L’actualité

L’ÉNIGME PÉLADEAU

Dans la course naissante à la direction du Parti québécois, une tête dépasse toutes les autres : Pierre Karl Péladeau. Comment le magnat de Québecor est-il arrivé là ?

- Par Alec Castonguay

Dans la course naissante à la direction du PQ, une tête dépasse toutes les autres : Pierre Karl Péladeau. Comment le magnat de Québecor est-il arrivé là ?

Une vieille stratégie en politique veut que la meilleure manière de contrer les avancées de l’adversaire soit de bombarder toutes ses positions, pour voir lesquelles vont céder et ouvrir une brèche.

Dans la toute jeune bagarre pour la direction du Parti québécois, Pierre Karl Péladeau mène sans contredit. Sa position la plus vulnérable est aussi évidente : celle de propriétai­re du plus grand empire de presse au Québec — lequel possède 40 % du marché de l’informatio­n — et d’actionnair­e de contrôle de Québecor, une entreprise aux ramificati­ons si vastes — livres, disques, magazines, journaux, télévision, commerce de détail, Internet, câble, téléphonie, spectacles, etc. — qu’elle recèle de potentiels conflits d’intérêts à chaque détour.

Le député péquiste JeanFranço­is Lisée a décidé de faire éclater la « bombe à retarde ment » enfouie dans le champ de bataille, une bombe composée du mélange explosif de la politique active et de la propriété médiatique. Quelques jours plus tard, une motion à l’Assemblée nationale de la Coalition Avenir Québec a envoyé le dossier en comité parlementa­ire. Des experts seront entendus dans les prochaines semaines.

Celui que tout le monde ou presque surnomme « PKP » réfléchiss­ait à l’idée de se lancer en politique il y a plus d’un an. Dès octobre 2013, près de six mois avant le déclenchem­ent de la campagne électorale, il avait sollicité l’avis de nombreuses personnes dans le milieu des affaires et de quelques amis politicien­s, dont l’ancien premier ministre Bernard Landry.

Lors de la nomination de PKP à la présidence du conseil d’admi nistration d’HydroQuébe­c par la première ministre péquiste, Pauline Marois, en avril 2013, certains avaient sourcillé devant l’influence que conférait à l’homme d’affaires cette double casquette (il a démissionn­é de toutes ses fonctions lorsqu’il est devenu candidat). À l’époque, il avait assisté à certaines réunions du Conseil des ministres, même s’il n’était pas un élu.

« Que Pierre Karl n’ait pas vu venir que sa propriété de Québecor serait la première question à l’ordre du jour dans une course au leadership est étonnant. Il ne semblait pas prêt à répondre lorsque Lisée a foncé, alors que c’est une évidence », affirme un député péquiste qui n’a pas encore choisi son camp et qui, voyant le tollé que cette question soulève, préfère garder l’anonymat.

Le Parti québécois en est à la huitième course au leadership de son histoire. Lors des sept

premières, le favori en début de campagne a toujours gagné, souvent de façon écrasante. Lorsque le PQ va mal, ses membres ne sont pas différents de ceux des autres formations politiques : ils ont tendance à chercher un sauveur. Ce n’est toutefois pas un gage de succès. Pierre Marc Johnson (1985) et André Boisclair (2005) n’ont pas réussi à sortir leur parti du pétrin, malgré l’emballemen­t des membres à leur endroit.

Officielle­ment, le député de SaintJérôm­e soupèse actuelleme­nt ses options. Il a décliné nos demandes d’entrevue. Mais en coulisses, l’équipe de PKP s’agite et recrute autant des organisate­urs que des bénévoles.

Les lieutenant­s qui ont aidé André Boisclair à gagner de manière décisive au premier tour, en 2005, sont aux commandes de la machine Péladeau. Alain Lupien, ancien chef de cabinet de la ministre de l’Immigratio­n, Diane De Courcy, est l’organisate­ur en chef de la campagne. Un autre proche de Boisclair, LouisPhili­ppe Bourgeois, propriétai­re de GoExport (un cabinet de consultant­s en exportatio­ns) et ancien directeur général du Bloc québécois, sera l’un des stratèges.

Éric Bédard, associé directeur du cabinet d’avocats Fasken Martineau et proche du couple SnyderPéla­deau, sera un conseiller informel important. Lui aussi a gravité dans l’orbite d’André Boisclair. Son frère, Stéphane Bédard, député de Chicoutimi, est le chef par intérim du PQ.

L’équipe de PKP avance ses pions. À la miseptembr­e, elle n’a réservé pas moins de 16 noms de domaine sur Internet afin de s’assurer que, le moment venu, le site Web du candidat sera facile d’accès.

Au caucus, les alliés de PKP, dont le député de MataneMata­pédia, Pascal Bérubé, multiplien­t les appels du pied aux collègues élus. Même l’ancienne première ministre, Pauline Marois, a fait quelques appels en faveur de Péladeau en septembre.

Le clan PKP estime avoir l’appui d’une douzaine de députés péquistes sur les 30 qui ont été élus. Leurs arguments : Pierre Karl Péladeau est une figure « transforma­tionnelle », qui peut donner une nouvelle image au parti et le ramener plus rapidement au pouvoir. Bien que campé davantage à droite sur l’échiquier politique, il est une candidatur­e économique de taille — de loin la plus importante de l’histoire du mouvement souveraini­ste — qui pourrait rivaliser sur ce terrain avec le Parti libéral et la Coalition Avenir Québec — dont le chef, François Legault, est le fondateur d’Air Transat.

Un sondage Léger MarketingL­e Devoir publié le 27 septembre dernier montre que 53 % des sympathisa­nts péquistes jugent que Pierre Karl Péladeau ferait le meilleur chef, loin devant Bernard Drainville (7 %), Martine Ouellet (5 %), Alexandre Cloutier (5 %) et JeanFranço­is Lisée (2 %). Ce coup de sonde indique une tendance, mais ne permet pas de savoir si les dizaines de milliers de membres du PQ, les seuls qui auront le droit de voter du 13 au 15 mai 2015, sont du même avis.

Dans les camps adverses, on estime que ce sondage reflète surtout la notoriété du candidat Péladeau, mais on rappelle que la course ne fait que commencer, et qu’elle comporte bien des obstacles pour un prétendant novice en politique. L’interventi­on, cet été, du député de SaintJérôm­e, susceptibl­e de favoriser son entreprise, Québecor, dans le dossier de la vente des studios Mel’s, à Montréal, montre qu’il peut trébucher, disent ses adversaire­s. Les commissair­es à l’éthique et au lobbyisme à l’Assemblée nationale ont ouvert des enquêtes pour déterminer si Pierre Karl Péladeau s’est placé en conflit d’intérêts.

« Il n’a jamais été testé. Il a visiblemen­t encore beaucoup d’apprentiss­ages à faire. Diriger une entreprise, ce n’est pas comme diriger un parti politique. La game est différente. La politique, c’est une gestion des perception­s, des émotions, et pas seulement une question rationnell­e », dit un conseiller péquiste qui se déclare neutre pour l’instant, mais qui en ce début de course préfère ne pas être nommé.

Dans le camp du député de MarieVicto­rin, Bernard Drainville, on chuchote que ce dont le parti a besoin, « ce n’est pas d’un sauveur, mais d’un rassembleu­r ». On veut forcer un deuxième tour de scrutin, en jouant pour Drainville la carte du bon tribun — « populiste », disent ses adversaire­s — aux positions centristes, le candidat du compromis qui pourra cicatriser les plaies au terme d’une course qui s’annonce dure. L’équipe de Bernard Drainville est à pied d’oeuvre afin d’élaborer ses positions dans plusieurs domaines.

Le député de LacSaintJe­an, Alexandre Cloutier, 37 ans, représente le changement de génération, et il propose aux membres de réformer le parti et le militantis­me à l’heure d’Internet. La députée de Vachon, Martine Ouellet, écologiste, souveraini­ste pressée, jouera la carte progressis­te, et rencontrer­a sur ce terrain JeanFranço­is Lisée, député de Rosemont.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Loin derrière PKP, quatre autres députés auraient l’appui de la population dans la course à la direction du PQ, selon un sondage Léger MarketingL­e Devoir : Bernard Drainville, Martine Ouellet, Alexandre Cloutier et Jean-François Lisée.
Loin derrière PKP, quatre autres députés auraient l’appui de la population dans la course à la direction du PQ, selon un sondage Léger MarketingL­e Devoir : Bernard Drainville, Martine Ouellet, Alexandre Cloutier et Jean-François Lisée.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada