LES EMPLOIS DE L’AVENIR
L’économie a beau s’être redressée depuis la récente crise, les entreprises doivent affronter de grands défis et sont encore frileuses en matière d’embauche. Les perspectives sont cependant encourageantes. Tour d’horizon.
AUTOUR DE L’USINE d’Electrolux, près de la ville de L’Assomption, dans Lanaudière, c’est le calme plat. Une silhouette s’avance derrière la clôture grillagée ceinturant le vaste bâtiment beige. C’est Dominic Durand, qui a longtemps travaillé comme livreur dans cette entreprise de cuisinières, avant d’y devenir délégué syndical, il y a cinq ans. Il ignorait alors que le géant suédois de l’électroménager déménagerait son usine à Memphis, au Tennessee, expliquetil. Et que les 1 300 employés syndiqués, dont luimême, perdraient leur emploi.
Le 16 juillet dernier, Electrolux a mis la clé sous la porte. Depuis, Dominic Durand n’y bosse plus qu’avec une poignée de collègues. « On ferme les chaînes de montage. D’ici décembre, il n’y aura plus personne ici. »
Ce père de famille de 32 ans, qui est entré à l’usine à 18 ans et qui n’a qu’un diplôme d’études secondaires, envisage de se
recycler comme technicien en électromécanique — un métier d’avenir —, au moyen d’une formation offerte par Emploi-Québec.
Dans sa malchance, Dominic Durand a de la veine : ce brun à lunettes est jeune, il apprend vite et est capable de « se revirer sur un 10 cents », des qualités que pourraient lui envier bien des travailleurs.
Car à l’heure de la mondialisation et d’Internet, « la gestion du changement est le défi numéro un dans les organisations », affirme Florent Francoeur, conseiller en ressources humaines agréé (CRHA), PDG de l’Ordre des CRHA.
Depuis la crise économique de 2009, quelque 184 000 emplois ont été créés au Québec, soit 20 % des nouveaux postes qui ont vu le jour au Canada durant cette période. Parce que le Québec a une économie diversifiée, il n’a pas trop souffert de ce sombre épisode, qui a plongé le monde dans la pire récession depuis les années 1930 : 32 000 emplois ont été perdus dans la province, tous récupérés à compter de 2010, affirme EmploiQuébec. Rien à voir avec les dégâts subis aux ÉtatsUnis, qui viennent à peine de regagner les sept millions d’emplois disparus !
Toutefois, bien que l’économie québécoise progresse depuis cinq ans, la création d’emplois est encore en dents de scie. D’avril à août 2014, seulement 2 000 emplois ont vu le jour au Québec, calcule Workopolis. « Quand on la compare à celle d’autres récessions, la reprise est plus lente », observe Sylvie Doré, porteparole pour le Québec de ce site d’affichage de postes.
Mais il n’y a pas lieu de paniquer, selon EmploiQuébec : le marché du travail est « robuste » et en « bonne progression », dit l’économiste Richard StPierre. Il s’est créé plus d’emplois en 2013 qu’en 2012, une hausse de 1,2 %.
Le Québec a aussi un taux de chômage enviable — 7,6 % en 2013 — et des perspectives qui font rêver : 1,4 million de postes à pourvoir d’ici 2022, dont 80 % seront issus des mises à la retraite des baby
boomers. D’ici trois ans, quelque 725 000 emplois seront disponibles et plus de la moitié d’entre eux seront pourvus par des travailleurs de moins de 25 ans.
Cependant, la récente crise a laissé des cicatrices dans les organisations. Soumises à une concurrence sans précédent, les entreprises ont une marge de manoeuvre financière mince et doivent souvent demander à leurs travailleurs de faire plus avec moins. Bienvenue dans le monde du travail 3.0 !
À 28 ans, Jasmine Bouchard ne pourrait rêver mieux. Directrice numérique chez L’Oréal, à Montréal, cette diplômée en marketing s’est vite retrouvée dans le Web comme dans une potion magique. « J’adore ça ! Le fait de devoir être toujours à la fine pointe des technologies me
drive ! » ditelle. Pépinière de jeunes talents, le secteur des technologies de l’information continue de bouillonner, grâce au commerce électronique et aux jeux vidéos, confirme TracyAnn Lugg, vice présidente pour le Québec de l’agence de placement Adecco.
Les spécialistes en informatique sont demandés, confirme le Conference Board du Canada, tout comme ceux en génie et en gestion, car beaucoup d’organisations verront bientôt leurs leaders partir à la retraite.
La santé, les services sociaux et la construction demeurent cependant les fers de lance de l’économie ; ces secteurs sont les seuls à connaître une hausse continue de l’emploi depuis la crise de 2009, constate l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).
Tendance qui devrait se maintenir, selon EmploiQuébec, même dans le secteur de la construction, où un certain ralentissement s’observe depuis quelques mois. « Celuici s’explique entre autres par la fin des travaux de certains grands chantiers, selon le porteparole David McKeown. Les trois prochaines années seront toutefois meilleures en raison de nouveaux grands chantiers, notamment la réfection de l’échangeur Turcot, à Montréal. »
Les ressources naturelles, l’aéronautique, la transformation alimentaire, les centres d’appels, de même que le commerce, la comptabilité et la finance sont aussi des domaines attrayants qui offrent de bonnes perspectives d’emploi, selon beaucoup d’observateurs.
Les métiers de la formation professionnelle et technique représentent aussi une valeur sûre : électriciens, soudeurs, électromécaniciens, camionneurs… En 2022, un travailleur sur trois occupera ce type d’emploi, indique EmploiQuébec.
Cependant, vu l’instabilité ambiante, les employeurs aspirent à trouver plusieurs travailleurs en un : créatif, doué en gestion, en technos et en communications, capable de gérer l’ambiguïté et d’être un « associé », porteparole de l’entreprise. Rien que ça !
Pas étonnant que les travailleurs sans diplôme ni spécialisation soient devant un avenir incertain. C’est souvent le cas des chômeurs sortant des usines manufacturières, comme Jocelyn Cormier, 53 ans, préposé à l’entretien chez Electrolux pendant trois décennies. Il avait terminé son quart de travail quand l’usine a été fermée sans préavis, deux jours plus tôt que prévu. « Je n’ai même pas pu dire au revoir à mes collègues… », se désole cet homme souriant, qui dit avoir « la foi » de retrouver un emploi… mais à un salaire largement sous le taux horaire moyen de 19 dollars l’heure que lui et ses collègues gagnaient.
Electrolux est loin d’être la première usine à quitter nos terres. Cette année seulement, d’autres géants, comme Cascades, Energizer, Rio Tinto Alcan et Resolu, ont dû fermer leurs portes. Avant les années 2000, un Québécois sur cinq tirait son gagnepain de l’industrie manufacturière ; aujourd’hui, c’est un sur dix, calcule l’ISQ.
À l’heure de la mondialisation et de l’explosion du commerce électronique, « les modèles d’affaires se transforment et les organisations doivent s’adapter » , affirme YvesThomas Dorval, du Conseil du patronat du Québec. Y compris le secteur public !
RadioCanada a d’ailleurs annoncé d’importantes compressions, tandis que le gouvernement Couillard dévoile sa cure minceur au comptegouttes. Selon l’ISQ, près de 8 000 emplois ont été éliminés dans les administrations publiques en 2013.
Taille des services, personnel, technologies : les gestionnaires passent tout au crible. « Les entreprises qui ne font pas cette opération perdent du terrain », dit Daniel Imbeault, conseiller principal au talent et à la rému nération à la société de services professionnels Towers Watson.
Malgré le climat tendu, ce n’est « pas le temps » d’être en conflit de travail, selon le directeur général du Centre local de développement de la MRC de L’Assomption, Olivier Goyet : les entreprises sont tellement sous pression sur le plan financier qu’elles risqueraient de couler... et tous seraient alors perdants. « Le bâton est plus court pour tout le monde ! Il faut un partenariat gagnant entre les employeurs et les employés. »
Pour Jasmine Bouchard, cette vision va de soi. « L’Oréal me permet de prendre des risques, d’apprendre, et elle investit dans mon avenir. En retour, j’assume beaucoup de responsabilités, qui contribuent à la croissance de cette entreprise. C’est donnant, donnant ! »