JUSTIN TRUDEAU
« Je suis croyant. Je peux demander de l’aide et du courage à Dieu. »
À un an des élections fédérales, le chef libéral Justin Trudeau, 43 ans, publie un livre dans lequel il lève le voile sur son enfance au 24 Sussex (la résidence officielle du premier ministre) et la foi catholique de son père, sur sa vision du pays et le type de premier ministre qu’il souhaite devenir. « C’est facile de diviser les gens sur l’identité, la culture ou les régions. Mais ils veulent autre chose et c’est le message du livre », dit l’auteur de Terrain d’entente (éditions La Presse).
L’actualité a rencontré Justin Trudeau à Montréal.
Certains vous comparent à une rock star. Cela ne donne-t-il pas l’impression que vous n’avez pas le sérieux nécessair e pour être premier ministre ?
Je suis un contraste avec M. Harper, qui ne se laisse jamais aller. Il a plus de difficultés avec l’entregent. Les gens ne sentent pas qu’il se préoccupe de bien les représenter. C’est pourtant la responsabilité de base d’un politicien. Il faut écouter, avoir de l’empathie et de la compassion. Être une personne en qui les gens ont confiance. Je préfère être vrai, avec des défauts, mais aussi montrer de la passion.
Vous dévoilez une facette de votre père qu’on connaît moins: sa foi catholique. Êtes-vous croyant ?
Je suis croyant. C’est bien de savoir que, dans les moments difficiles, je peux demander de l’aide et du courage à Dieu. J’ai besoin de sentir qu’il y a quelque chose de plus grand que nous. Qu’il y a un but à cette vie. Mais comme bien des Québécois, je me suis éloigné du dogmatisme et de la rigidité de l’Église catho lique. Enfant, j’allais à l’église toutes les fins de semaine avec mon père. On lisait la bible le dimanche soir. On récitait nos prières tous les soirs de la semaine. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai dit à mon père que je demeurais croyant, mais que je ne trouvais pas mes réponses dans l’Église. Que ce n’était pas un prêtre qui allait me dire comment agir. Maintenant, pour Pâques ou à Noël, j’aime bien avoir ces moments à l’église. Mes enfants sont baptisés et je veux qu’ils se retrouvent un peu làdedans. Mais ça ne fait plus partie de ma vie au quotidien.
On est à un an des élections. Quel en sera l’enjeu principal ?
L’économie. Les gens en arrachent. Le niveau d’endettement est élevé. Ils pensent à leur fonds de pension. On voit que la prochaine génération n’aura peutêtre pas les mêmes chances et la même qualité de vie que nous. Notre pays est bâti sur la promesse que chaque génération va mieux réussir que la précédente. Il y aura deux visions pendant la campagne. Le Parti conservateur voudra réduire les impôts. Je veux bien, mais on ne peut régler les problèmes auxquels on se heurte avec des baisses d’impôt. Il faudra des investissements dans les infrastructures, dans l’éducation, etc.
Pouvez-vous me donner un exemple de politique publique qui aiderait la classe moyenne ?
Les investissements en éducation. Le gouvernement fédéral, tout en respectant les champs de compétence des provinces, se doit d’être un meilleur partenaire dans tout le parcours éducatif des Canadiens. Il doit être plus actif avec les provinces. Il faut assurer un financement adéquat à nos écoles, mais aussi au niveau universitaire, pour la formation de la maind’oeuvre, les métiers spécialisés… La sécurité d’emploi ne vient plus d’une entreprise en particulier, mais de nos acquis individuels. De notre capacité d’apprendre et d’évoluer.
L’autre domaine, ce sont les infrastructures. S’assurer que les gens peuvent se rendre de la maison au travail dans un délai raisonnable. Le transport collec
tif est important, mais aussi les routes, les ponts…
En 2006, il y a eu un débat sur la reconnaissance du Québec comme nation. Vous étiez contre. Pourquoi ?
C’était une question tellement évidente que je ne voyais pas pourquoi d’autres devraient nous dire que nous sommes une nation. Le Québec est une nation. Mais quand on commence à formaliser cette reconnaissance, quelles incidences ça aura sur les autres nations, comme les Premières Nations ou la nation acadienne ? Je voyais que les gens étaient, à ce moment, surtout préoccupés par l’économie, la santé et l’éducation, alors que les chicanes identitaires emballaient les journalistes et les politiciens. J’avais peur qu’on plonge dans un marasme constitutionnel. Peutêtre que j’ai été trop influencé par des chicanes antérieures, parce qu’il n’y a pas eu beaucoup de dégâts après coup.
Vous êtes pour le pipeline Keystone XL, contre Northern Gateway. Quelle est votre position sur Énergie Est ?
L’une des grandes responsabilités du premier ministre canadien a toujours été l’exploitation et l’exportation de nos ressources. Qu’on parle de fourrures à l’époque, ou de grains, il faut trouver des marchés. Au XXIe siècle, cette responsabilité vient avec une préoccupation pour l’environnement. Il faut aussi s’assurer de l’acceptabilité sociale d’un projet dans les collectivités. Opposer l’environnement et l’économie, ça ne marche pas. Les gens savent très bien qu’on a besoin de pétrole et qu’il faut exploiter nos ressources, mais ils sont inquiets parce que le gouvernement est plus préoccupé par l’intérêt à court terme, purement économique, que par l’intérêt à long terme des prochaines générations. Il y a énormément de travail à faire pour rassurer les gens, leur dire que mon gouvernement va respecter la science, écouter les experts. Dans le cas d’Énergie Est, je suis ouvert, mais j’espère que TransCanada a appris des leçons des autres, comme Enbridge en ColombieBritannique. Les entre prises ne doivent pas s’attendre à ce que les gouvernements donnent simplement des permis. Elles doivent convaincre les collectivités.
Votre position sur la mission canadienne de combat en Irak a été durement critiquée par certains ténors libéraux. Avez-vous pris une mauvaise décision ?
Non. On a appuyé la mission de noncombat et le Canada doit en faire plus, par exemple avec de l’aide médicale, de l’appui logistique ou de la formation sur le terrain. Mais de là à passer à des attaques, à des frappes aériennes ? Le premier ministre devait démontrer que c’est justifié, que c’est une bonne utilisation de nos ressources. Il a voulu en faire un enjeu partisan. Son argumentaire était que « les djihadistes sont dangereux et méchants ». Nous sommes d’accord. Il disait ensuite : « Il faut faire quelque chose. » Très bien. Mais cette chose n’est pas de lancer des bombes.