LES ÉLECTIONS DE LA DERNIÈRE CHANCE
Si les électeurs ne se pressent pas aux urnes, les commissions scolaires pourraient disparaître, menace le gouvernement Couillard.
Si les électeurs ne se présentent pas massivement aux urnes, les commissions scolaires pourraient disparaître, menace le gouvernement Couillard. Les villes salivent. Les anglophones sont aux abois.
par Julie Barlow
CE QUI NE SERT PAS SE PERD.
Cela résume le message que le premier ministre Philippe Couillard a lancé quelques semaines avant les élections scolaires du 2 novembre. Si les électeurs n’y participent pas en nombre suffisant, l’existence des commissions scolaires sera remise en cause. Le gouvernement libéral propose d’en fermer plus du tiers ou de transférer, en partie ou en totalité, leurs pouvoirs aux municipalités.
La participation aux élections scolaires est traditionnellement désastreuse. Au dernier scrutin, en 2007, seulement 7,9 % des électeurs se sont donné la peine de voter ! J’ai moimême fait partie des 92 % d’indifférents jusqu’en mars 2011, lorsque j’ai appris que la commission scolaire English-Montréal voulait, pour des raisons d’économie, fermer neuf établissements, dont l’école primaire que fréquentaient mes filles.
Avec d’autres parents, j’ai livré bataille pendant huit mois pour assurer la survie de l’école Nesbitt. Nous avons découvert une administration sourde, lourde et lente, des employés arrogants avec les parents qui cherchaient à régler des problèmes de toilettes insalubres ou de toitures qui fuyaient, et des commissaires bornés, voire malhonnêtes. Par exemple, ils avaient voté pour envoyer trois des leurs en Chine afin d’y recruter des immigrants. C’était quelques mois après en avoir délégué cinq autres à une conférence à Hawaï !
Je me suis alors demandé à quoi servent, au juste, les 72 commissions scolaires du Québec, leurs 1 300 commissaires élus et leurs 4 600 employés. Je ne suis pas la première. Les commissions sont sous la loupe des médias depuis des décennies, et pas seulement au Québec. Il faut dire qu’elles n’aident pas leur cause : les cas de népotisme, de laxisme, de dépenses excessives et de corruption ont fait les manchettes ces dernières années. Si certains commissaires se dévouent sans compter leurs heures, d’autres ne se présenteraient pas à la moitié de leurs réunions, empochant néanmoins des rémunérations de 4 000 à 12 000 dollars par année (de 17 000 à 71 000 dollars pour les présidents) !
En période d’austérité, le gouvernement veut réduire les dépenses des commissions scolaires. En 2011, les libéraux leur avaient demandé de les diminuer de 270 millions de dollars — soit 45 % de leur enveloppe consacrée au fonctionnement. En juin, le gouvernement Couillard leur a imposé d’autres coupes : 150 millions, que les commissions scolaires doivent absorber même si certaines, dont la commission scolaire de Montréal (CSDM), sont déficitaires. Et en septembre, le ministre Yves Bolduc a dit qu’il fallait réduire les dépenses en éducation de 9 %, soit un milliard de dollars. Il a demandé à l’administration scolaire de fournir sa part.
« C’est un thème récurrent au Québec, dit Josée Bouchard, présidente de la Fédération des commissions scolaires du Québec. On a besoin d’élus qui se consacrent essentiellement à l’éducation. D’autres provinces en ont fini avec leurs remises en question des commissions. »
Les directeurs d’école, eux, ne sont pas des inconditionnels de la survie des commissions scolaires. « Il faut aux écoles une institution intermédiaire pour s’occuper des ressources humaines et matérielles, du transport, des conventions collectives », explique Lorraine NormandCharbonneau, présidente de la Fédération québécoise des directions d’établissement — sans préciser si
cette « institution intermédiaire » doit être une commission scolaire ou une municipalité. « L’essentiel, c’est que davantage d’argent aille directement dans les écoles pour la pédagogie. » Elle déplore que des commissions sabrent les services directs aux élèves, comme l’aide aux devoirs, avant d’examiner leurs propres frais d’administration.
Selon André Brassard, ancien professeur d’administration de l’éducation à l’Université de Montréal et l’un des rares experts sur le sujet, il n’y aurait pas d’économies à faire dans l’abolition des commissions scolaires. Si les municipalités reprennent leurs responsabilités, elles devront embaucher. Même chose si l’on confie plus de responsabilités aux directions d’école. S’il faut un employé de plus pour chacune des 2 500 écoles, cela représentera 200 millions ! « Si les conseils d’établissement ont plus de responsabilités, de pouvoirs et de travail, dit-il, les parents voudront être rémunérés ! »
Quoi qu’il en soit, Philippe Couillard affirme que les commissions scolaires n’ont tout simplement pas de légitimité politique, alors même qu’elles concurrencent les municipalités pour la même assiette d’impôt foncier. En 2007, 68 % des commissaires ont été élus sans opposition !
« Les électeurs ne comprennent pas ce que fait une commission scolaire », dit Alexandre Beaupré-Lavallée, chargé d’enseignement à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Mais selon lui, le faible taux de participation s’explique par un changement d’intérêt des parents. « Sur l’île de Montréal, dans les années 1970, la participation était de 20 % à 25 %. Aujourd’hui, les parents portent leur attention sur l’école elle-même et ce qui se passe en classe. »
Certaines modifications sont programmées depuis longtemps. Aux élections du 2 novembre, le nombre de postes de commissaires à pourvoir sera réduit de moitié, comme prévu dans la loi 88, adoptée en 2008. Et pour la première fois, les présidents seront élus au suffrage universel plutôt que par les commissaires. « S’il y a plus de concurrence, cela pourrait hausser le taux de participation », dit Alexandre Beaupré-Lavallée. À la CSDM, le