L’AMÉRIQUE DU NORD EN PANNE
Même si l’économie nord-américaine était par malheur entrée dans une période de stagnation à long terme, le Québec pourrait quand même bien s’en sortir. Depuis 2007, l’Amérique du Nord connaît une sérieuse panne de croissance. Tout allait pourtant bien auparavant. Comme l’indique le graphique ci-contre, de 2000 à 2007, le revenu par habitant (inflation déduite) avait progressé de 10 % aux États-Unis, de 7 % en Ontario et de 12 % au Québec. Mais depuis lors, l’économie n’a guère fait mieux que du surplace. Cumulativement, de 2007 à 2014, le revenu par habitant aura progressé de 2 % aux États-Unis, de 3 % au Québec, et il n’aura pas progressé du tout en Ontario.
Une première partie de l’explication se trouve dans le vieillissement démographique. Les babyboomers partent à la retraite et il n’y a pas assez de jeunes pour les remplacer. Avec moins de travailleurs, on produit forcément moins de richesse pour subvenir aux besoins de la même population. Le revenu par habitant croît moins vite. Sans vieillissement, de 2007 à 2014, la croissance du revenu par habitant au Québec aurait été deux fois plus importante, soit de 7 % plutôt que de 3 %. Les États-Unis et l’Ontario vieillissent eux aussi, mais plus lentement.
À part la démographie, l’autre facteur de ralentissement est la récession qui a durement frappé les États-Unis et l’Ontario — mais moins le Québec — en 2008-2009. La reprise qui a suivi, en 20102014, a été décevante. Les historiens sont unanimes : après une crise financière comme celle de 2008, les ménages et les entreprises mettent plusieurs années à remettre de l’ordre dans leurs bilans avant de recommencer à dépenser. Ce fut le cas en Amérique du Nord après la crise financière de 1929-1930 et au Japon après celle de 1990-1992. Aux États-Unis, le Congrès n’a pas arrangé les choses après 2010 : il s’est précipité pour éliminer le déficit budgétaire fédéral avant que le secteur privé ait pu prendre le relais de la croissance.
À la démographie et à la récession s’ajoutent deux inquiétudes. La première est que le potentiel économique croisse plus lentement que prévu à long terme. Les chantres de la révolution numérique sont partout. Mais il n’est pas sûr qu’elle soit à la hauteur de la révolution précédente, qui nous a donné l’eau courante, l’électricité, le téléphone, l’automobile, le moteur à combustion, le pétrole, les plastiques, les médicaments, la radio, la télévision, l’air climatisé et l’aviation commerciale.
La deuxième inquiétude ne concerne pas la faiblesse du potentiel économique lui-même, mais le danger qu’il soit constamment sous-utilisé. Ce serait le cas si la dépense en biens et en services restait presque toujours inférieure à la capacité de produire de l’économie. Par exemple, la baisse démographique pourrait réduire la demande de logements et de biens d’équipement. La classe moyenne pourrait s’affaiblir. Dopé par le pétrole albertain, le dollar canadien ruinerait nos exportations. La banque centrale ne pourrait pas abaisser les taux d’intérêt pour fouetter la demande, parce qu’ils seraient déjà au plancher. Stagnation à long terme, chômage élevé et persistant.
Serait-il possible pour le Québec de se tirer d’affaire si un environnement extérieur aussi difficile s’installait à demeure ? Pas sûr, mais possible. Le graphique montre même qu’il fait déjà mieux que ses partenaires américain et ontarien depuis 2000. Il lui reste cependant beaucoup à faire pour rattraper la productivité américaine : bien instruire ses enfants, valoriser la responsabilité personnelle et l’entrepreneuriat, mieux gérer son secteur public, consolider ses protections sociales, taxer le carbone, se bâtir une culture de confiance et de pragmatisme plutôt que de chicane et de rigidité. L’économie, ça passe aussi par le social.