, notamment sur la charte de la laïcité. Le ministre se disait même prêt à démissionn­er si le projet de loi était soumis au vote sans modificati­on. « Je voulais une clause “grand-père” pour protéger les droits acquis », dit-il. L’actualité l’a rencontré chez lui, à Montréal.

Pourquoi avoir écrit un livre ?

Ça a fait partie de ma réflexion en vue de la course à la direction. Ce processus est très compliqué, car il y a un poids, une responsabi­lité, des répercussi­ons sur la famille. Il faut à la fois de l’introspect­ion, de la réflexion et de la discussion. Écrire, pour moi, est comme un réflexe. Ça m’aide à mettre de l’ordre dans mes idées. Ça m’a rendu plus serein et ça m’a rapproché de ma décision. L’action passe par l’écriture.

Vous écrivez que diriger le Parti québécois représente un « haut niveau de difficulté ». Vous dites que c’est un parti « chicanier ». Pourquoi souhaiter en prendre la tête ?

Parce que c’est la plus grande force de progrès au Québec. Le Québec ne serait pas cet endroit formidable qu’il est sans le PQ. De la loi 101 au zonage agricole en passant par l’équité salariale et la perception automatiqu­e des

pensions alimentair­es, il a fait tout ça, même si c’était un parti chicanier ! Sa capacité de changer la vie des gens est enthousias­mante, malgré le rodéo que ça impose parfois au chef.

Dans votre livre, vous dites qu’un candidat dans la course au leadership du PQ fait généraleme­nt campagne à gauche, tout en étant le plus souveraini­ste possible, avant de se recentrer une fois élu. N’est-ce pas un peu malhonnête pour les militants qui votent pour un candidat et le voient changer à mesure qu’il se rapproche du pouvoir ?

Je le dénonce. Il y a une grande soif d’authentici­té et de clarté chez les militants, comme chez tous les Québécois. Pauline était authentiqu­e quand elle disait qu’il n’y aurait pas de référendum à moins que les gens ne soient prêts, mais ce n’était pas clair. L’avenir du PQ repose sur la nécessité de dire la vérité à chacune des étapes. Les militants ne veulent pas se faire dire qu’il y aura un référendum, puis, trois mois avant les élections, se faire dire qu’il n’y en aura finalement pas. Le candidat que je serai dira la vérité. Elle ne sera pas toujours agréable, mais je vais dire ce que je pense. C’est pour ça que j’ai commencé par définir ma position sur la mécanique référendai­re. Je n’ai pas commencé par ça pour le plaisir, mais pour dissiper les malentendu­s, pour que les gens le sachent. Je parlerai de tout le reste ensuite.

Vous dites également qu’il faut arrêter de seulement crier plus fort : « On veut un pays ! » Est-ce que ça ne va pas déplaire à des militants ?

Sûrement ! Mais on a eu 25 % des voix. Il y a des choses qui doivent changer. On doit élargir la base du mouvement indépendan­tiste. Je propose 15 actions pour aller vers les jeunes, les régions, la diversité et ainsi de suite. Il faut faire du porte-à-porte et des assemblées de cuisine.

Le candidat Lisée souhaite-t-il que le PQ fusionne avec Québec solidaire et Option nationale ?

Pas nécessaire­ment. Il y a des différence­s tactiques inconcilia­bles. Option nationale dit que, peu importe la conjonctur­e, il faut promettre de faire le référendum dans le premier mandat. Je dis non, pas si la conjonctur­e est mauvaise. Parizeau a raison de dire qu’on fait un référendum seulement si on est prêt et si les conditions s’y prêtent. À Québec solidaire, ils proposent une constituan­te. Je ne suis pas convaincu que ça peut marcher. La porte de la souveraine­té, c’est un référendum. Cela dit, ça ne doit pas nous empêcher de travailler ensemble et de chercher le maximum de points de convergenc­e.

Je veux que l’identité du PQ soit nettement progressis­te et écologiste. Ça peut intéresser des militants d’autres partis à venir chez nous. Si nous avons un message clair, nous serons plus attractifs. Cette volonté d’être tout pour tous, à la fois écolos, mais proches des sociétés pétrolière­s, parfois au centre gauche et parfois au centre droit… Les gens ne savent plus qui on est vraiment. C’est comme dans les relations personnell­es ; si quelqu’un ne s’aime pas, il ne va pas être aimé. Et le PQ n’a pas donné l’impression qu’il s’aimait beaucoup.

Vous proposez quatre ruptures avec des positions traditionn­elles du PQ sur le référendum et les contours d’un Québec indé-

pendant. Prenons-les une par une. Vous voulez négocier la question référendai­re avec Ottawa, ainsi que le pourcentag­e acceptable de Oui, comme ce fut le cas en Écosse. Ça va faire dresser les cheveux sur la tête de beaucoup de souveraini­stes !

L’exemple écossais, on peut l’appliquer ici. L’Assemblée nationale choisirait les mots, puis Québec et Ottawa désignerai­ent un tiers crédible qui ferait des recommanda­tions. En Écosse, le Parlement a accepté les recommanda­tions de la commission indépendan­te. Quand on divorce, il faut pouvoir partir de manière unilatéral­e, sinon, on est prisonnier du couple. Mais il est préférable que le divorce se déroule bien, avec un médiateur. Et je pense que les Québécois souhaitent ça. Ils ont peur de la transition, ils craignent que ça se passe mal dans les négociatio­ns avec le Canada. S’ils savent qu’il y a une entente sur la question et le pourcentag­e requis, le niveau d’anxiété baisse.

Vous souhaitez qu’un Québec indépendan­t crée sa propre monnaie, plutôt que d’adopter la devise canadienne. C’est un virage important. Pourquoi ?

Cela correspond à l’évolution de la réalité économique depuis près de 20 ans. Je ne remets pas en cause les choix de 1980 et 1995, qui reflétaien­t le contexte de l’époque. Mais le Canada est devenu une superpuiss­ance pétrolière. Le dollar canadien est un pétrodolla­r surévalué qui détruit notre base manufactur­ière, car il nuit à nos exportatio­ns. C’est la première fois dans l’histoire du Québec que l’idée d’une monnaie québécoise devient plus attrayante. Ça donnerait un coup de fouet à l’économie du Québec après un référendum.

Je ne conclus pas, mais il est temps de se poser sérieuseme­nt la question.

Vous proposez aussi un virage en matière de citoyennet­é. On se souvient du référendum de 1995, quand Jean Charest brandissai­t son passeport en affirmant que si le Oui l’emportait, les Québécois perdraient la citoyennet­é canadienne. Or, c’est exactement ce que vous souhaitez : ne pas garantir la citoyennet­é canadienne après un Oui.

C’est vrai. À trop vouloir sécuriser certains, on finit par les insécurise­r. Pour les communauté­s culturelle­s, le passeport canadien, c’est le Saint-Graal. Ils se sont déracinés, ils ont fait des efforts pour changer de pays, et là, ils pourraient le perdre ? Il y a des répercussi­ons, c’est pourquoi les fédéralist­es jouent cette carte. Mais ce n’est pas très crédible de leur dire : « Vous savez, vous allez le garder si vous voulez. » Car ça ne dépend pas de nous. C’est au Canada de décider. Mais on peut leur dire que le passeport canadien sera tout de suite remplacé par un passeport québécois. C’est plus clair. C’est ça l’indépendan­ce. Notre propre monnaie. Notre propre passeport. Et on ne dépend pas des autres.

Le quatrième point concerne l’armée dans un Québec souverain. Vous dites que le Québec ne devrait pas en avoir ?

Il faut se reposer la question de la défense du Québec en tant que pays. Sous René Lévesque, on était encore en pleine guerre froide, alors c’était important d’être membre de l’OTAN. La situation a changé. C’est clair qu’il faudrait avoir une garde nationale, une armée intérieure pour les cas de catastroph­e naturelle ou de maintien de la

paix en cas extrême. Il faudrait avoir une garde côtière. Mais il y a des économies colossales à faire, on n’a qu’à penser aux milliards qu’Ottawa dépense pour les avions F-35. Je doute que le Québec doive avoir une armée pour mener des missions à l’étranger. La force du Québec à l’internatio­nal, c’est sa capacité de médiation. D’être un interlocut­eur valable pour plusieurs parties. Par exemple, c’est le travail que fait le Directeur général des élections, chaque année, dans une dizaine de pays, surtout en Afrique, pour construire des institutio­ns démocratiq­ues. Le Québec devrait se spécialise­r dans la prévention des conflits et la reconstruc­tion des États.

S’il reprend le pouvoir, le PQ devrait-il proposer de nouveau sa charte de la laïcité ?

La laïcité est un noble objectif. Le Québec est engagé sur cette voie depuis des décennies. On verra ce que les libéraux proposeron­t dans leur projet de loi. Ils reprendron­t peut-être la plupart des éléments qui faisaient consensus. Pour l’élément qui ne le faisait pas, soit l’interdicti­on du port de signes religieux par les employés de l’État, j’étais extrêmemen­t mal à l’aise à l’idée qu’on allait mettre à la porte de bons employés parce que, soudaineme­nt, on changeait d’avis sur ce qu’ils peuvent porter au travail. C’était inacceptab­le. J’ai mené un combat respectueu­x, mais très vif, à l’intérieur du gouverneme­nt pour faire changer ce point. Si on avait été réélu, j’aurais continué. J’étais loin d’être le seul à penser ainsi.

Vous écrivez que si la charte avait été adoptée telle que présentée, vous auriez démissionn­é de votre poste de ministre.

J’aurais dit à Pauline que je ne pouvais pas voter pour cette loi. Elle aurait eu le choix entre la modifier ou me mettre à la porte du Conseil des ministres et composer avec la crise. Je pense que n’étant pas le seul à avoir des réserves, ç’aurait été une bonne idée de la changer. Je voulais une clause « grand-père » pour protéger les droits acquis. Je suis un humaniste et je ne pouvais pas cautionner ça.

Après les élections, certains députés et ministres du PQ ont dit ne pas avoir été à l’aise avec la charte telle que présentée. Si leur malaise était si important, pourquoi ne rien avoir dit plus tôt ? On a l’impression que tous voulaient utiliser la charte pour être réélus, sans égard à leurs principes. Estce qu’il n’y a pas de l’hypocrisie là-dedans ?

Le débat n’était pas terminé. Nous savions qu’après la commission parlementa­ire, il y aurait un autre débat au Conseil des ministres et que certains d’entre nous allaient revenir à la charge. J’avais bon espoir que le projet de loi serait amendé. Si je n’avais pas eu la capacité de mener ce combat au Conseil, j’aurais fait autre chose. Et nous n’étions pas inactifs. Par exemple, nous disions à nos amis dans les syndicats : « Ça nous aiderait si vous parliez de ça ou ça… » en commission parlementa­ire. J’ai insisté jusqu’à la fin auprès de Pauline, dans l’autocar de campagne, pour qu’elle annonce qu’il n’y aurait aucun congédieme­nt ! Je n’ai jamais lâché.

Vous écrivez que la charte aurait été rejetée devant les tribunaux et que ça deviendrai­t un argument pour la souveraine­té, du style « pas de pays, pas de

charte ». Ce n’est pas le discours qu’on entendait au gouverneme­nt. Vous répétiez que vous aviez espoir que la charte passe le test des tribunaux. N’y avaitil pas un double langage ?

Je n’ai jamais dit ça. Je n’ai jamais prétendu que ça passerait le test des tribunaux. Il faut que vous soyez attentifs, les journalist­es ! [Rire] Pendant la campagne électorale de 2012, j’ai dit que ce n’est pas aux juges de décider de ce qui est bon pour le Québec. Mon scénario idéal était de rendre la charte la plus consensuel­le possible, puis de voir la suite. On aurait vite compris que les trois partis fédéraux à Ottawa sont contre, tandis que c’est important pour les Québécois. Ça aurait été un moment de vérité : on aurait appris quelque chose sur la possibilit­é pour le Québec de défendre son identité au sein du Canada. Peutêtre que la seule réponse possible aurait été la souveraine­té. Ma vision n’était pas partagée, et je l’accepte. Mais dans mon optique, il fallait dire tout ça.

Pensez-vous que le débat sur la charte a nui à long terme au mouvement souver ainiste auprès des jeunes et des communauté­s culturelle­s ?

À long terme, on est tous morts ! À court terme, oui, il a nui. Il nous incombe d’envoyer d’autres signaux.

Dans une note écrite à Pauline Marois en juillet 2012, vous proposez de f aire un référ endum sectoriel pour rapatrier d’Ottawa tous les pouvoirs en matière de culture. Vous écrivez que ce ser a un « moment de vérité », puisque le processus montrera qu’il est impossible de faire quoi que ce soit au sein du fédéralism­e, ce qui ouvrirait la porte à un référ endum sur la souveraine­té. Faut-il une crise avec Ottawa pour r elancer l’option souveraini­ste ?

La crise existe déjà. Le Québec n’a pas signé la Constituti­on. Lorsque les députés à Québec votent une loi sur la langue, comme l’interdicti­on des écoles passerelle­s, les juges de la Cour suprême disent : « Non, vous allez réécrire votre loi. » On peut faire semblant que ça n’existe pas et attendre 150 ans. Ou on peut dire qu’il y a quelque chose qu’on veut beaucoup, maintenant, et on le demande au Canada. C’est un moment de vérité. Estce que ce moment conduit à la souveraine­té ? Peutêtre que oui, peutêtre que non. C’est le choix des Québécois à chaque étape. L’autre option est de se dire impuissant­s, alors on ne demande rien, et on s’éteint. Je ne suis pas favorable à l’extinction du peuple québécois.

Vous dites que l’arrivée de Pierre Karl Péladeau dans la campagne électorale a été une err eur. Pourquoi ?

Compte tenu de la force symbolique de l’arrivée de Pierre Karl pour le mouvement souverai

DES EXTRAITS du Journal de Lisée à lactualite. com/lisee et sur la version tablette de

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niste, il fallait le garder pour la campagne référendai­re. Là, ça aurait été parfait. L’énergie aurait été canalisée au bon moment. Peu importe son discours ou son poing levé, sa seule présence donnait l’impression qu’on était déterminés à mettre en route le projet de référendum. La campagne a dérapé. Je ne le blâme pas, il n’a pas choisi ce moment. Si on le lui avait demandé, je pense qu’il aurait attendu au référendum.

Le début de la course au leadership au PQ tourne be aucoup autour de la mécanique référendai­re. N’y a -t-il pas un risque d’apparaître déconne cté aux yeux d’une grande partie de la population ?

La population semblait très intéressée par cela aux dernières élections ! Il est important de régler cette question. Il est essentiel de dire : on vous a entendus, nous serons plus clairs la prochaine fois. La porte doit être ouverte ou fermée. Une fois cela dit, de quoi parleton ? On parle de l’indépendan­ce, de l’écologie, de la justice sociale et ainsi de suite. Il y aura d’autres enjeux durant cette course.

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« Le candidat que je serai dira la vérité. Elle ne sera pas toujours agréable, mais je vais dire ce que je pense. C’est pour ça que j’ai commencé par définir la mécanique référendai­re. »
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Le journal de Lisée : 18 mois de pouvoir, mes combats, mes passions, par JeanFranço­is Lisée, Éditions Rogers, 340 p., 26,95 $.
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Le soir du 7 avril dernier, Bernard Drainville, Jean-François Lisée et Pierre Karl Péladeau réconforta­ient les militants sonnés par la défaite. Tous ont alors compris qu’ils seraient de la course à la succession de Pauline Marois.

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