PAR LE BOUT DU NEZ
On dit que dans le processus de séduction, l’odeur des éventuels partenaires compte pour 50 %. On dit aussi que les gens ayant perdu l’odorat se sentent en quelque sorte spectateurs de leur propre vie. Ce sont des constatations pareilles qui ont donné env
Amateur de bonne chère, Kim Nguyen a rapidement dit oui quand un producteur lui a proposé de tourner un documentaire sur le plus discret et peut-être le plus fascinant des cinq sens : l’odorat. Il s’en confesse, il a d’abord imaginé un parcours épicurien dans le monde des épices et des plats raffinés. « J’ai réfléchi après », se souvient-il dans un éclat de rire, qu’il a facile. « Il est vite devenu évident que je me trouvais devant un univers d’une grande richesse, qu’il y avait matière à aller bien au-delà du lifestyle. »
Le réalisateur a lu tout ce qu’il a trouvé sur le sujet, entre autres Papilles et molécules : La science aromatique des aliments et des
vins, du sommelier François Chartier, qu’il fait intervenir dans son film. « C’est quelqu’un d’une grande intelligence sensorielle, qui sait expliquer la chimie des odeurs et leurs effets sur un être vivant. Je tenais à sa participation. Puis, à un moment, je suis tombé sur l’histoire de cette femme qui a perdu l’odorat après un accident, qui est devenue elle aussi un personnage pivot. Son rapport au monde qui l’entoure a été profondément modifié, elle vit un manque sur le plan cognitif, ce qui nous dit l’importance d’un sens bien souvent banalisé. »
Dans ce film qui aurait fait plaisir à Proust, on montre, propos scientifiques à l’appui, à quel point l’odorat est indissociable de la mémoire. On connaît tous les vives réminiscences que provoquent parfois l’arôme d’une tarte aux fraises ou la fragrance d’un savon à lessive, mais ça peut aller plus loin : « Il y a des projets-pilotes, explique Kim Nguyen, où on reprogramme une mémoire défaillante grâce
aux odeurs et à ce qu’elles déclenchent. C’est quand même fascinant… »
DIS-MOI CE QUE TU SENS
Pénétrer le monde des odeurs, c’est aussi toucher de près aux notions de désir, d’érotisme, voire de reproduction. Après avoir vu Le nez, on comprend d’ailleurs autrement l’expression « ne pas pouvoir se sentir ». « Des études montrent que si l’odeur de l’un des partenaires déplaît à l’autre, leur relation est pour ainsi dire vouée à l’échec ! L’hygiène et les parfums n’y changeront rien. Ce qui nous conduit à la question de la génétique. Les gens qui se plaisent instinctivement — et encore une fois l’odeur corporelle est indissociable du processus — ont des signatures génétiques très différentes, ce qui est, on le sait, important pour la pérennité de l’espèce. »
Sujet inépuisable, donc, mais difficile à mettre en images. Comment illustrer un parfum, une émotion olfactive ? Kim Nguyen parle d’une démarche expérimentale, ludique et intuitive. « J’ai dû passer beaucoup par l’expressivité des personnages pour illustrer le propos, comme avec cette femme dotée d’un odorat exceptionnel, qui peut déterminer qui est dans une pièce rien qu’à l’odeur, et qui entre dans une sorte de transe quand on lui fait humer de l’ambre gris. »
On notera que l’ambre gris, très prisé par les parfumeurs, est en fait une sécrétion intestinale du cachalot, que l’on trouve parfois sur les plages sous l’apparence d’un caillou jaunâtre. Et qui vaut environ 60 000 dollars le kilo !
Qui a dit que l’argent n’avait pas d’odeur ?
(Le 12 novembre aux RIDM ; en salles à compter du printemps 2015)